Des “Enfants de la Creuse” retournent à La Réunion et demandent réparation à la France

Entre 1962 et 1984, quelque 2000 enfants réunionnais ont été enlevés à leurs familles, arrachés de force pour repeupler le territoire métropolitain de la France. Ils sont une cinquantaine, certains pour la première fois, à retourner sur l'île de leur enfance. 
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AEROPORT ROLAND GARROS DE LA REUNION
Un homme est debout sur un passage piéton juste devant l'entrée de l'aéroport international Roland Garros. Sainte-Marie, 16 mars 2022. 
AP/Lewis Joly
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"Revoir mon île c'est formidable", confie avec émotion Daisy Jamain. Cette sexagénaire
a été transférée par les services sociaux à l'âge de 9 ans, au milieu des années 1960. Orpheline, elle est partie avec deux de ses soeurs. Elles sont "arrivées là-bas (en Métropole, ndlr) dans le froid avec (leurs) petites robes d'été", se souvient Daisy. Séparée de ses soeurs dès son arrivée, elle ne retrouvera l'une d'elles que 56 ans plus tard. Elles ont depuis appris à se connaître et sont revenues ensemble sur l'île de leur enfance.

Daisy Jamain et ses soeurs font partie des "Enfants de la Creuse". Entre 1962 et 1984, 2000 enfants réunionnais ont été retirés par les services sociaux à leurs parents et transférés de force, à 10 000 kilomètres de là, principalement dans la Creuse, selon une opération du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'Outre-mer (Bumidom). L'objectif était alors de repeupler ce département français peu habité.

Les parents étaient convaincus que leurs enfants partaient pour un avenir meilleur et qu'ils reviendraient régulièrement à La Réunion. En réalité, la majorité d'entre eux ne sont jamais revenus sur l'île française et n'ont jamais pu revoir leurs parents.

 
On ne peut pas transplanter un enfant comme ça. On le fait avec une plante ou une fleur mais pas avec un être humain.
Marlène Ouledy, victime 

Sévices et exploitation 

 

Un voyage organisé le vendredi 7 avril  par la Fédération des enfants déracinés des départements et régions d'Outre-mer a permis à 47 personnes de se rendre à la Réunion. Pour certains, il s'agissait de leur premier voyage vers leur île d'enfance. "Il y a encore beaucoup trop d'émotion", dit simplement l'un d'eux. 

Une partie des "Enfants de la creuse" a été victime de sévices et exploité dans leur famille d'accueil. C'est le cas de Jacques Dalleau, 71 ans. Enlevé à son père en 1965, à 14 ans, il ne le reverra jamais. "J'ai travaillé comme un larbin", placé dans une ferme de la Creuse, témoigne-t-il, disant avoir été "exploité et maltraité". Il a déjà eu l'occasion de revenir plusieurs fois à La Réunion. "La reconstruction reste difficile" dit-il, même s'il estime que "le pire est derrière lui". 
 

Marlène Ouledy, 53 ans, fait aussi partie de ces enfants qui ont été maltraités par leur famille d'accueil. Enlevée en 1971 à l'âge de 9 mois des bras de ses parents, elle estime qu'on "ne peut pas transplanter un enfant comme ça. On le fait avec une plante ou une fleur mais pas avec un être humain".  

Elle dénonce les violences infligées par ses parents adoptifs : "J'étais élevée à coups de poing, ils me faisaient manger la tay ("excrément" en créole réunionnais, ndlr) et il n'y avait aucune surveillance de la part des assistantes sociales", témoigne-t-elle. À 25 ans, elle apprend que ses parents biologiques la recherchent. 
 
Qui sont les “Enfants de la Creuse” ? 

- Entre 1962 et 1984, au moins 2.000 enfants réunionnais ont été retirés à leurs parents par les autorités françaises. Ils ont ensuite été transférés de force vers l'Hexagone, à 10.000 km de leur île natale. Destination principale :  le territoire de la Creuse.

- Cet exil  a pris place dans le cadre d'une opération du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (Bumidom) et d'un programme mis en place par Michel Debré. À cette époquen, il était ministre de Charles de Gaulle et député de La Réunion. 

- Les parents étaient convaincus que leurs enfants partaient pour un avenir meilleur et qu'ils reviendraient régulièrement à La Réunion.

-En réalité, la majorité d'entre eux ne sont jamais revenus sur leur île natale. Certains n'ont même jamais pu revoir leurs parents. 

“Je demande réparation”

C'est un courrier de la Direction départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) qui lui permet de retrouver leur trace. Marlène Ouledy revient à La Réunion en 1999. Elle y retrouve sa mère, ses frères et soeurs mais pas son père, décédé en 1983. 

"Je demande réparation et que notre voix soit portée à l'Élysée. Il est grand temps. Bientôt l'un après l'autre nous allons disparaitre", lance-t-elle. Aujourd’hui, Daisy Jamain dit être épanouie et ne pas avoir de rancoeur. Elle attend tout de même des excuses officielles de la part de l'État pour "avoir fait souffrir autant d'enfants innocents". 

En 2014, l'Assemblée nationale a adopté une résolution proposée par Ericka Bareigts (députée socialiste de La Réunion) reconnaissant la "responsabilité morale" de l'État français dans ces exils forcés. Les enfants de la Creuse demandent aussi "une réparation mémorielle". "Il faudrait un lieu de mémoire dans la Creuse et que notre histoire soit étudiée dans les manuels scolaires", soulève Valérie Andanson, porte-parole de la fédération des enfants déracinés des DROM.