Quels sont les faits reprochés aux soldats français ?
Selon des informations révélées, mercredi 29 avril, par le quotidien britannique The Guardian, des forces armées internationales, dont des soldats français, sont accusés de viols et d’abus sexuels sur plusieurs mineurs centrafricains de moins de 15 ans. Les faits auraient été commis en 2014 durant l’opération Sangaris en Centrafrique, où l’armée française était intervenue pour empêcher une guerre civile. Ces informations proviennent d'un rapport confidentiel de l'ONU, communiqué au journal par l'ONG américaine Aids-Free World.
Le rapport accablant contient des témoignages recueillis par un agent du BINUCA (Bureau Intégré de l’Organisation des Nations Unis en Centrafrique), et par des membres de l’UNICEF. Une dizaine d’enfants, âgés de 8 à 15 ans, affirment qu’en échange de nourriture ou sous la menace, des soldats français ont abusé d’eux sexuellement. Certains disent avoir été violés ou abusés et d’autres assurent avoir assisté au viol de leurs camarades. Les faits auraient été commis « sur le site de l’aéroport de M’Poko, à Bangui, entre décembre 2013 et juin 2014 », où s’étaient réfugiés de nombreux civils fuyant les combats, selon le ministère français de la Défense.
Quelles sont les réactions en France ?
La France prend connaissance de ce rapport le 29 juillet 2014 lorsque Anders Kompass, cadre de l'ONU (voir ci-dessous), le livre au ministère français de la Défense. Le jour-même de sa réception, le ministère saisit « le Parquet de Paris sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénal » qui a ouvert « une enquête préliminaire, toujours en cours ». Elle doit permettre de vérifier les faits par le biais d’auditions, et d'établir les responsabilités le cas échéant. Des membres de la gendarmerie prévôtale, qui assure la police judiciaire aux armées, sont partis dès août 2014 en Centrafrique pour mener leur enquête.
Neuf mois plus tard, les révélations faites par The Guardian, mercredi 29 avril, entraînent de nombreuses réactions en France. Le ministère de la Défense a assuré qu’il prendrait « toutes les mesures nécessaires pour permettre la manifestation de la vérité. Si les faits étaient avérés, il veillera à ce que les sanctions les plus fermes soient prononcées à l’égard des responsables de ce qui serait une atteinte aux valeurs du soldat ».
Le président François Hollande n'a pas tardé à réagir en déclarant, ce jeudi 30 avril, qu’il serait « implacable si certains militaires se sont mal comportés ». La secrétaire d’Etat française en charge de la Famille, Laurence Rossignol, s'est elle aussi exprimée : « On sait très bien que dans les opérations de guerre ou dans les pays en désordre, ce sont les femmes et les enfants qui sont les victimes des prédateurs. Cela veut dire que ceux qui sont là pour les protéger seraient eux-mêmes des prédateurs. D’un certain point de vue, c’est un double crime ».
Dans l’opposition, peu de réactions. Le député UMP Thierry Solère, invité sur la chaîne d'inormation française I-télé, s’est dit « consterné » par ces « faits très graves ». « Manifestement, le gouvernement était au courant depuis longtemps, assure-t-il, en demandant « la transparence ». Mais le ministère de la Défense l’affirme, il n’y a « pas de volonté de cacher quoi que ce soit ».
Par qui le "scandale" est arrivé ?
Ce serait donc Anders Kompass qui aurait livré le rapport confidentiel de l'ONU aux bureaux du ministère de la Défense français le 29 juillet 2014. C’est le quotidien anglais
The Guardian qui divulgue son identité dans ses colonnes, citant des
« sources proches de l’affaire ».
Basé à Genève, Anders Kompass travaille depuis 30 ans aux Nations unies. Il est actuellement directeur d’opérations sur le terrain au Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU. Ce cadre suédois a été en possession d’une version "non-définitive" de ce rapport, dans laquelle figurait toujours les noms des victimes, des témoins et des enquêteurs.
C’est ce que détaille dans un
communiqué l'Organisation des Nations unies qui l’accusent, sans le nommer, d’avoir ainsi fait fuiter un document confidentiel de l’ONU et violé le protocole de l’organisation en le livrant aux autorités françaises
« avant de le fournir au bureau du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU ». En le transmettant, Anders Kompass aurait ainsi voulu réagir face à l’inaction de l’ONU alors que l’organisation avait pourtant ouvert une enquête au printemps 2014.
Anders Kompass est-il donc un lanceur d’alerte ? Pas pour l’ONU, qui considère que son geste
« ne constitue pas un lancement d’alerte. » Mais il dérange. Depuis le 17 avril, ce cadre de l’ONU a été suspendu de ses fonctions et fait désormais l’objet d’une enquête interne. Par la voix de son ambassadeur aux Nations unies, la Suède a prévenu que de sévères tensions diplomatiques sont à attendre si leur ressortissant était poussé à la démission.
