Diên Biên Phu : 70 ans après, que commémore-t-on ?

Sébastien Lecornu, ministre des Armées, est à Hanoi avec la secrétaire d’État aux Anciens combattants, Patricia Miralles. Tous deux participeront, pour la première fois le 7 mai, à la commémoration des 70 ans de la bataille de Diên Biên Phu au Vietnam. Une défaite qui marque le début de la fin de la colonisation française.

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Un tireur d'élite Algérien engagé dans la bataille de Dien Bien Phu, le 14 mars 1954.

Un tireur d'élite Algérien engagé dans la bataille de Dien Bien Phu, le 14 mars 1954.

© AP Photo
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La chute du camp retranché de Diên Biên Phu, le 7 mai 1954, durant la guerre d'Indochine (1946-1954) a eu à l'époque un immense retentissement. Elle a inspiré d'autres mouvements de libération contre la colonisation ailleurs dans le monde. 

Voir Vietnam : il y a 70 ans, la défaite de Diên Biên Phu

Inviter la France à participer à cet anniversaire est un "signe de la volonté de construire une relation pour l'avenir", indique le ministère français des Armées. "Il y a une volonté partagée de regarder de manière lucide et ouverte cette histoire de la guerre d'Indochine"

Le mythe de l'héroïsme du soldat français

Cette invitation a valeur de symbole parce que cette bataille a marqué la mémoire collective française, notamment grâce à deux films, "Les Centurions", inspiré du livre éponyme de Jean Lartéguy et "La 317e section" de Pierre Schoendoerffer. Ils ont contribué à créer ce mythe, transfigurant cette défaite sanglante en exaltation du sacrifice héroïque du soldat français.

Car la bataille a laissé en France le souvenir d'une humiliation militaire, tandis qu'elle demeure un symbole d'immense fierté pour l'Armée populaire du Vietnam.

Revoir : Seconde guerre mondiale : quand la France enrôlait de force des travailleurs indochinois

Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, va se rendre le 7 mai "à la cérémonie vietnamienne, puis à l'hommage aux morts dans un cimetière militaire vietnamien". Il rendra un hommage distinct aux soldats français, au mémorial de Dien Bien Phu.

La bataille de Dien Bien Phu

Dien Bien Phu est située à 250 km de Hanoi, dans le haut pays Thaï, à la frontière du Laos. C'est une vallée de 16 km sur 9, entourée par des collines.

L'Indochine en 1954

L'Indochine en 1954

© TV5MONDE

Les Français commencent l’aménagement de la zone, fin novembre 1953, en construisant onze positions fortifiées sur les collines surplombant le village. Elles portent toutes des prénoms féminins : Claudine, Huguette, Beatrice ….

En décembre 1953, la garnison française compte près de 10 000 hommes. En face, le commandant du Viêt-minh, le général Giap, rassemble 70 000 soldats.

Les combats s’intensifient à partir du 13 mars 1954. Le Viêt-minh prend le contrôle de "Béatrice" et "Gabrielle" essentiellement tenues par des légionnaires et des tirailleurs algériens. 

Grâce aux parachutages, les forces françaises atteignent jusqu'à 15 000 hommes. À partir du 27 mars, alors que la pluie tombe sans discontinuer, aucun avion ne peut ni atterrir ni décoller du camp retranché. Les assiégés ne sont plus relevés. Les blessés des deux camps sont soignés sur place. Le général Giap peut compter sur 70 000 combattants régulièrement relevés, et 60 000 auxiliaires – des civils - dont les missions sont de construire les routes et de transporter des ravitaillements et du matériel.

C'est dans ce contexte qu'est née la légende du ravitaillement de l'armée du Viêt-minh. Cette livraison a été assurée par environ 21.000 vélos lestés d'une masse de 200 kilos d'armes et de nourriture.

Le 1er mai, le Viêt-minh lance à 22 heures son offensive générale. Le 7 mai "Claudine", "Éliane" et le PC sont perdus. Le cessez-le-feu est annoncé à 18 heures.

(source Les Chemins de mémoire, Ministère français des Armées)

Le voyage au Vietnam des derniers vétérans 

Trois derniers survivants français ont été invités aux célébrations. Tous nonagénaires, Jean-Yves Guinard, William Schilardi, et André Mayer n’ont rien oublié de Dien Bien Phu.

"Ce pays nous a séduits", lance Jean-Yves Guinard 92 ans, "mais cela ne suscite pas de l'oubli en nous. Je viens au nom de mes camarades disparus."

Voir Vietnam : trois vétérans français invités à Diên Biên Phu

Le colonel, ancien membre du 8e bataillon de parachutistes coloniaux, a tenu le 6 mai à monter à pied au sommet de la colline Béatrice, malgré les averses qui ont rendu le chemin boueux et glissant.

Dans les tranchées, j'avais vu des membres, des cadavres... Je ne peux pas vous en dire plus. William Schilardi, ancien combattant français de 90 ans

À ses côtés, William Schilardi, 90 ans, évoque les combats au couteau et à la baïonnette dans les kilomètres de tranchées creusées dans la plaine, à la frontière du Laos. Lors de l'ascension, "j'ai eu des flashs (...) Dans les tranchées, j'avais vu des membres, des cadavres... Je ne peux pas vous en dire plus", lâche-t-il, la gorge nouée par l'émotion.

Des Français de métropole et des anciennes colonies

La bataille de Diên Biên Phu coûte au corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient (CEFEO) plus de 3 000 hommes, 1 700 morts et 1 600 disparus. 4 400 soldats français sont blessés et font partie des 10 300 prisonniers. Du côté vietnamien, les pertes se chiffrent à au moins 8 000 hommes et à plus de 15 000 blessés. 

Des dizaines de milliers de Français d'Afrique, d'Afrique du nord et d'autres colonies, ont combattu pour la France en Indochine. Entre 1947 et 1954, plus de 120.000 Maghrébins, dont la moitié originaires du Maroc, pas encore indépendant, ont garni les rangs de l'armée française en Indochine.

Ils étaient dans l'autre camp, mais c'était lors de la guerre. Aujourd'hui, ils sont les bienvenus au Vietnam. Le Tien Bo, un ancien soldat vietnamien de 64 ans

Seuls 3 300 prisonniers sont rendus à leurs familles. Les autres, souvent laissés sans soins, épuisés, affamés, parfois sommairement exécutés, perdent la vie sur les routes qui les conduisent à leur lieu de détention et dans les camps du Viêt-minh. 

70 ans après, la réconciliation

Devant le musée de la Victoire de Diên Biên Phu, des habitants et des touristes locaux ont offert, le 5 mai, un bain de foule inattendu aux trois nonagénaires. 

Le Tien Bo, un ancien soldat vietnamien de 64 ans, serre la main d'un autre ancien combattant : "C'est en signe d'amitié. Ils étaient dans l'autre camp, mais c'était lors de la guerre. Aujourd'hui, ils sont les bienvenus au Vietnam."

Les deux vétérans interrogés par l'AFP regardent d'un bon œil la réconciliation avec une terre à laquelle ils restent attachés. Eux-mêmes ont œuvré dans des associations qui ont bâti des ponts entre les jeunesses des deux pays dans leur vie d'après. 

Ce 6 mai, Sébastien Lecornu s'entretient avec son homologue Phan Van Giang et le Premier ministre Pham Minh Chinh. Paris veut développer sa coopération stratégique avec Hanoï, sur le modèle de celle tissée en particulier avec l'Indonésie et les Philippines.