Déflation en Europe : récession générale en vue ?

Alors que des signes de reprise économique sont annoncés depuis des mois, le spectre d'un nouvel écroulement européen se profile un peu partout dans la zone euro en cette fin d'été. Analyse des causes et des conséquences possibles de ce nouveau chapitre de la crise financière et économique, la plus importante depuis 1929.
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Déflation en Europe : récession générale en vue ?
L'Europe au bord d'une nouvelle crise économique déflationniste ? (Photo Joël Saget / AFP)
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La France enregistre une croissance de son PIB de 0% pour le deuxième trimestre 2014 ; son voisin allemand, quant à lui, fait état d'un déficit de croissance de -0,2% pour cette même période. L'Italie et la Grèce ne font ni mieux ni pire que l'Allemagne (-0,2%), la Roumanie plonge à -1%, quand la majorité des autres membres de l'Union se traîne entre +0,1% (Belgique) et de timides reprises, comme en Espagne (+0,6%) ou aux Pays-Bas (+0,5%). Pas de quoi pavoiser, mais plutôt de quoi s'inquiéter. Les risques d'une rechute européenne, équivalente à celle de 2009, ou pire, semblent présents, alors qu'il y a un an, François Hollande parlait d'une reprise en cours. Mais que se passe-t-il donc ?

Déflation ?

Déflation en Europe : récession générale en vue ?
Dany Lang, économiste et membre du collectif des Économistes atterrés
Les risques de déflation annoncés par le Premier ministre français Manuel Valls sont plus ou moins pris au sérieux, mais ils existent : Eurostat (la direction des statistiques à la Commission européenne) a annoncé un taux d'inflation sous la barre des 1%, à 0,4% en juillet, pour la zone euro, ce qui est très faible. Les prix baissent, la demande diminue, les salaires risquent de suivre la même tendance, et une infernale spirale déflationniste pourrait s'enclencher. Selon Dany Lang, Maître de conférences en économie à l'Université de Paris 13 et spécialiste de l'économie européenne, "tous les indices d'une déflation à venir sont là, particulièrement avec les très mauvais indices du secteur immobilier, notamment dans le domaine de la construction de logements neufs." Les raisons de ce tassement des prix ? "Quand tout le monde comprime sa demande en même temps, l'activité économique ne peut pas repartir. Les politiques d'austérité ont un effet négatif sur la demande, d'autant plus que tous les pays de la zone les ont mis en œuvre en même temps. Les carnets de commandes sont vides. Il n'y a pas assez de demande, et malgré les taux d'intérêts très bas de la BCE (Banque centrale européenne, ndlr)), les investisseurs ne se bousculent pas", explique le chercheur. La baisse de la demande, donc de la consommation des ménages, engendrée par la rigueur budgétaire européenne, a pour conséquence une frilosité de plus en plus importante, tant des investisseurs que des consommateurs. Avec, pour effet, le report des achats, l'attentisme. Dany Lang souligne cette évidence : "C'est un problème de demande généralisé. Les principaux clients des Européens sont des Européens, et si tout le monde mène des politiques d'austérité, la demande baisse ; et si la demande baisse, les entreprises n'arrivent pas à écouler leurs stocks, et donc forcément, ça fait baisser les prix."

Austérité généralisée = récession

Déflation en Europe : récession générale en vue ?
Les pays de la zone euro : des économies en très forte interdépendance (Photo : AFP)
La croissance économique qui manque aux économies européennes ne se résume pas à un problème de compétitivité des entreprises, comme le gouvernement français l'a affirmé jusqu'alors. Créer plus de richesses ne passe pas uniquement par le secteur privé, même s'il est central, et quand bien même tout dépendrait du privé, si les carnets de commandes des entreprises se réduisent, la baisse d'activité qui en découle est toujours facteur de perte de croissance. Si l'Allemagne affirme que sa baisse de croissance économique n'est que temporaire, principalement causée par l'embargo russe ou une baisse de la demande chinoise, avec pour conséquences une diminution de ses exportations, la demande intérieure germanique, comme européenne est aussi largement en cause. "L'Allemagne comptait fortement sur les émergents, l'Inde et la Chine plus particulièrement, pour prendre le relais de la demande européenne, comprimée à cause de l'austérité. Comme la Chine achète un peu moins à l'Allemagne, ça joue un peu. Mais la Chine ne va pas si mal que ça, elle a mené une politique de relance pendant la période de récession, ce que l'on n'a pas fait en Europe," explique Dany Lang. Les salaires allemands ne progressent pas suffisamment, et la croissance du pays de la chancelière Merkel, tirée par les exportations, subit directement les effets d'une baisse de celles-ci.

Une autre politique budgétaire ?