« On ne sait pas quand (les hommes suspectés, ndlr)
seront appréhendés, et surtout s'ils le seront. Malheureusement, les Nations Unies n'ont pas l'air de se préoccuper de ces questions-là. Leurs inquiétudes se portent sur cet homme qui a divulgué ce rapport accablant », regrette Paula Donovan, interviewée par
Le Point. Elle est co-directrice du groupe américain
Aids-Free World qui milite pour une commission d’enquête indépendante sur les abus sexuels perpétrés par des soldats de la paix. Dans cette interview, elle indique avoir reçu le rapport en ce mois d’avril et a décidé de le transmettre ensuite au journal anglais
The Guardian. >>
Lire nos articles sur les lanceurs d’alerte, qui sont-ils et comment sont-il protégés ? Cette enquête menée sur Anders Kompass au sein de l’ONU ne serait pas la première. Selon lemonde.fr :
« des câbles révélés par WikiLeaks avaient mis en lumière un conflit d'intérêt sur la question du Sahara Occidental. Il était alors soupçonné d'avoir informé les Marocains sur la question, et d'avoir empêché des enquêtes sur la question des droits de l'homme sur place. Convoqué, M. Kompass avait nié. Son ordinateur de travail avait été saisi mais n'avait rien révélé. »Que peut-il craindre aujourd'hui de l’ONU ? Anders Kompass risque avant tout des sanctions professionnelles, administratives. Quels sont ses recours ? Il peut saisir le tribunal administratif des Nations unies, une sorte d’équivalent dans la société civile du Conseil des Prud'hommes.
Que peuvent craindre les soldats
L’enquête menée depuis le printemps 2014 par l’ONU sur ces allégations d’abus sexuels en Centrafrique, pouvait-elle aboutir ?
« Chaque année, le secrétaire général (de l’ONU, ndlr)
publie un document listant toutes les allégations d'abus sexuels (commis par les troupes onusiennes, ndlr)
. Il y a de nombreux cas, mais l'ONU ne fait rien, ou si peu. Cette situation dure depuis une vingtaine d'années », explique Paula Donovan d’Aide Free World à l’hebdomadaire français Le Point.
Dans ces dernières révélations sur la Centrafrique, il s’agit bien de militaires français de la mission militaire Sangaris déployée en Centrafrique. Quel droit s’applique à eux, devant quelle juridiction peuvent-ils être traduits ? Plusieurs responsabilités pourraient être engagées dans cette affaire, si les faits sont avérés et selon les détails qui seront fournis par l’enquête en cours.
La responsabilité de l’Etat français pourrait être engagée si ces militaires avaient commis des viols alors qu'ils portaient leurs uniformes et qu’ils étaient en mission militaire française. Mais ces actes de violence peuvent aussi relever de la responsabilité des Nations unies si ces militaires étaient en mission sous l’égide de l’ONU. Et enfin, si les soldats français ont commis ces viols quand ils n'étaient pas en service, c’est en tant que personnes qu’ils pourraient être jugés dans le pays théâtre des faits. Mais ce ne sont ici que des hypothèses.
Avant ces accusations contre des soldats français Centrafrique, l’ONU a déjà été confrontée aux problèmes de violences sexuelles perpétrées par ses forces sur le terrain.
Fin mars 2015,
The Guardian (déjà) publie des informations provenant d’un rapport interne de l’ONU qui a fuité. C’est en réalité une analyse des missions onusiennes au Congo, Haïti, Liberia et Soudan du Sud où 85% des abus sexuels seraient perpétrés par des soldats de la paix. Les documents soulignent l’impunité dont ils jouissent en dépit d’une politique de tolérance zéro affichée par l’organisation et son Secrétaire général, Ban Ki-Moon en tête.
Dans ces cas là, comment et par qui peuvent-ils être sanctionnés ? La réponse reste complexe quand il s’agit de militaires de différents pays travaillant pour l’ONU. Il n’existe pas de droit pénal onusien : ces soldats de la paix relèveraient donc du régime juridique du pays où ils sont envoyés, sous réserve qu’il soit compatible avec les standards du droit international.
En vertu d’un accord signé entre l’ONU et les autorités du pays où l’organisation intervient, la juridiction alors compétente qui se charge des poursuites est celle des Etats qui ont envoyé leurs troupes sous l’égide des Nations unies.
L’affaire se complique si la responsabilité de l’ONU est engagée parce qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher les faits. Le droit international reste flou quant à savoir qui de l’ONU, de l’Etat d’origine des soldats, ou des personnes elles-mêmes sont responsables.