Dilma Rousseff met le Brésil à la diète

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Dilma Rousseff austérité
Dilma Rousseff lors d'une cérémonie officielle au palais présidentiel, le 16 mars 2015, au lendemain de manifestations de masse sur fond de crise économique et politique.
(@AP/Eraldo Peres)
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La présidente Dilma Rousseff lance un vaste plan d’austérité, en contradiction avec toutes ses promesses de campagne. Le climat social et la popularité de la présidente accusent le coup.
A Brasilia, la mode est au régime Ravenna, du nom de ce médecin argentin qui a réussit l’exploit de faire maigrir Diego Maradona. Ce nouveau gourou, qui promet 5% à 10% de perte de poids en quelques mois, a fait de l’exécutif brésilien la meilleure vitrine de son régime drastique : il a déjà convertit la présidente, deux ministres et une secrétaire d’Etat, tandis qu’une députée et une sénatrice se chargent de populariser la cure chez les parlementaires.

Revirement idéologique

Mais si la diète à base de soupes de légumes semble tenir toutes ses promesses, comme le souligne la presse brésilienne en chroniquant la nouvelle silhouette de la présidente, le passage sans transition de la lutte des classes à celle contre les féculents s’avère plus délicat pour le Parti des Travailleurs. Après une campagne très clivante contre le retour de l’élite et de l’austérité, Dilma Rousseff a signé un spectaculaire revirement idéologique en nommant Joachim Levy, économiste orthodoxe formé à l’université de Chicago, au ministère des Finances. Ce dernier, avait en effet contribué au programme économique de son rival… 

Le nouveau ministre s’est donc attelé à prendre le contre-pied de toutes les promesses de campagnes, en déroulant des mesures qui frappent durement classes populaires et moyennes : hausse des taux d’intérêts et des taxes sur le crédit, durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage et aux pensions pour les veuves, hausse des taxes sur les voitures, les carburants, l’électricité (qui pourrait augmenter de 40% en 2015). Même les taxes sur les cosmétiques ont augmenté…

Joachim Levy
Le ministre des Finances du Brésil Joaquim Levy lors de la présentation de sa politique budgétaire au Sénat le 31 mars 2015.
(©AP/Eraldo Peres)

Popularité en berne

Autant de signaux qui, conjugués à l’immense scandale de corruption Petrobras, ont fait fondre la cote de popularité de la présidente brésilienne, passée en dessous de 11% moins de six mois après sa réélection. Auprès de ses électeurs, la présidente ne dispose plus que de 19% d’opinions favorables. « Si le gouvernement va au bout de l’ajustement fiscal prévu, cela représentera des coupes budgétaires de l’ordre de 1,2%. C’est un énorme effort qui va peser sur les consommateurs, les producteurs et les gouvernants, » nous explique l’économiste Fernando Ferrari Filho, professeur à l’université de Porto Alegre.

Peur sur la dette

Aux yeux de Brasilia, l’ajustement fiscal est rendu nécessaire par la détérioration du solde brut primaire, un indicateur qui mesure la différence entre les recettes et les dépenses de l’Etat, hors coût de la dette. Ce chiffre, révélateur de la capacité d’autofinancement d’un état, est passé de +2,2% en 2011, à -0,6% en 2014. « Certes, il y a une détérioration des chiffres des comptes publics. Mais bien des pays de la zone euro ont des déficits primaires plus importants. On note aussi que le rythme d’endettement est resté stable, aujourd’hui autour de 63% du PIB. Le déséquilibre fiscal vient avant tout de la hausse des flux financiers liés à la dette publique : le Brésil emprunte à des taux d’intérêts plus élevés, de telle sorte que la charge de la dette représente près de 6% du PIB, » s’inquiète Fernando Filho Ferrari. Pour autant, « si la situation de la dette et des déficits est loin d’être confortable, elle ne justifie pas le vent de pessimisme actuel. Les fondamentaux fiscaux ne sont pas disruptifs, c’est d’abord la baisse des exportations et de la croissance qui posent problème, » estime l’économiste.

