Dijon, Joué-lès-Tours, Nantes...les médias en font-ils trop ?

Après les attaques à répétition de Dijon, Joué-lès-Tours et Nantes, François Hollande a appelé les Français à faire preuve de "sang-froid" et les autorités à la "vigilance". Des propos rassurants qui ne reflètent pas le message de certains politiques, complaisamment relayé par quelques médias. Ces derniers n'en font-ils pas trop autour de ces trois affaires ? Eléments de réponse avec Jean-Marie Charon, sociologue et spécialiste dans l'étude des médias et du journalisme. 
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Dijon,  Joué-lès-Tours, Nantes...les médias en font-ils trop ?
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Selon vous, y a-t-il un emballement médiatique autour des trois affaires : Dijon, Joué-lès-Tours et Nantes ? 
Oui, cela me paraît évident. Est-ce parce que les médias sont suivistes par rapport au ministère de l'Intérieur ou parce qu'eux-même ont un manque de matière en cette fin d'année ? Ce qui m'a frappé le weekend dernier, c'est le rapprochement qui a été fait entre l'affaire de Joué-lès-Tours et celle de Dijon. On a des présentateurs qui font un lien direct et qui, ensuite, vous expliquent finalement que ce n'est pas la même chose. 
C'est un processus bien connu. Lorsqu'un fait divers est un peu insolite et que, dans les jours suivants, il se passe un événement un peu similaire, les faits vont souvent être plus médiatisés que d'habitude et on va les associer. 
Par exemple, sur France inter, dimanche matin, Denis Astagneau faisait un lien entre les deux policiers tués à New York (ils ont été tués par balle samedi 20 décembre par un homme qui a également trouvé la mort, ndlr) et les deux policiers poignardés à Joué-lès-Tours (également samedi 20 décembre, ndlr). Les registres n'avaient rien à voir l'un avec l'autre, mais il faisait quand même le lien. On crée artificiellement une relation mais les contextes sont différents. Il y a là quelque chose qui relève d'une pratique journalistique assez limite.
Ces rapprochements interviennent dans un contexte particulier : anxiété par rapport au terrorisme, à la montée de l'EI, du djihadisme… Cette dimension vient surement s'ajouter au phénomène d'emballement. 
On pourrait également faire un lien avec un contexte assez malsain qui se développe en ce moment autour de l'islamophobie, le débat autour de Zemmour. Tous ces éléments, peuvent expliquer pourquoi des faits qui auraient été relativisés dans un autre contexte, vont donner le sentiment de faire sens et vont être mis en avant dans les rédactions. 
De plus, nous sommes dans une période où l'actualité se ralentit un peu à cause des fêtes. Du coup, les rédactions vont donner davantage de place à certains événements alors que dans une période plus dense, l'actualité politique, internationale occuperait davantage le devant de la scène.

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Le journal Le Parisien titrait hier "Peur sur Noël", que traduit cette Une ? 
Ce titre me fait plus penser au Parisien libéré qu'au Parisien tout court. On a connu un Parisien libéré qui était plutôt porté sur des Unes et des titres de cette nature alors qu'après le journal développait des contenus plus sociétaux. Mais, en même temps, le journal est en difficulté : l'année dernière il a perdu 10% de ses lecteurs. Peut-être faut-il faire un lien... Dans un contexte difficile, il y a peut être une manière de retourner à de vieilles recettes : jouer sur les peurs. 
Je pense que si les médias sont sur cette tonalité là, c'est parce qu'ils sont un peu en phase avec la sensibilité française en ce moment. Mais d'un autre côté, je ne sais pas si ce sont encore les médias qui ont la main. Il suffit de circuler sur Twitter, sur Facebook, pour voir comment ces événements là, en quelques minutes, prennent une importance, créent un climat avant même que ce genre de Une ne sorte. 
Quel sont les éventuels effets de la surmédiatisation de ce genre d'événements ? Cela peut-il entraîner une sorte de mimétisme ? 
C'est très compliqué. Il y a pas mal d'études qui ont été faites aux Etats-Unis notamment sur les questions de réception. Ce qui apparait le plus c'est qu'il n'y a pas de réponse unifiée dans le public.
Il peut y avoir des phénomènes de mimétisme, de répétition qui vont toucher quelques individus qui vont effectuer des actes de ce type là. Ce qu'on constate c'est que les actes des individus auraient probablement eu lieu. En revanche, leur mode opératoire peut être nourri par l'actualité. 
Pour la très grande majorité du public, des personnes confrontées aux informations, il n'y aura pas forcément ces effets. Cela dépend des caractéristiques du public, de chacun d'entre nous…  
On a eu les mêmes genres d'interrogations au début de la presse populaire parce qu'on traitait de faits divers dans les quotidiens. Au moment où la presse populaire a fait des suppléments illustrés, on a craint qu'ils soient facteurs de répétition (c'est-à-dire que les gens pouvaient être influencés par ce qu'ils lisaient, ndlr). D'ailleurs, on a des textes de loi en France qui interdisent de montrer les circonstances d'un crime. C'est précisément parce qu'à la fin du 19ème siècle, on craignait que les montrer puissent provoquer la répétition de ces crimes. Quand la télévision est apparue, on a eu exactement la même inquiétude. C'est aussi pour cela que l'article 11 dans le code pénal impose le secret de l'instruction et de l'enquête. 
Dans les années 50, on pensait que certains crimes avaient eu lieu parce qu'on avait fait état des circonstances dans lesquels ces crimes étaient perpétrés. C'est quelque chose d'assez lancinant qui est à la fois faux et vrai. Faux pour la plupart d'entre nous et vrai pour quelques individus. 
Ce climat de peur et de psychose, engendré, en partie, par les médias, ne peut-il pas profiter à certains partis politiques comme le FN par exemple ? 
Oui c'est certain. Je disais tout à l'heure que cet emballement médiatique trouve en partie son origine dans le contexte de la montée de l'islamophobie, de la controverse autour de Zemmour… Donc il est clair que certains courants politiques vont pouvoir capitaliser autour de ça.

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