Fil d'Ariane
Des refus de protection temporaire, voire des obligations à quitter le territoire français : des non-Ukrainiens se voient confronter aux difficultés administratives en France après avoir fui le pays en guerre. Des associations contestent ces décisions.
En plus des 85 000 Ukrainiens accueillis en France, quelques milliers de personnes, non-ukrainiennes, ont fui le pays au moment de l’invasion russe depuis février dernier. Elles avaient des titres de séjour provisoire ou permanent dans le pays où elles vivaient, faisaient leurs études ou travaillaient. En arrivant en France, elles ont dans la plupart des cas reçu une autorisation provisoire de séjour. Celles-ci commencent à expirer, et elles sont à présent confrontées pour beaucoup aux difficultés administratives.
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Pour certaines de ces personnes, elles n’ont pas obtenu la protection temporaire espérée, délivrée aux Ukrainiens et qui leur donne le droit de séjourner 6 mois en France, en plus d'avoir accès à un logement, une scolarité ou des soins médicaux. Pour quelques autres, elles ont même reçu une obligation à quitter le territoire français (OQTF).
C’est le cas d’Inza Touré, étudiant ivoirien arrivé en Savoie, rencontré par l’AFP. Il espérait pouvoir reprendre ses études à Sciences Po Grenoble, mais selon le préfet, cité par l’agence de presse : "l'intéressé ne justifie ni d'une vie privée et familiale ancrée dans la durée en France, ni d'une insertion quelconque dans la société française".
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La Cimade, comme d’autres organisations membres de la Coordination française pour le droit d’asile, dénonce dans un communiqué publié le 7 juin une « logique du « deux poids deux mesures » (…) incompréhensible et injuste ». La Coordination demande une interprétation moins restrictive de la protection temporaire, pour permettre aux personnes concernées de poursuivre leur parcours de vie, leurs études ou leur carrière en Europe.
Gérard Sadik, responsable de la thématique asile au sein de l’association d’aide aux exilés, plaide pour une compréhension plus large des directives européennes. Il explique que c’est le cas dans d’autres pays voisins, comme l’Espagne ou l’Allemagne, où les personnes fuyant l’Ukraine sont reçues avec moins de restrictions qu’en France, même lorsqu'elles n'ont pas la nationalité. « En France, on accueille très strictement, alors que cette question des personnes étrangères concerne à peine quelques centaines ou milliers de personnes. On demande à ce qu’on puisse leur ouvrir la protection temporaire : cela éviterait une inégalité de traitement entre des gens qui sont tous victimes de la guerre et ont dû fuir comme les autres ».
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D’après des chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, 3 278 ressortissants de pays tiers ont obtenu la protection temporaire en France à date du 6 juin. Parmi ceux-ci, plus de la moitié viennent d’Afrique, dont 1009 du Maghreb. Ces étrangers peuvent l’avoir obtenu en tant que membres de la famille d’Ukrainiens, s’ils avaient le statut de réfugiés en Ukraine, ou s’ils ont réussi à démontrer qu’ils ne pouvaient pas rentrer dans ces conditions « sûres et durables » dans leurs pays et avaient un titre ukrainien de séjour permanent.
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Ce dernier critère reste difficile à prouver, selon un juriste interrogé, spécialiste du droits des étrangers, qui préfère rester anonyme. En effet, les préfectures considèrent que dans la majorité des cas, si le pays n’est pas en guerre, ses ressortissants peuvent y retourner, malgré le fait qu’ils vivaient jusque là en Ukraine. Il est alors compliqué de justifier d’autres craintes, ou de raisons de ne pas y aller. Cités par l’AFP, des étudiants évoquent par exemple leur besoin de poursuivre leurs études en Europe.
Comme il s’agit d’une première décision et d’une situation exceptionnelle, la législation européenne est peu claire sur certains points. Un flou qui peut être utilisé pour justifier le refus. « La Commission a encouragé les États membres à étendre la protection temporaire aux plus de personnes possibles, et à tenir compte des liens de chacun avec son pays d’origine. Elle leur laisse toutefois une grande marge de manoeuvre. C’est donc plus facile pour un État qui veut verrouiller l’immigration de refuser, en se cachant derrière le droit européen », développe le même juriste.
Le problème peut aussi concerner des conjoints ou conjointes de personnes ukrainiennes. Ils doivent pouvoir prétendre à la protection temporaire, mais la décision est conditionnée à la présence de leur conjoint en France. La Cimade rapporte par exemple le cas d’une femme qui a fui l’Ukraine vers la France, dont le mari a dû rester sur place pour participer au conflit, et qui n’a donc pas pu obtenir la protection.
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Après le refus de la protection temporaire, certains de ces non-ukrainiens sont orientés vers une demande d’asile. « C’est une procédure longue, dont le sort est incertain. Pour ceux qui l’obtiendront, ils auront certes un titre de séjour plus solide. Mais ce n’est pas la majorité », regrette pour sa part Gérard Sadik. Cela concerne notamment les étudiants qui vivaient en Ukraine, et qui ne viennent pas forcément d’un pays en guerre ou considéré comme dangereux.
Le juriste ajoute que ces procédures, même si elles aboutissent en faveur des demandeurs, leur font perdre du temps. « Leurs droits au logement ou à l’allocation pour demandeur d’asile ne sont pas ouverts tant qu’on est dans une procédure contentieuse », précise-t-il. Des décisions vécues comme des injustices par ceux qui ont fui la guerre comme les Ukrainiens.