Fil d'Ariane
Pendant un mois, une association a confié des appareils photos à des sans-abri pour qu’ils montrent la rue de leur point de vue. C’est devenu une exposition autour de l’Hôtel de Ville de Paris.
Le ciel est gris et il pleuviote. Pas vraiment le temps idéal pour s’attarder dehors. Et pourtant, le regard des passants s’arrête sur ces clichés accrochés aux grilles de l’Hôtel de Ville de Paris. Touristes ou Parisiens, certains stoppent leurs pas pour lire les légendes, prendre une photo de ces bribes de vies passées dans la rue et mises en images par les sans-abri eux-mêmes.
Montrer la rue d’un autre point de vue. C’est le projet proposé par l’association française Deuxième marche qui s’occupe de la réinsertion des personnes en grande précarité. Pendant un mois, elle a confié des appareils photos à douze personnes sans domicile fixe de la capitale pour qu’ils prennent en photo leur ville, leur vie.
S’ils le souhaitaient, ils pouvaient être accompagnés d’étudiants en école d’art qui se sont, de fait, rapprochés des sans-abri choisis par l’association pour participer au projet.
« C’est un belle expérience et un beau souvenir », retient Yen qui a aidé Michèle et Michel. « Quelques annulations, des rencontres en coup de vent pour arriver à un attachement mutuel assez important et une confiance entière allouée en ma personne », lit-on dans le témoignage de Serena, marraine de Jean-Marc.
Les photos prises ont ensuite été soumises à un jury de professionnels parmi lesquels figurent le premier adjoint de la mairie de Paris Bruno Julliard, le danseur étoile Nicolas Le Riche, le réalisateur Claude Drexel, le photographe Gregory Wait, … Trois clichés ont été choisis :
Sur le site Wipplay, les internautes pouvaient aussi voter pour leurs clichés favoris.
Les photos de leur vie quotidienne ne sont jamais empreintes d’apitoiement et certaines se retrouvent magnifiées, par le cadrage et l’éclairage. Les compagnons d’infortune, la nuit, la solitude, l’incertitude, l’envie de s’en sortir figurent sur ces clichés de manière parfois métaphorique. (voir le diaporama ci-dessous) S’affichent sur ces images ce que nous ne pouvons (voulons) pas (plus) voir.
Marie-Jo, une Suissesse de passage à Paris, confie : « quand on passe à côté d’eux, on est un peu indifférents, par habitude, parce qu’on est pressés et qu’on est aussi beaucoup sollicités. Les montrer par des photos, c’est ne pas les oublier. »
En investissant la rue, leur lieu de vie, cette exposition met en avant des personnes qui, souvent, passent (presque) inaperçues aux yeux des passants. Dans certaines villes, la municipalité préfère même les chasser. Une polémique est ainsi née à Angoulême (France) fin décembre après la mise en place de grillages pour empêcher les SDF de se coucher sur les bancs publics. Face aux critiques, les grilles ont été retirées.
Sortir des sans-abri de l’anonymat permet aussi de se rendre compte de leurs parcours professionnel, et des pépins de la vie qui les ont fait tomber : abandon, alcool, difficultés économiques, … « C’est touchant de découvrir leurs histoires personnelles », raconte Dylan, un collégien. « En voyant le parcours de certains, on se demande comment ils en arrivent là, dans la rue », s’interroge Amandine.
Le but de l’initiative est de les réhabiliter pour qu’ils s’en sortent. Pour certains comme Lorenzo Barranco, l'affaire est en bonne voie. Il se définit lui-même dans l’exposition : « 55 ans, un ex de la rue en chemin ».
« L’art est une manière de trouver sa complète personnalité, et cette expérience peut permettre aux participants de compléter leurs CV », expliquait au journal La Croix Elisabeth Tiberghien, fondatrice de l'association Deuxième Marche. Elle précisait aussi à France Inter que depuis cette exposition, l'un des sans-abri photographes « a trouvé un travail de jardinier. Un autre, qui est un ancien informaticien, a retrouvé du travail.»
L’initiative de l’association Deuxième marche fait écho à d’autres comme « un sourire s’il vous plaît », une série de photo qui mettait en scène des SDF avec des affiches portant un message décalé : « J’ai perdu ma situation, vous ne l’auriez pas retrouvée par hasard ».
En 2012, à San Francisco (Etats-Unis) un sans-abri surnommé « Mo » racontait sa vie en vidéo. Il filmait son quotidien grâce à une petite caméra fournie par un passant et avec qui il avait sympathisé. Ce dernier s’occupait de monter et de publier ensuite les vidéos sur les réseaux sociaux.
L’association Deuxième marche a décidé, elle, de mettre les clichés en vente sur son site internet pour répondre peut-être à cette question qui encadre l’exposition : « Et si la photographie pouvait aider à la réinsertion ? »