Décès d'Arafat : la thèse de l'assassinat relancée

La commission d'enquête palestinienne sur la mort de Yasser Arafat affirme avoir les preuves et l'identité de l'auteur de l'empoisonnement au polonium 210 de l'ancien chef de l'OLP. Israël est pointé du doigt.
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Manifestation Arafat
Des étudiants palestiniens clament des slogans et brandissent des drapeaux du Fatah en hommage à Yasser Arafat pour commémorer la 11ème année de sa mort, ce 11 novembre 2015 à Gaza. (AP Photo/Adel Hana)
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Yasser Arafat est mort le 11 novembre 2004 à l'hôpital militaire français Percy en région parisienne, des suites d'une "mystérieuse et courte maladie". Les causes de son décès ne sont toujours pas scientifiquement tranchées, malgré le non-lieu prononcé par les juges français en juillet dernier, suite à la plainte pour assassinat déposée par sa veuve.

Une commission d'enquête palestinienne avait été constituée dès 2009, puis, une expertise internationale (Suisse, France, Russie) avait été diligentée suite à la plainte de madame Arafat. Les conclusions des experts suisses, favorables à la thèse de l'empoisonnement au polonium 210 — une substance fortement radioactive — se sont opposées à celles de deux autres équipes,  françaises et russes, fin 2013.  Si pour les experts russes et français, la mort de Yasser Arafat est d'origine naturelle, cette origine naturelle est en revanche "discutable" pour les experts suisses, qui "soutiennent raisonnablement l'hypothèse de l'empoisonnement".

Conclusions et méthodes divergentes

Les échantillons prélevés à l'époque dans le mausolée de Yasser Arafat ont été répartis — lors de l'exhumation du corps — entre les trois équipes d'experts. Les divergences sur les causes du décès sont alors apportées par l'un des spécialistes suisse, interviewé par la Radio Télévision Suisse, peu de temps après que les résultats russes et français ne concluent à une mort naturelle.

L'enquête française affirmait qu'un gaz, le radon, présent dans la tombe, s'était transformé en polonium 210 et expliquait ainsi la présence de cet élément radioactif sur la dépouille. Cette théorie est valable si des taux de polonium 210 similaires étaient présents aussi bien sous la dépouille que dans la terre prélevée ailleurs dans le mausolée, selon l'un des experts suisse, le professeur François Bochud, directeur de l'Institut de radiophysique appliquée de l'Université de Lausanne :

"Si l'explication par le radon était suffisante, on devrait avoir les mêmes valeurs dans tous les échantillons de terre prélevés dans la tombe. Mais nous avons observé des valeurs de polonium 17 fois plus élevées dans les échantillons prélevés juste sous le cadavre par rapport aux échantillons prélevés plus loin…"

L'interview par la RTS du professeur François Bochud, le 4 décembre 2013 :
RTS INFO

Selon François Bochud, le fait qu'aucun expert français en radiation ne se soit rendu sur place explique les conclusions de mort naturelle fournies par cette équipe. Le choix des lieux de prélèvements effectués par l'équipe suisse a permis de constater les différences de radioactivité sensibles entre la dépouille et le reste du mausolée : "Les échantillons ont été mesurés après coup à Paris par des gens très compétents, mais en l'absence de spécialistes sur le site, il leur a été plus difficile de choisir les bons échantillons à analyser", conclue le spécialiste en radiation. La veuve de Yasser Arafat s'est émue des différences entre les deux rapports d'expertise : le suisse comportait 108 pages, le français, seulement 4.

Une enquête aux enjeux trop politiques ?

La commission d'enquête palestinienne affirme être en mesure de prouver l'identité de l'assassin de Yasser Arafat, et détenir des preuves de cet empoisonnement. Les motifs politiques sont au cœur de l'affaire, selon le chef de la commission palestinienne qui a déclaré hier, 10 novembre, qu'"il faudra encore un peu de temps pour élucider les conditions exactes de cet assassinat" et affirmé ensuite qu'"Israël en est le responsable".

Le chercheur en sciences politiques et spécialiste de la question palestinienne, Julien Salingue (interviewé en 2013 sur notre chaîne, vidéo en fin d'article) rappelle qu'"à plusieurs reprises l'Etat d'Israël a tenté d'assassiner des leaders palestiniens, et que la disparition de Yasser Arafat, dans le cas où celle-ci ne pouvait être imputée à l'Etat hébreu, aurait arrangé ce dernier".

Les conditions de l'enquête scientifique internationale pour déterminer les causes du décès de Yasser Arafat — quant à elle — n'ont pas été très bonnes, ce que rappelle dans cette même interview le Professeur Patrice Mangin, directeur du Centre universitaire romand de médecine légale à Lausanne : "Je rappelle quand même que nous n'avons pas pu disposer des échantillons qui avaient été prélevés lors de l'hospitalisation du président Arafat à Percy, parce que ces échantillons ont été détruits. C'est sûr que c'est un élément de preuve qui aurait été intéressant à investiguer".

Interview du chercheur en sciences politiques Julien Salingue et du directeur de l'institut de médecine légale de Lausanne, Patrice Mangin : "Mort de Yasser Arafat : qui veut connaître la vérité ?"

Le professeur Mangin, ne voit pas, dans ces conditions, comment l'enquête pourrait être relancée. A moins que les preuves détenues par la commission d'enquête palestinienne n'obligent à ouvrir de nouveau ce dossier brûlant ?

Madame Arafat, de son côté, suite au non-lieu français prononcé cet été, fait appel de la décision.