Fil d'Ariane
Quel profil présentent les combattants étrangers mobilisés sous la bannière de l’Etat islamique ? Le Combating Terrorism Center de l’académie militaire américaine de West Point a publié, il y a quelques jours, un rapport passionnant sur le sujet, en se servant d’une moisson exceptionnelle de documents : des milliers de questionnaires soumis par l’organisation djihadiste à ses nouvelles recrues dans les années 2013-2014, et parvenus en ce début d’année à différents médias occidentaux.
L’enjeu est de taille. Selon les auteurs de l’étude, les réponses apportées par les volontaires étrangers aux 23 questions posées par l’Etat islamique n’apportent pas seulement des listes de noms. Elles établissent aussi des liens entre des variables comme l’origine, le niveau d’éducation, l’état civil ou les connaissances religieuses. Ce qui peut aider les Etats-Unis et leurs alliés à mener une guerre mieux ciblée contre leur ennemi.
Les chercheurs de West Point admettent cependant être en butte à deux problèmes. Ils assurent d’abord être arrivés à la conclusion que ces questionnaires étaient authentiques, mais conviennent que, malgré l’examen minutieux auxquels ils ont procédé, ils ne peuvent être absolument certains de leur intégrité. Ils reconnaissent ensuite que la représentativité de ces documents reste à établir : les 4188 pièces sur lesquelles ils se sont basés datent des années 2013-2014 et ne décrivent «que» 15% des quelque 30 000 combattants étrangers qui se sont enrôlés au fil du temps dans les rangs de l’Etat islamique. A ce stade, cependant, il paraît difficile de prétendre à meilleure source.
Les questionnaires déclinent en premier lieu l’identité des candidats au djihad. A commencer par leur pays d’origine. En chiffres absolus, l’Arabie saoudite vient en tête avec 579 volontaires, devant la Tunisie (559) et le Maroc (240). Mais en chiffres relatifs, rapportés à l’importance de la population, c’est la Tunisie qui occupe le premier rang avec 50,83 recrues pour un million d’habitants, devant l’Arabie saoudite (18,75) et le Kosovo (17,54).
Le pays de résidence est au moins aussi important que le pays d’origine, soulignent cependant les auteurs du rapport, puisque c’est là que se déroule le processus de radicalisation. A cette aune, certains pays ouest-européens remontent de plusieurs rangs. La France passe de la 15e à la 8e place, l’Allemagne de la 19e à la 12e et le Royaume-Uni, de la 25e à la 18e.
Lire aussi : La Suisse est-elle trop clémente envers «ses» djihadistes?
Autre composante de l’identité, l’âge des recrues est aussi analysé. S’il est en moyenne de 26-27 ans, il couvre de fait une large palette, des près de 70 ans d’un ressortissant kirghiz aux moins de 18 ans de quelque 400 volontaires (moins de 16 ans pour 41 d’entre eux). Parmi les aspects les plus intéressants de la question figurent les différences substantielles qui apparaissent d’un pays à l’autre et sont susceptibles de trahir des motivations variées, exploitables spécifiquement dans la lutte anti-djihadistes.
L’état civil des nouveaux venus apporte une touche supplémentaire au tableau. Contrairement aux idées reçues, les djihadistes ne sont pas forcément des solitaires. 30% d’entre eux sont mariés et plus de 20% affirment avoir au moins un enfant. Certes, le djihad séduit surtout des célibataires. Mais ces chiffres prouvent que son pouvoir d’attraction est assez fort pour convaincre des maris et des pères de quitter leur famille.
Les volontaires étrangers possèdent un niveau d’éducation plutôt élevé. 30% d’entre eux affirment avoir bénéficié d’une éducation secondaire et 22% déclarent avoir suivi des études supérieures.
Distinction notable : les recrues occidentales ont reçu en moyenne une formation sensiblement plus poussée que leurs pairs arabes, qui ont souvent pour tout bagage une instruction élémentaire. La tendance s’inverse lorsque les candidats sont interrogés sur leur expertise religieuse. Si seuls 5% d’entre eux revendiquent une bonne connaissance de la loi islamique, les Arabes, à commencer par les Saoudiens, arrivent très loin devant les Occidentaux, qui avouent une profonde ignorance en la matière.
Les parcours professionnels des uns et des autres intéressent au plus haut point les recruteurs de l’Etat islamique, à l’affût de toutes les compétences. Ils ont donné aux chercheurs de West Point de quoi nourrir leur réflexion. Les candidats au djihad se déclarent rarement au chômage dans leur pays de résidence. Mais la plupart d’entre eux y pratiquent des métiers modestes, qui n’exigent que de faibles compétences, voire pas de compétences du tout. Une réalité qui contraste avec leur niveau de formation et pourrait nourrir chez eux une grande frustration, sentiment connu pour alimenter la violence politique.
Lorsqu’ils se présentent à leurs recruteurs, les combattants étrangers sont dans leur écrasante majorité des novices en matière de guerre sainte. Seuls 9,6% d’entre eux revendiquent une expérience du combat, principalement en Syrie (au sein d’une autre formation), en Libye et en Afghanistan. Ils n’en doivent pas moins se prononcer immédiatement sur le rôle qu’ils comptent jouer. Et trois fonctions leur sont proposées : combattant, combattant kamikaze et poseur de bombe kamikaze.
Seuls 12% des candidats au djihad choisissent le statut de kamikaze. Cela peut déjà paraître beaucoup. Mais ils étaient 56% à exprimer cette préférence il y a 7 ans, lorsque la question leur était posée par Al-Qaida en Irak. Comment expliquer cette différence ? Les chercheurs de West Point soulignent que les conditions ont changé. Al-Qaida en Irak luttait pour sa survie face à une force occupante militairement très supérieure. L’Etat islamique, lui, tient un vaste territoire qu’il prétend gouverner. Ses recrues viennent y vivre, pas y mourir… ou pas tout de suite.