Fil d'Ariane
Plusieurs associations dont la puissante ACLU avaient attaqué dès samedi matin en justice ce décret promulgué vendredi soir par le président américain, qui a fait de la restriction de l'immigration un de ses principaux chevaux de bataille.
Le décret sur la "protection de la nation contre l'entrée de terroristes étrangers aux États-Unis" interdit pour 90 jours l'entrée aux États-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans jugés dangereux - Irak, Iran, Yémen, Libye, Syrie, Soudan, Somalie - le temps de revoir les critères d'admission pour les réfugiés en provenance de ces pays.
Les associations le jugent discriminatoire et anticonstitutionnel, puisqu'il s'applique à des ressortissants disposant de papiers d'immigration en règle. Elles invoquent le 5e amendement pour estimer que toute remise en cause de leurs papiers ne peut être décidée arbitrairement par le gouvernement et nécessite une décision de justice.
L'application de ce décret anti-réfugiés dès vendredi soir a pris par surprise des personnes qui étaient déjà dans l'avion ou prêtes à partir.
Des dizaines de passagers - entre 100 et 200, selon le New York Times - se sont ainsi retrouvés interpellés à leur arrivée dans les aéroports américains et menacés d'expulsion.
En empêchant le gouvernement d'expulser les passagers interpellés après une audition d'urgence samedi soir, la juge Ann Donnelly n'a pas réglé toute l'affaire, a reconnu l'avocat de l'ACLU Lee Gelernt, en évoquant une nouvelle audition en février.
Mais elle a accordé un précieux répit aux associations et à toutes les personnes interpellées.
"L'important ce soir était que personne ne soit remis dans un avion", a souligné M. Gelernt à sa sortie du tribunal.
Il a également indiqué que la juge avait ordonné au gouvernement de communiquer la liste de toutes les personnes interpellées dans les aéroports américains depuis vendredi soir. Cela devrait permettre aux associations de pouvoir se mobiliser pour toutes les personnes concernées, a-t-il précisé.
Une autre juge fédérale de Virginie a annoncé dans la foulée une décision similaire, concernant cette fois les passagers interpellés à l'aéroport de Dulles, près de Washington, selon le quotidien The Charlotte Observer.
La mobilisation des associations a commencé après l'interpellation de deux Irakiens vendredi soir à l'aéroport JFK de New York, qui avaient été associés au gouvernement américain en Irak et détenaient des visas d'immigration en bonne et due forme.
Samedi matin, une fois la plainte en justice déposée, et alors que Donald Trump affirmait que l'application du décret "marchait très bien", plusieurs associations appelaient à manifester, d'abord à JFK puis dans de nombreux aéroports du pays, comme Chicago, Los Angeles, San Francisco, Denver, Minneapolis.
Des milliers de personnes ont répondu présents, alors que d'autres saluaient les interpellations sur les réseaux sociaux, illustrant la division du pays.
A JFK, deux représentants démocrates de New York au Congrès, Jerry Nadler et Nydia Velasquez, se sont joints aux manifestants et ont négocié toute la journée avec la police aéroportuaire.
Ils ont obtenu rapidement la libération d'un des Irakiens ayant travaillé notamment pour le consulat américain d'Erbil, au Kurdistan irakien, qui a pu sortir de l'aéroport sous les acclamations des manifestants qui criaient "Bienvenue chez vous" ou "Les musulmans sont les bienvenus!"
Cette mobilisation et cette première décision de justice laissent augurer d'un bras de fer de longue haleine entre les défenseurs des immigrés et l'administration Trump.
"On savait que ça allait venir, on se préparait" à se mobiliser, explique Camille Mackler, responsable juridique pour New York Immigration Coalition, l'une des associations ayant rapidement appelé à une manifestation à JFK. "Mais on ne savait pas quand, et on n’arrivait pas à croire que ce serait immédiat, qu'il y aurait des gens dans l’avion au moment où (le décret) allait passer".
"C'est la première salve d'une longue bataille devant les tribunaux", a estimé Michael Kagan, spécialiste du droit de l'immigration à l'Université du Nevada. "On se prépare à une guerre de tranchées juridique depuis l'élection. Il y a eu beaucoup de spéculations sur ce que Trump voulait vraiment dire, si des technocrates au gouvernement allaient le modérer, plus maintenant: il fait littéralement ce qu'il avait dit qu'il ferait".
Pour ce juriste, l'issue de cette bataille devant les tribunaux est incertaine car elle est "sans précédent dans l'histoire récente américaine".
Tout dépendra de l'attitude des juges et pourrait remonter jusqu'à la Cour suprême, qui n'a pas eu à trancher sur des affaires d'immigration de ce type depuis la Loi sur l'exclusion des Chinois (Chinese Exclusion Act) adoptée en 1882.
Lors de cette période de forte discrimination contre les Chinois, la loi avait interdit pendant plusieurs décennies l'entrée sur le territoire américain de tous les ressortissants chinois, y compris ceux qui résidaient légalement aux États-Unis et étaient temporairement repartis dans leur pays d'origine.