Fil d'Ariane
Personne n'a encore réussi à comprendre ce qu'il se passerait réellement si la directive droits d'auteur sur Internet était votée, après plus de deux ans de négociations et de remaniements. Maintenant que le Parlement européen l'a approuvée, ce mardi 26 mars, il est temps de refaire le point sur ceux qui la dénoncent ou ceux qui la plébiscitent.
Jeudi 21 mars 2019, les versions de l'encyclopédie coopérative en ligne Wikipédia, en allemand, en tchèque, en slovaque et en danois n'étaient pas disponibles pour 24 heures, en signe de protestation contre la directive droits d'auteur.
Pour résumer : deux camps s'affrontent, et en réalité… trois. D'un côté, les sociétés d'auteurs et les auteurs, ayants droit, organes de presse, et de l'autre les plateformes géantes du Net et les défenseurs des libertés sur Internet. Croire que les deux derniers s'opposeraient aux premiers pour les mêmes raisons est un raccourci souvent utilisé : des accusations de financement par Google du collectif "Save the Internet" qui appelle à manifester en Europe ont circulé et la croyance que les GAFAM seraient seuls à la manœuvre pour faire empêcher le vote de la directive ou seraient de mêche avec des organisations civiles anti-censure internet, reste encore d'actualité. Pourtant, la vérité se situe souvent au milieu du gué, et c'est bien là que se situe le nœud du problème avec la directive droits d'auteur, ses détracteurs… et ses soutiens.
> A lire : Droits voisins Internet : l'Union européenne donne son feu vert pour une réforme
Deux articles sont contestés en particulier : le 11 et le 13, qui — pour simplifier — obligent les fournisseurs de contenus à empêcher que des contenus sans accord avec des ayants droit puissent être publiés, ou que des citations puissent être faites sur des contenus de presse sans rétribution.
L'article 13 de ce texte entend créer de nouvelles règles pour les gros hébergeurs - qui diffusent un « grand nombre d'œuvres ». Ceux-ci devraient passer des accords avec les ayants droit des œuvres qu'ils diffusent, afin de définir les modes de répartition des revenus (publicitaires ou d'abonnement) avec ceux-ci ou de prendre des mesures pour empêcher la diffusion de contenus signalés par ces derniers. Le texte mentionne des « techniques efficaces de reconnaissance des contenus », faisant clairement référence au Content ID déployé sur YouTube depuis dix ans - outil qui permet à Google de détecter automatiquement les œuvres publiées sur son site afin de permettre à leurs ayants droit d'empêcher ou de permettre leur diffusion (auquel cas contre rémunération).
(Droits voisins Internet : l'Union européenne donne son feu vert pour une réforme)
Ces articles ont été assouplis depuis septembre : dans la nouvelle version les hyperliens vers des sites presse sont par exemple désormais possibles sans autorisation : Wikipedia ne devrait donc pas subir les foudres de la directive droits d'auteur pour ses liens externes. Mais de nombreuses nuances apportées dans la directive laissent dans le flou la surveillance des contenus et leur retrait, les possibilités de citations d'articles sans accord ou la création de pastiches, de parodies à partir d'œuvres commerciales…
Le site NextInpact détaille point par point les effets possibles de censure ou de limitations de la liberté d'expression que la directive pourrait causer, ainsi que les potentielles avancées en matière de financement de la presse par Google ou d'autres plateformes de mises en avant de contenus : "Directive Droit d'auteur : mais qu'ont voté les eurodéputés ?"
Savoir précisément ce qu'il sera possible ou non de publier, sur quelle durée, par quels moyens, depuis quelle plateforme est excessivement difficile à la lecture du texte de loi européen. Les défenseurs d'Internet estiment par exemple que la "censure aveugle des robots de téléchargement", empêchera de nombreux partages, comme les "mèmes Internet" (idée, concept simple propagés à travers le web, prenant la forme d'un hyperlien, d'une vidéo, d'un site Internet, d'une image).