Démission de Christiane Taubira : "parfois résister c'est partir"

Christiane Taubira démissionne. "Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur", a-t-elle déclaré ce mercredi après-midi lors d'un point presse. La ministre de la Justice est remplacée par Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère.
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(AP Photo/Michel Euler)
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La déchéance de nationalité aura eu raison de Christiane Taubira: opposée à cette réforme, la garde des Sceaux a remis mercredi sa démission à François Hollande, aussitôt remplacée par Jean-Jacques Urvoas, quelques heures seulement avant que le Premier ministre présente aux députés la dernière mouture du texte.

Lire aussi nos articles sur la déchéance de nationalité ici.

François Hollande et Christiane Taubira "ont convenu de la nécessité de mettre fin à ses fonctions au moment où le débat sur la révision constitutionnelle s'ouvre à l'Assemblée nationale, aujourd'hui (mercredi) en Commission des Lois", écrit l'Elysée dans un communiqué.

Mme Taubira "aura mené avec conviction, détermination et talent la réforme de la Justice et joué un rôle majeur dans l'adoption du mariage pour tous", a salué François Hollande.

"Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit", a pour sa part tweeté Mme Taubira.  


L'ex-députée de Guyane s'est dite "fière" de son action Place Vendôme depuis 2012. Elle a notamment fait adopter au parlement la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. "La Justice a gagné en solidité et en vitalité. Comme celles et ceux qui s'y dévouent chaque jour, je la rêve invaincue", écrit-elle. 


En milieu d'après-midi, en pleine séance parlementaire à l'Assemblée nationale, durant le discours de Philippe Martin, député PS du Gers, les socialistes se sont levés pour saluer l'action de Christiane Taubira. La standing ovation n'a toutefois pas été unanime : les applaudissements sont venus quasi exclusivement des rangs de la gauche.

 


 

«Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur, je choisis d'être fidèle à moi-même, à mes engagements, mes combats, fidèle à nous. (...) Le péril terroriste qui nous menace est grave et imprévisible mais nous avons appris à le traquer, nous savons comment le combattre et nous sommes déterminés à l'abattre mais nous ne devons lui concéder aucune victoire.» Christiane Taubira

Dans son discours de départ, Christiane Taubira a tenu à rappeller que 25 textes de loi ont abouti en trois ans et demi, dont la «loi d'égalité du mariage pour tous, la réforme pénale, la politique volontariste d'aide et de suivi personnalisé des victimes».

Christiane Taubira fait le bilan: «Le budget de la Justice augmenté de 450 millions d'euros en 3 ans (...) Nous avons augmenté les effectifs d'élèves magistrats. C'est un mouvement de fond qui permettra d'avoir plus d'arrivées de magistrats que de départs à la retraite. (...) Nous avons accompli un supplément d'effectifs pour les personnels pénitentiaires. (...) Nous avons renforcé l'Ecole nationale de la magistrature et les trois autres écoles.»

Comme elle l'a souvent fait, Christiane Taubira a conclu son discours prononcé mercredi après-midi, en citant le poète Aimé Césaire: «Nous ne livrerons pas le monde aux assassins d'hommes».
Jacques Urvoas, un proche de Manuel Valls

Proche de Manuel Valls, spécialiste des questions de sécurité, Jacques Urvoas (56 ans) est l'actuel président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale. Il était à ce titre chargé d'une mission pour trouver une solution à la réforme constitutionnelle de la déchéance de nationalité, à laquelle Mme Taubira s'était publiquement opposée à plusieurs reprises.

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Jean-Jacques Urvoas à l'Assemblée nationale en 2013.
CC BY-SA 3.0


Jacques Urvoas "portera, aux côtés du Premier Ministre, la révision constitutionnelle et préparera le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et la réforme de la procédure pénale", indique l'Elysée.

Manuel Valls vient défendre mercredi devant la commission des lois de l'Assemblée la réforme constitutionnelle voulue par François Hollande après les attentats de novembre. Celle-ci prévoit la constitutionalisation de l'état d'urgence, décrété le 13 novembre et dont l'exécutif envisage par ailleurs la prolongation pour trois mois, et l'inscription dans la constitution de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français et condamnés pour crime terroristes.

