Fil d'Ariane
“C’est un moment décisif dans l’histoire de notre pays” assure Mahamat Idriss Déby lors de son discours d’ouverture du Dialogue national inclusif (DNI). Quatorze mois après son arrivée au pouvoir à la tête d'un Conseil militaire de transition (CMT), le 21 avril 2021, le fils et héritier d’Idriss Déby lance la grande consultation démocratique qui doit permettre au pays de sortir de la transition militaire.
Quelque 1 400 délégués, membres de syndicats, de partis politiques et du CMT, se réuniront pendant 21 jours au Palais du 15 Janvier, au cœur de la capitale N'Djamena, pour discuter de la réforme des institutions et d'une nouvelle Constitution. Surtout, le dialogue national doit déboucher sur la tenue d’élections "libres et démocratiques".
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La période de transition censée durer 18 mois, touche à sa fin, mais peut être renouvelée une fois. Le Tchad semble loin de tourner la page de la junte militaire au pouvoir depuis la mort d’Idriss Déby Itno. Le dialogue national, initialement prévu pour la mi-février, démarre avec six mois de retard. En cause, les difficiles négociations avec les nombreux groupes rebelles, lors d’un “pré-dialogue” au Qatar qui a duré plus de cinq mois. Des discussions qui se sont soldées par le retrait d’une partie de l’opposition de l'accord de Doha, qui fixe les modalités du dialogue national.
C’est donc dans un contexte difficile que s’ouvrent ces discussions, même si Eric Topona, journaliste pour la Deutsche Welle, reste optimiste. “C’est une initiative à saluer. Les Tchadiens doivent se parler, c’est toujours mieux que la guerre ! Il faut déposer les armes et discuter, ce dialogue doit permettre de se mettre d’accord sur une charpente pour ce que sera le Tchad de demain” estime ce Tchadien, exilé en Allemagne depuis 9 ans.
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La communauté internationale salue elle aussi cette initiative. Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a félicité le Tchad pour ce dialogue, dans lequel il voit une "opportunité historique de poser de nouvelles fondations pour la stabilité" du pays. Une position partagée par la France et l’Union africaine, qui soutiennent depuis le début le CMT de Mahamat Idriss Déby et l’idée d’une transition rapide vers un Tchad démocratique.
Malgré le désistement de certains groupes d’opposition, cette consultation nationale est un signe positif pour Eric Topona aussi. “Quarante mouvements rebelles sur une cinquantaine ont accepté de participer, c’est déjà positif”, assure-t-il, tout en reconnaissant que “ceux qui ne participent pas, ont aussi des revendications légitimes”. Cette opposition se méfie en effet d’une prolongation de la période de transition, et craint une dérive autoritaire depuis que Mahamat Idriss Déby a affirmé “remettre son destin à Dieu” quant à une éventuelle candidature à la présidentielle. Il avait pourtant assuré qu'il ne serait pas candidat.
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Le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), l'un des principaux groupes rebelles à l'origine de l'offensive qui a coûté la vie à Idriss Déby, n'a pas signé l'accord de Doha et ne participera pas au dialogue le considérant "biaisé d'avance".
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Le Wakit Tama, principale coalition de partis d'opposition et de membres de la société civile, a également refusé de participer au dialogue, accusant la junte de perpétuer des "violations des droits humains" et de préparer une candidature à la présidentielle du général Déby. Des inquiétudes que le président de transition n’a pas apaisé depuis, malgré les demandes de l’opposition, qui exige des garanties qu’il ne sera pas candidat.
Le risque que les promesses du dialogue national ne soient pas tenues existe - “elles ne l’ont jamais été jusqu’à présent” rappelle Eric Topona. Mais pour lui, le dialogue national reste un signal d’espoir, qui signe la fin de “la première phase” de transition au Tchad. Le calendrier actuel fixe au 20 octobre la fin de la transition : un objectif impossible à tenir pour Eric Topona, pour qui une prolongation de la transition militaire est inévitable.
À ses yeux, la prolongation n’est pas une mauvaise nouvelle en soi, si les différents acteurs du pays parviennent à se parler “avec sincérité”. “Il faut qu’ils renoncent à la voie des armes, et qu’ils s’entendent, avec les acteurs locaux, sur les grands principes de la transition”.
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Pour lui, l’enjeu est de permettre aux Tchadiens de faire entendre leurs revendications pacifiquement. “Il s’agit de déposer les armes et de signer un contrat pour le Tchad de demain”, pour permettre au pays de connaître une vie politique apaisée et démocratique - pour la première fois.