“Désintoxication numérique“ : faut-il se soigner de l'overdose d'écrans ?

En quelques années, les habitudes des citoyens des pays industrialisés ont radicalement changé. Les écrans ont envahi tous les pans de la vie, et certains de mettre en garde contre le trop plein technologique. Sommes-nous tous des candidats potentiels à une cure de désintoxication aux écrans, concept de plus en plus en vogue outre-Atlantique ?
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“Désintoxication numérique“ : faut-il se soigner de l'overdose d'écrans ?
Camp de déconnexion américain pour drogués du net, de l'organisation Digital Detox
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En Amérique du Nord, ce sont des centres de cures de désintoxication qui ouvrent leurs portes aux “drogués de la technologie” ; en Europe, des hôtels qui offrent de confisquer tous vos appareils dès votre arrivée. Ees lieux publics vantés "sans wifi", des écoles françaises qui établissent "une semaine sans écran" : l'addiction technologique est devenue une vraie problématique. Travail, vie quotidienne, éducation, loisirs : les écrans sont partout et captent l'attention de tout un chacun, avec leur lot de désagréments de plus en plus reconnus — une fois la période du plaisir de la découverte et de la nouveauté passée. Au point que des chercheurs en neurosciences alertent sur les effets délétères des écrans sur le développement des enfants et sur la vie humaine en général. Pendant que des centres de désintoxication au numérique font le plein de "digital addicts" ("accros au numérique") aux Etats-Unis.

Des études inquiétantes à propos des enfants

“Désintoxication numérique“ : faut-il se soigner de l'overdose d'écrans ?
Le trop plein d'écrans et les enfants : des retards et des problèmes psychologiques à la clef ? (Photo : P.Hérard)
Le temps passé devant la télévision par un Français est en moyenne de 3 heures 47 minutes par jour, selon la dernière étude de L'INSEE en date sur le sujet. Cette durée quotidienne représente onze années passées devant le poste sans dormir, pour quelqu'un ayant une espérance de vie de 80 ans. Les enfants de 8 ans passent 850 heures à l'école par an, et en dehors de celle-ci, 1200 heures devant des écrans.

Ces constats ont amené des chercheurs à se pencher sur les effets produits par les activités à base d'écrans, comme celles centrées sur la télévision : un enfant de 3 ans passant une heure quotidienne devant le poste augmente de 100% la possibilité de développer des troubles de l'attention à 8 ans. Deux heures par jour devant le poste pour un enfant entre 15 et 48 mois multiplient le facteur d'un possible retard de langage par trois. Michel Desmurget, chercheur français spécialisé en neurosciences cognitives a publié, en 2011, un ouvrage qui étudie les effets très inquiétants de la consommation télévisuelle quotidienne, et dont sont tirées ces statistiques : "TV Lobotomie - la vérité scientifique sur les effets de la télévision" (vidéo en encadré).

Avec la prise de conscience de ces problèmes, des défis sans écran ont été lancés au sein d'établissements scolaires en France, sur le modèle canadien. L'école élémentaire de Versonnex a décidé d'établir une semaine sans écran en 2013, et réitère l'expérience cette année. Le principe est simple : "La semaine sans écran propose de discuter à l'’école et dans les familles de cette consommation (avantages et dangers potentiels), de réfléchir à notre manière de les utiliser, puis de se lancer ensuite un défi simple : Peut-on vivre une semaine en utilisant le moins possible ces fameux écrans ? La semaine sans écran propose de nous séparer un moment de ces outils électroniques, et de (re)découvrir d’'autres manières de se divertir et de communiquer. Un défi à relever pour les uns, une montagne infranchissable pour les autres."

Des exemples d'activités alternatives sont donnés par l'école : jeux de société, couture, jardinage, vélo, bricolage, cuisine, sports, balades, bibliothèque, visites…

Au Canada, la Société canadienne de pédiatrie reconnaît que "la surexposition aux écrans entraîne divers problèmes de santé, tels qu'un risque accru de consommation de tabac, alcool et autres substances, de comportement et d'attitudes agressives, de mauvaise nutrition et d'excès de poids. À cette liste, d'autres études ajoutent l'obsession de l'apparence, l'adoption hâtive de comportements sexuels à risques et l'hyper-sexualisation. Enfin, on sait maintenant que le temps-écrans peut aussi nuire aux apprentissages scolaires, y compris la lecture, premier facteur de réussites éducatives".