Un constat partagé par de nombreux keynésiens, dont Dilma Roussef se réclamait il y a encore quelques mois. Ainsi Luiz Gonzaga Belluzo, qui fut le professeur d’économie de la présidente à l’université, s’insurge contre l’idée « qu’il serait possible de faire un ajustement fiscal avec une économie en décélération et des taux d’intérêts élevés. Comme la collecte des recettes fiscales dépend du niveau d’activité économique, cela ne fera qu’empirer les choses. Cette année, le PIB pourrait chuter de 2%, le chômage augmentera (…) et la dette montera à 70% du PIB, » prévoit-il dans les colonnes de l’hebdomadaire Epoca. Un scénario qui amènerait Dilma Roussef à sauter à pieds joints dans le fossé qu’elle souhaitait éviter. 

Pression des agences de notation

Car les agences de notation, comme Moody’s, ont déjà averti qu’un niveau d’endettement supérieur à 70% du PIB entraînerait une dégradation de la note du Brésil. Une pression qui fait craindre le pire à Brasilia : ces agences pourraient ainsi placer la note d’investissement Brésil, classifiée « sans risque de défaut » depuis 2008, dans la catégorie « activité spéculative ». Ce qui déclancherait automatiquement la fuite des fonds de pensions américains et de nombreux investisseurs. C’est pourquoi « cet ajustement fiscal est avant tout un signal donné aux marchés, plutôt qu’une politique fondée sur une véritable prise en compte des déséquilibres externes, de la précarité des infrastructures ou de la désindustrialisation, » regrette Fernando Ferrari Filho.
 
Car si le secteur financier et le FMI applaudissent les coupes budgétaires, dans l’économie réelle, les signes de récession se multiplient. Les patrons de l’industrie et de la construction, qui voient déjà de nombreux projets de bloqués par les investigations sur les contrats Petrobras, représentant 10% des investissements nationaux annuels, sont vent debout contre le gel massif (27%) des financements publics destinés aux infrastructures, et la fin des exonérations de charges sociales. La chute des exportations et la baisse de consommation ont déjà saigné l’industrie brésilienne en 2014 : la production a chuté de plus de 7% en un an, entraînant 216 000 licenciements. 

Si l’Organisation Internationale du Travail prévoit une hausse modérée du chômage de 6,8% à 7,2% pour les prochains mois, d’autres analystes estiment qu’elle pourrait atteindre 8% à 10% d’ici la fin de l’année. Et ainsi faire des chômeurs la principale variable d’ajustement structurel… 

Brésil manifestation
Des milliers de manifestants devant le Congrès contre le gouvernement de Dilma Rousseff, le 15 mars 2015. Economie en berne et corruption... Jamais la popularité de la présidente n'a été aussi faible. 
(©AP/Eraldo Peres)

Réussir l'austérité sans compromettre la consommation ?

Une donnée qui commence à peser sur l’indice d’intention de consommation, en chute de 6% depuis février, soit son niveau le plus bas depuis janvier 2010. « L’inflation, les taux d’intérêts et le faible niveau d’offres d’emplois rendent le consommateur plus prudent. La réduction de l’emploi, notamment dans le commerce, qui génére le plus d’emplois, crée un climat d’incertitude, » analyse Juliana Serapio économiste du Centre national de la consommation.
 
Dès lors, le pari de Dilma, de réussir l’austérité sans déprimer la consommation, semble déjà compromis. Entre la chute des ventes automobiles (-18%), celle des machines et biens d’équipements (-21%) et de la consommation d’électricité (-5%) au cours du premier trimestre 2015, Vinicius Torres Freire, dans le quotidien la Folha de Sao Paulo, s’interroge sur la baisse inhabituelle de la production de bières ce trimestre (-4%), alors que le secteur connaît une forte croissance depuis dix ans et avait bien résisté à la crise de 2009. « En dépit de la morosité économique momentanée, si aiguë, il y avait un peu de graisse à brûler, des instruments pour faire face à la crise, économique et politique. Aujourd’hui, les gens réduisent même leur consommation de bière, » se désole le chroniqueur. Une inquiétude qui a peu de chance d’être entendue à Brasilia : cette boisson est formellement proscrite dans le régime Ravenna.