Comment la CPI peut-elle jouer pleinement son rôle de juridiction internationale indépendante sans représenter la communauté internationale dans son ensemble ? Contrairement aux tribunaux spéciaux, la CPI n’engage que les 121 Etats du statut de Rome, et c’est son grand défaut. Russie, Etats-Unis, Inde et Chine, notamment, brillent par leur absence.
Les Etats-Unis mènent une politique ambigüe : ardents défenseurs du principe de justice internationale, ils sont en première ligne pour mener les accusés dans les box des tribunaux internationaux. Or ils refusent encore de ratifier le statut de Rome, alors qu’ils l’ont déjà signé sous la présidence de Bill Clinton. «
Avant, les Etats-Unis n’hésitaient pas à faire pression sur de petits pays comme la Bulgarie – ‘on vous coupe les vivres si vous soutenez la CPI…’ Mais le pays a beaucoup changé depuis l’élection de Barack Obama. Sa ratification du statut de Rome serait un bon signal pour d’autres pays et isolerait encore davantage les non-signataires.» affirme Claude Jorda. La justice est une valeur profondément ancrée dans la mentalité américaine, même si c’est une justice liée au peuple, difficilement conciliable avec une instance internationale. «
Mais en adhérant à la CPI, ils perdraient le pouvoir d’actionner eux-mêmes les leviers de l’accusation pour mettre hors-jeu certains leaders – et c’est ce à quoi ils tiennent le plus, explique Antoine Garapon. Sans compter que les Etats-Unis, qui appliquent encore la peine de mort dans certains Etats, hésitent à reconnaître une juridiction qui ne la pratique pas. »
Blocage russe, la Chine intéressée ?
Selon toute vraisemblance, la Russie, elle, manquera encore longtemps à l’appel. « Elle serait appelée à fournir les chefs de guerre, politiques ou de milice soupçonnés de graves crimes explique Claude Jorda. Or le pays craint pour ses actions en Tchétchénie. » Au-delà des faits, la Russie reste un pays autoritaire encore très loin de l’idée de justice pénale internationale. Elle semble avoir renoncé à incarner un quelconque idéal aux yeux du monde, comme il l’a fait pendant des décennies avec le communiste."
Paradoxalement, la Chine serait plus proche de l’idée de justice internationale. « Elle a le désir de constituer un pôle d’attraction moral pour le monde et a compris qu’une grande puissance n’est pas seulement diplomatique et économique, » souligne Antoine Garapon.
Quant à la frilosité de l’Inde, elle est à l’image de son attitude générale vis-à-vis du monde et ne semble pas insurmontable. « C’est un pays qui a hérité de l’empire britannique un grand respect pour la justice. Les avocats y sont nombreux et la cour suprême très active et respectée. C’est une vraie démocratie, » selon Antoine Garapon.
Dix ans après la création de la CPI, son extension et son devenir sont confrontés à deux grands paradoxes : elle se doit exemplaire vis-à-vis des autres juridictions du monde, or sa pesanteur n’est pas exemplaire ; elle se doit universelle, alors qu’elle ne représente pas une l’ensemble de la communauté internationale. Reste que la Cour pénale internationale, en germe depuis le début le début du xxe siècle, a le mérite d’exister. Et elle ne pourra être jugée que sur le très long terme.