Fil d'Ariane
C’est une image qui a marqué la Communauté internationale et le mandat du 45ème président des Etats-Unis Donald Trump. Ce 14 mai 2018, Ivanka Trump, fille du président, inaugure l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem en présence du Premier israélien et de deux pasteurs évangéliques du Texas membre de l’organisation des Chrétiens Unis pour Israël. Washington, malgré son soutien, à l’Etat hébreu, avait toujours refusé en 69 ans de transférer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem.
Ce moment qualifié d’ « historique » par Ivanka Trump constitue surtout une « rupture » selon Agnès Levallois, chercheuse à la Fondation pour la Recherche stratégique à Paris. « Donald Trump a fait abstraction de toutes les résolutions internationales et donc du droit international en reconnaissant et en ordonnant le transfert de l’ambassade à Jérusalem et en reconnaissant la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan (NDLR : le plateau du Golan reconnu par le droit international comme appartenant à la Syrie est occupé par Israël depuis 1967) », indique la chercheuse.
« Ces deux questions devaient être intégrées dans le cadre de négociations bilatérales », ajoute Agnès Levallois. Israël est le principal allié de Washington. L’Etat hébreu reçoit une aide financière importante pour sa sécurité. « Sous le présidence Obama, alors que les relations du président avec Benjamin Netanyahu étaient mauvaises, le montant de l’aide américaine a ainsi battu des records », note Agnès Levallois. « Les administrations américaines précédentes bien qu’elles aient eu des positions assez pro-israéliennes n’avaient jamais remises en cause le droit international », précise la chercheuse.
« Dès le départ Donald Trump a eu une politique israélienne très assumée et cette politique est faite pour faire plaisir à une frange importante de son électorat, les Evangéliques et leur soutien inconditionnel à Israël. Il a ainsi nommé un ambassadeur proche des colons, David Friedman. Son gendre Jared Kushner (NDLR : conseiller du président Trump sur le Proche Orient) est juif orthodoxe. Et Donald Trump a décidé de déléguer la gestion de ce dossier à ces deux hommes », précise Agnès Levallois.
Quelle sera donc la politique de Joe Biden ? « Joe Biden est favorable à une solution à deux Etats. Donald Trump a fait fermer la représentation palestinienne à Washington. Il est probable que Joe Biden rouvre cette représentation et rouvre le consulat américain à Jérusalem Est. C’est quelqu’un qui s’inscrit dans une tradition américaine de respect du droit international. Il a cependant affirmé qu’il ne reviendrait pas sur le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem », indique Agnès Levallois de la Fondation pour la recherche stratégique.
La question de la sécurité israélienne est une élément constitutif de la politique américaine au Proche Orient.
Agnès Levallois, chercheuse
Les relations personnelles entre le Premier ministre israélien et le nouveau président élu démocrate ne sont pas bonnes.
Envoyé plusieurs fois comme émissaire par le président Obama lors de sa vice-présidence, Joe Biden a demandé plusieurs fois au chef de gouvernement israélien, déjà en poste, de mettre un frein à la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés. Sans succès. « Il y a eu une forme d’exaspération de la part de Biden », confie Agnès Levallois, spécialiste du Proche Orient. Une initiative de la future administration Biden comparable à celle de Bill Clinton au moment des négociations de Camp David en 2000 est-elle envisageable pour arriver à une solution à deux Etats ? Agnès Levallois n’y croit pas. « La future administration démocrate va essayer de réequiliber les choses. Mais, pour les américains, la question de la sécurité israélienne est une élément constitutif de la politique américaine au Proche Orient », estime la chercheuse. La résolution du conflit israélo-palestinien ne sera pas forcément une « priorité » de la part de Joe Biden.
La question du nucléaire iranien est plus centrale pour la future équipe démocrate.
Joe Biden a plusieurs fois réaffirmé son intention de réintégrer l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé par les Etats-Unis en juillet 2015. Cet accord-cadre avait pour but de contrôler le programme nucléaire iranien. Donald Trump en est sorti le 8 mai 2018 pour ensuite rétablir des sanctions économiques contre Téhéran. « Biden veut revenir sur l’accord sur l’Iran mais en y ajoutant deux conditions, la question de l’influence iranienne dans la région et la question des missiles. Deux conditions qui n’avaient pas été mis dans l’accord de Vienne. Il aimerait ajouter ces deux points et pour les Iraniens il est hors de question d’ajouter la question des missiles», indique Agnès Levallois.
C’est une phrase qui n’est pas passée à Pékin. En campagne, en début d’année Joe Biden s’attaquait au président chinois Xi Jinping. « C'est un type qui n'a pas le moindre ossement de démocratie dans son squelette", déclarait alors l'ex-vice président. Et d’ajouter : «C'est un voyou ». Pékin n’a pas envoyé de message de félicitations au nouveau président américain élu. La détérioration des relations entre Washington et Pékin ne date pas des invectives de Biden.
Les relations ont été compliquées entre le régime Chinois et l’administration Trump.
