C’est la fin d’une semaine agitée pour le gouvernement français. Samedi 9 mai au soir, soit moins de 48 heures avant le début de la première phase de déconfinement, le Parlement a définitivement adopté le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet. Ce texte prévoit notamment la mise en place d’un fichier de suivi des malades du Covid-19. Un point jusque-là sensible et clivant, tant il pose la question du respect des libertés individuelles.
Députés et sénateurs ont finalement accordé leurs violons sur l'un des
"points durs"de ce projet de loi : la mise en place d'un système d'information, en lien avec l'Assurance maladie,
"destiné à identifier des personnes infectées"et
"à collecter des informations" sur les personnes ayant été en contact avec elles. L’objectif, toujours : casser la chaîne de contamination du nouveau coronavirus.
Une "société de surveillance" ?
La question du respect des libertés individuelles fait là encore débat. Après la controverse suscitée par la future application StopCovid – qui prévoit le traçage numérique et le partage de données personnelles concernant la santé, y compris sans le consentement de la personne intéressée - les parlementaires ont incité pour que la création de ce fichier d'identification des personnes infectées soit assorti de garanties. En premier lieu, une instance de contrôle pour prévenir quelconque abus doit être mise en place. La dérogation au secret médical sera quant à elle limitée aux données concernant l'infection par le virus et la durée de leur sauvegarde sera limitée à trois mois.
- (Re)voir aussi : Coronavirus : le « traçage », c'est quoi ? [L'Humeur de Linda]
Des
"brigades d'anges gardiens", composées notamment d'agents de la Sécurité sociale, seront chargées de faire remonter la liste des
"cas contacts" (ndlr personnes ayant été en contact avec une personne infectée). Le texte prévoit également la possibilité d'une mise en quarantaine ou à l'isolement à l'arrivée sur le territoire national, et selon leur provenance, de voyageurs étrangers ou de Français rentrant de l'étranger.
"L'objectif de promulgation de la loi le 11 mai se devait d'être tenu", a rappelé le secrétaire d'État Adrien Taquet, soulignant que cette loi
"n'est pas un blanc-seing"donné à l'exécutif.
A l'Assemblée, la majorité a voté à la quasi-unanimité en faveur du texte, hormis trois abstentions de députés LREM de l'aile gauche. Dans l'opposition, une très large partie des LR (85 pour, 12 contre, 6 abstentions) l'ont soutenu, car
"deux lignes rouges ont été levées"- sur la responsabilité pénale des décideurs et les modalités de traçage - explique le chef de file des députés de droite Damien Abad.
Absence de "mesures sociales"
A l’inverse, à gauche, Jean-Luc Mélenchon (LFI) a défendu sans succès une motion de rejet préalable déposée pour contester l'absence de
"mesures sociales" comme la
"gratuité" des masques. Il met en garde contre l'installation d'une
"société de surveillance". Les communistes ont aussi dénoncé un
"régime juridique d'exception"et un
"petit compromis"entre l’Assemblée et le Sénat. Le groupe PS a voté contre. Malgré le constat d'avancées appréciées, le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur dénonce un texte sans "
une ligne sur l'urgence sociale".
"Ce n'est pas le cœur léger que nous restreignons momentanément les libertés publiques, mais en conscience de nos responsabilités face à la crise sanitaire", assure depuis le Palais Bourbon Marie Guévenoux, députée LREM de la 9ème circonscription de l'Essonne. Cette dernière forme
"le voeu que nous puissions le 10 juillet sortir de l'état d'urgence sanitaire". Un vœu dont doute le patron des députés LREM Gilles Le Gendre, qui a laissé entendre il y a cinq jours, s'attendre à une nouvelle prolongation en juillet, sauf
"divine surprise".
Afin que le texte soit promulgué ce dimanche 10 mai au soir, le président Emmanuel Macron a déjà annoncé qu'il saisissait lui-même le Conseil constitutionnel, afin de vérifier la conformité des dispositions de cette loi, et faire ainsi taire les inquiétudes des oppositions concernant les restrictions en matière de libertés publiques.
Le président du Sénat Gérard Larcher (LR) a confirmé saisir lui aussi les Sages au plus vite, pour s'assurer que les mesures mises en œuvre sont
"nécessaires et adaptées aux circonstances".
L’application StopCovid disponible dès le 2 juin
Le gouvernement a annoncé mardi 5 mai que la très controversée application StopCovid, serait quant à elle prête le 2 juin, pour accompagner la deuxième phase du déconfinement.
"Ce n’est pas une application de surveillance" assurait déjà mo-avril Bruno Sportisse, PDG de l'Inria (Institut national de recherche en Informatique et en automatique).
"StopCovid est totalement anonyme. (...) La seule information qui m’est notifiée est que mon smartphone s’est trouvé dans les jours précédents à proximité du smartphone d’au moins une personne qui a, depuis, été testée positive", précise-t-il.
- (Re)voir aussi : Coronavirus en Suisse : l'armée teste une application de traçage
Par ailleurs, l’application sera finalement mise en place sans partenariat, qui avait été préalablement envisagé, avec les géants américains Apple et Google, dont les systèmes d'exploitation (iOS et Android) équipent la majorité des smartphones en France.
"Nous aurons une solution qui fonctionnera de manière très satisfaisante sur l'ensemble des téléphones et nous considérons que la maîtrise du système de santé, c'est l'affaire des États (...) pas forcément celle des grandes entreprises américaines",a estimé le secrétaire d’État au numérique, Cédric O.
malgré l'absence au final des géants américains, certains chercheurs restent inquiets. Auteurs d'une
"mise en garde", plus de 150 spécialistes de cryptologie et sécurité informatique ont alerté, fin avril, sur les risques inhérents à ce type d'application sur le site
"attention-stopcovid.fr".
Autre bémol, ce choix de ne pas passer par Apple et Google pourrait empêcher l'application de recueillir les données et limiter son efficacité si peu de personnes l'utilisent.
"Le plus probable est que StopCovid devra être active avec l'écran déverrouillé pour pouvoir fonctionner", analyse Adeline Roux-Langlois, chercheuse à l'Irisa (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires) de Rennes.
Le code source de l'application française de traçage de contacts va commencer à être publié mardi. Ce qui permettra à tous les codeurs intéressés d'aller vérifier comment elle fonctionne réellement, rapporte Cédric O à l'AFP.
En effet, la publication de ce code devrait permettre d'établir que StopCovid ne peut être détourné à des fins de surveillance et d'ingérance de la vie privée de la population, comme l'avait préconisé
la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés), en avril dernier.