Mais ce dernier point suscite une forte opposition, notamment à gauche, et l'exécutif envisage de retirer la référence à la binationalité du projet de loi constitutionnel.

Le parcours parlementaire de la mesure, qui aura monopolisé le débat politique de ce début 2016 ne fait, lui, que commencer, quand bien même tous s'accordent sur son caractère symbolique.

Le 5 février, la révision constitutionnelle arrivera en débat, pour trois jours, chez les députés, pour un vote solennel prévu le 10.

Quant au Sénat, il devrait en débattre un mois plus tard.

Icône du mariage pour tous


Point d'orgue de son parcours à la tête du ministère de la Justice, la loi sur le mariage pour tous. Le 23 avril 2013 : la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » est définitivement adoptée à l’Assemblée par 331 voix contre 225. La gauche ovationne la ministre.


Christiane Taubira est née le 2 février 1952 à Cayenne, en Guyane. Elle est à l'origine de la loi du 21 mai 2001 qui reconnaît, comme loi mémorielle, le crime contre l'humanité des traites négrières et de l'esclavage pratiqués à partir du XVe siècle sur les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes.

Dès son arrivée au poste de Garde des sceaux, en 2012 , elle fait l'objet de violentes critiques, et devient la cible d'une campagne de dénigrement particulièrement virulente, et raciste, de la part d'une certaine presse ainsi que par des partisans du Front national.

En novembre 2013 , le Haut commissariat des Nations Unies aux Droits de l'homme condamne les propos, qu'il considère comme des attaques racistes, tenus dont elle fait l'objet depuis plusieurs semaines, et notamment la couverture d'un hebdomadaire d'extrême droite, Minute, publié avec la photo de la ministre accompagnée de la légende : « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane ». L'hebdomadaire repousse l'accusation de racisme, arguant qu'il n'a fait qu'utiliser deux expressions françaises, « dont la seconde — la partie sur la banane — est familièrement utilisée pour décrire une personne en bonne forme. »

Le 30 octobre 2014 , le directeur de l'hebdomadaire est condamné à 10 000 euros d'amende pour sa une

Quelques mois plus tôt, (le 15 juillet 2014), Anne-Sophie Leclère, une ancienne élue FN, est condamnée à 9 mois de prison, 5 ans d'inéligibilité et 50 000 euros d'amende pour avoir comparé Christiane Taubira à un singe. Le Front national avait pour sa part été condamné à 30.000 euros d'amende.

Le monde de la justice et politique réagit


"Christiane Taubira portait dans son discours une autre conception de la Justice avec la volonté sincère de sortir du tout sécuritaire", réagit Clarisse Taron du Syndicat de la Magistrature, sur France Info mercredi matin après la démission de la ministre de la Justice.

A droite, nombreux sont ceux qui ont rapidement exprimé dans les médias ou via twitter leur satisfaction, voire leur enthousiasme à l'annonce du départ de celle dont certains avaient fait leur cible politique principale. "Enfin une bonne nouvelle pour la France" réagit Marine Le Pen ce mercredi matin sur Europe 1 . Pour la présidente du Front national, l'ex-garde des Sceaux a mené "une action publique absolument désastreuse pour notre pays".
 



A gauche, si pour l'instant Manuel Valls n'a pas commenté cette démission, d'autres ont réagi également via les réseaux sociaux pour faire part de leur soutien. 
 


Sur l'antenne de TV5monde, jointe par téléphone, Esther Benbassa la sénatrice Europe Ecologie Les Verts (EELV) estime qu'il s'agit d'une perte pour le gouvernement.

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Hormis ses tweets, pas de post officiel ce mercredi matin sur la page officielle de Christiane Taubira. Pour la nouvelle année, voici ce qu'elle écrivait pour faire part de ses bons voeux. "Nous serons invincibles", savait-elle alors qu'elle devrait abandonner son poste. Elle seule en a le secret.
 

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Que 2016 nous soit douce et belle! Déjà nous l'entamons plus lucides et plus forts. Unis autour de nos valeurs nous serons invincibles.ChT

Posté par Christiane Taubira sur jeudi 31 décembre 2015