Déflation en Europe : récession générale en vue ?
La Réserve fédérale américaine : une banque centrale qui a multiplié la masse monétaire en dollars par trois… en cinq ans
Si les pays les plus riches de la zone euro empruntent à des taux historiquement bas, alors que leur santé financière n'est pas particulièrement au plus haut, c'est avant tout grâce à l'afflux de liquidités de la Réserve fédérale américaine (la FED, équivalent d'une Banque centrale). La politique d'assouplissement monétaire de la FED a généré un flot de dollars à l'échelle mondiale sans équivalent : la masse monétaire en dollars a triplé entre 2008 et 2013. Les investisseurs ont eu alors besoin de placer ces liquidités : dans une économie mondiale instable, le moins risqué reste les bons du trésor d'Etats réputés fiables, comme la France ou l'Allemagne. D'où les taux d'emprunts à dix ans très bas pour ces pays. Malgré tout, cet avantage ne change pas grand chose à l'économie réelle : "la politique d'assouplissement monétaire n'est pas adaptée à la situation actuelle," estime Dany Lang, qui surenchérit : "Nous sommes dans une situation de trappe à liquidités. Ce n'est pas un problème de taux d'intérêts - on peut injecter autant de liquidités que l'on veut ça ne changera rien. Le problème est celui de la demande et donc de la politique budgétaire." Le risque d'attaques spéculatives en Europe, comme au plus fort de la crise de 2008 est donc actuellement écarté, mais les problèmes d'endettement continuent pour les pays de la zone euro. Ils sont aggravés par une rigueur budgétaire voulue par les pays membres de l'Union et contrôlée à Bruxelles, rigueur qui veut que les déficits publics ne puissent pas dépasser 3%. Le FMI lui-même s'en est inquièté depuis un an, puisque moins les Etats investissent, moins l'économie se dynamise, et plus les rentrées fiscales chutent. Avec pour effet principal… l'augmentation de la dette. Ce cercle vicieux 'dette—rigueur budgétaire—baisse de la croissance—augmentation de la dette', s'accentue avec le ralentissement économique mondial en cours depuis le début de l'année et pose une question cruciale : l'Europe peut-elle échapper à une récession de nouveau à ses portes ?

Réformer sans relancer : l'ornière ?

Déflation en Europe : récession générale en vue ?
Jens Weidmann, le président de la Banque centrale allemande estime qu'il faut augmenter les salaires en Allemagne
La politique économique européenne est basée sur des contraintes, toujours identiques : la baisse des déficits publics à moins de 3%, couplée à des "réformes". Concrètement : moins d'investissements publics, plus de flexibilité du travail, le gel des pensions de retraite et de l'âge de départ à la retraite, le gel des salaires des fonctionnaires, la diminution des aides sociales, la baisse des charges sur les entreprises et les coupes dans les dépenses publiques. Les résultats de ces politiques européennes sont à l'opposé de ceux qui sont attendus : le chômage ne diminue pas et la possible déflation à venir risque de s'inviter, doublée d'une nouvelle récession sous quelques mois. Dany Lang, convaincu par ce scénario, pense qu'il serait possible de l'éviter : "Avec une volonté politique, il y a une relance économique possible, qui passe par la dépense publique. C'est la meilleure des solutions envisageables. Avec la contrainte écologique, il y a des chantiers très intéressants à lancer : le ferroutage, l'amélioration des réseaux de transports en commun, la création de réseaux européens et l'isolation des logements. Cette dernière permettrait de faire repartir le bâtiment : 15 000 euros par logement, c'est tout à fait envisageable, et cela ferait travailler énormément de monde. C'est l'une des seules petites choses où le gouvernement actuel a agi un peu, avec des incitations fiscales. Mais si c'est fait uniquement en France, cela ne suffira pas."  Comment financer cette relance européenne, qui semblerait être la solution pour sortir l'économie du vieux continent de l'ornière ? "Même la Commission européenne a compris cela : idéalement, il faudrait obliger les pays qui ont des excédents budgétaires à relancer leur demande interne. Si l'on prend l'Allemagne, par exemple, la moitié des ponts du pays menace de s'effondrer : c'est exactement ce genre de chantiers prioritaires qui aideraient à la relance. Il y a aussi un choc de répartition qui est nécessaire, il faut augmenter les salaires, toujours pour les pays aux budgets excédentaires. Le président de la BundesBank lui-même a reconnu qu'il fallait augmenter les salaires en Allemagne !" Un scénario à la japonaise, avec une déflation qui a duré deux décennies, aurait des conséquences dramatiques pour l'Europe, et Dany Lang le rappelle avec, en guise de conclusion, une vision pessimiste empreinte d'incompréhension : "Nous avons un gouvernement, en France, qui nous dit : 'attention il y a un risque de déflation généralisée, la rentrée va être difficile', et d'un autre côté, qui dit : 'on ne va pas changer de politique'. C'est difficile à comprendre. Mais sans changement de volonté politique, nous ne sortirons pas de l'ornière".

Repères

Inflation : perte du pouvoir d'achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. (fiche wikipedia) Déflation : baisse durable de l'indice des prix. Les Etats engrangent moins de recettes par le phénomène de la TVA, dépendante du prix des biens vendus. (fiche wikipedia)