Quand la relation aux autres se modifie

“Désintoxication numérique“ : faut-il se soigner de l'overdose d'écrans ?
L'enfermement technologique nous guette-t-il, au propre et au figuré ? (Photo : P.Hérard)
En 2006, un sondage indiquait que 54% des Français avaient le sentiment de passer moins de temps ensemble en raison des avancées technologiques. En 2012, ils étaient plus de 70% à le penser. L'arrivée des smartphones et des tablettes a accentué un phénomène qui commence tout juste à être pris en compte dans les sociétés industrielles : l'enfermement, ou repli technologique. La capacité des appareils à la miniaturisation a permis un nomadisme technologique, couplé à une ruée des utilisateurs vers les réseaux sociaux et autres outils de communication en ligne. En quelques années, un nombre croissant de personnes se sont vues happées par l'ultra-communication : consultation de ses mails au lit, regarder la télévision tout en échangeant sur les réseaux sociaux avec une tablette tactile, échanges de tweets, de messages Facebook, de SMS dans les transports en commun, au travail, en vacances... Ces pratiques sociales numériques se font au détriment des relations humaines concrètes entre individus physiques.

Dans les familles, les enfants devant des écrans interagissent de moins en moins avec leurs parents qui, eux-mêmes, se mettent à échanger de moins en moins entre eux, les yeux rivés sur les messages de leurs ordinateurs, tablettes, ou smartphones.

Si l'addiction aux nouvelles technologies n'est pas encore répertoriée dans le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ndlr), celle aux jeux vidéo y figure parmi les troubles du comportement. Aux Etats-Unis, ce problème a vu fleurir des propositions d'aides à la désintoxication numérique comme le programme reSTART, qui propose des programmes de désintoxication à Internet. Cet organisme prône "une relation soutenable aux technologies numériques" et ressemble à s'y méprendre aux fameux AA, les Alcooliques Anonymes. Une autre organisation, "Digital Detox" propose des stages de déconnexion : le principe est d'offrir des retraites dans des lieux où aucun  accès au réseau n'est possible, avec à la clef, pour les participants des activités "analogiques" de type méditation, yoga, écriture, découverte de la nature…

Ces organismes constatent que le stress moderne s'est accentué avec l'utilisation de plus en plus intensive des technologies numériques, engendrant une perte de repères et des effets sur la santé conséquents : problèmes de sommeil, prise de poids, troubles de l'attention, dépressions, anxiété, etc. Les résultats d’une étude publiée sur le site de Digital Detox, démontre qu’un Américain moyen passe entre huit et douze heures par jour devant un écran, et que 50% des Américains admettent être "accros" à Internet. Ne pas avoir de réponse à un message électronique, par exemple, génère de grandes angoisses, et obligent de nombreuses personnes à se lever la nuit pour aller vérifier, qui sa boite mail, qui son blog ou son mur Facebook.
 

Un nouvel art de vivre à inventer ?

“Désintoxication numérique“ : faut-il se soigner de l'overdose d'écrans ?
Le livre de Thierry Crouzet a fait grand bruit et lancé un débat sur l'addiction au net en France
L'idée de vivre sans aucun écran est devenue difficile à imaginer, même si certains “ultra-connectés” ont tenté l'expérience, et démontrent que c'est une possibilité envisageable. Thierry Crouzet en a tiré un livre, dont le résumé appelle à se questionner sur les nouveaux modes de vie qui pourraient se construire dans l'optique d'une prise de conscience de ces problématiques d'addiction aux écrans : "Épuisé par quinze ans d’hyperactivité en ligne, Thierry Crouzet, gourou des réseaux sociaux et auteur de nombreux ouvrages sur les nouvelles technologies, entame une cure de désintoxication. Il prévient ses milliers d’amis Facebook et Twitter qu’il les quitte durant six mois. Il disparaît du Net pour se sevrer. Au fil des jours, il nous raconte avec humour ses crises de manque, sa vie « débranchée », puis comment il se reconstruit, en quête d’un art de vivre à l’époque d’internet."

Serions-nous en train de découvrir que la technologie n'a de sens que si elle est véritablement maîtrisée et contrôlée par les individus qui l'utilisent, et qu'en toute chose "il faut savoir raison garder", comme le prônait le philosophe Aristote ? Les années à venir sont en tout cas un vaste champ d'expérimentation pour tenter de construire ce fameux "art de vivre à l'époque d'Internet" dont parle Thierry Crouzet. Avec ou sans passage par une cure de désintoxication aux écrans…

 

“J'ai débranché : comment revivre sans Internet après une overdose“

Livre de Thierry Crouzet sur son expérience de déconnexion

“J'ai débranché : comment revivre sans Internet après une overdose“