Sous Donald Trump, les relations sino-américaines sont tombées au plus bas depuis des décennies avec un affrontement commercial. Le président américain a voulu notamment découpler les deux économies fortement imbriquées. « Les responsables chinois sont dans le rapport de force et la politique commerciale de Donald Trump les a mis sous pression, les a inquiétés », explique Valérie Niquet, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique. « La Chine reste encore dépendante du marché américain et notamment sur les questions technologiques », constate la chercheuse. «L’opinion publique aux Etats Unis estime qu’il y’a une puissance chinoise qu’il faut contrôler sur ces questions économiques et technologiques», ajoute Valérie Niquet. Joe Biden poursuivra t-il dans cette voie ? Le résultat final des élections du Sénat américain, attendu le 5 janvier prochain, déterminera les choix de la future présidence.
« Si le Sénat reste républicain, il sera favorable à la poursuite d’une stratégie de pression sur la Chine pour obtenir des avancées sur des questions liées aux transferts de technologie, le respect du droit de la propriété intellectuelle, des déficits importants sur le commerce extérieur ou la question des droits de l’Homme », estime Valérie Niquet. Washington compte cependant aussi des opposants à cette politique du rapport de force avec la Chine.
« On trouve aux États-Unis des lobbys très hostiles au mesures de contrôle des échanges avec la Chine. Certains acteurs technologiques américains ont comme clientes des grandes entreprises de télécom en Chine. Au sein des Démocrates, une personne comme Susan Rice, qui était conseillère à la sécurité nationale d’Obama ( NDLR : elle est pressentie pour être la future Secrétaire d’Etat) était favorable à la constitution d’un G2 entre la Chine et le Etats-Unis », explique Valérie Niquet. « Tout dépendra donc de l’attitude de la Chine. Est-ce que la Chine fera toujours preuve d'agressivité sur ces dossiers ? », s'interroge Valérie Niquet.
La politique de Donald Trump vis-à-vis du régime nord coréen a été également source de débat. Le candidat démocrate a vivement critiqué le rapprochement entre le leader nord-coréen et Donald Trump comparant même Kim Jong-Un à Hitler. « Les résultats de cette politique sont très maigres. Le programme nucléaire de la Corée du Nord n'a pas été stoppé », estime Valérie Niquet.
Joe Biden dans la campagne a affirmé qu'il accepterait lui aussi de rencontrer « Hitler » mais sous la condition d'une promesse de dénucléarisation de la péninsule coréenne.
Que changera la présidence Biden pour les Européens à partir du 20 janvier ? L’échange téléphonique, ce 9 novembre, entre Joe Biden et Emmanuel Macron a été bref, une dizaine de minutes. Mais le futur hôte de la Maison Blanche s’est dit soucieux de « redynamiser les liens (NDLR : de Washington) avec l’OTAN et l’Union européenne », souvent malmenés par Donald Trump. Le lien transatlantique est surtout incarné par l’OTAN, organisation militaire qui sous la direction des Etats-Unis est censé garantir la sécurité de ces états membres. Le principal grief de Donald Trump était budgétaire et financier. La présidence Trump estime que le fardeau est excessif pour les finances publiques américaines. L’effort de défense américain n’est selon elle payé que d’une ingratitude insigne de la part des alliés européens.
Ce lien s’est donc érodé sous l’administration Trump. "Il s'agit essentiellement d'une perception politique", estime Benjamin Hautecouverture, spécialiste des questions de défense au sein de la Fondation pour la recherche stratégique. « L’engagement militaire américain en Europe s’est renforcé en terme d’hommes et de matériel depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Pourtant, les doutes de certains pays européens sur la garantie américaine de leur sécurité, notamment nucléaire se sont renforcés et le défi de l’administration Biden sera de renouer ce lien, rétablir la confiance », ajoute Benjamin Hautecouverture. « Joe Biden a affirmé son intention de fonder un nouveau pacte transatlantique ? Qu'en sera t-il ? Pour l'instant nous avons aucun élément concret », constate le chercheur.
La question de l'autonomie stratégique des Européens reste posée. « Au delà de l'héritage de Donald Trump, des tensions entre les Etats-Unis et certains Etats européens vont rester. On constate une hausse des budgets européens de défense et l'enjeu est industriel. Les industrie de défense américaine cherchent à se positionner. Des pays comme la France veulent créer une industrie de défense européenne intégrée », précise Benjamin Hautecouverture. Les Européens ont le sentiment que le continent européen ne constitue plus le principal théâtre stratégique pour Washington. « Et ceci ne date pas de Donald Trump mais bien de Barack Obama. L'attention de Washington est désormais portée sur le théâtre Pacifique», estime Benjamin Hautecouverture de la Fondation pour la recherche stratégique. Certains pays européens ont donc pris cosncience de la nécessité de prendre en charge eux-même leur sécurité.
Et selon Benjamin Hautecouverture, « le déclic n'est pas venu de Washington mais bien de la menace russe. La Russie, en annexant la Crimée en 2014 aux frontières de l'Europe a violé le droit international. »
La politique étrangère du président élu Joe Biden devrait donc trancher avec la diplomatie brutale de Donald Trump. Mais si le démocrate plaide pour un retour à une forme de multilatéralisme dans les relations internationales, les bases de la diplomatie américaine, axée sur la défense des intérêts de leur puissance, devraient bien rester en place.