Doha : encore un sommet climatique, pour quoi faire?

Depuis le 26 novembre et jusqu'au 7 décembre 2012, le Qatar organise à Doha la 18ème conférence sur le climat de l'ONU. Les objectifs : renouveler le protocole de Kyoto et négocier un nouveau traité climatique d'ici 2015, pour entrer en vigueur en 2020. Après le fiasco de Copenhague en 2009, que peut-on attendre de ce nouveau sommet climatique?
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Doha : encore un sommet climatique, pour quoi faire?
Ouverture de la conférence sur le changement climatique le 26 novembre 2012 à Doha (Photo AFP-Karim Jaafar)
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Le 7 décembre 2009 s'ouvrait à Copenhague, au Danemark, la plus grande rencontre internationale sur les changements climatiques depuis celle qui permit l'adoption du protocole de Kyoto, entré en vigueur en 2005. Les media du monde entier s'étaient empressés de couvrir l'évènement, porteur de grands espoirs climatiques. Espoirs largement déçus, les 193 pays invités n'ayant pas réussi à s'engager dans un projet commun. Trois ans plus tard, le sommet similaire qui s'est ouvert à Doha lundi 26 novembre n'est couvert pratiquement que par la chaîne nationale, Al-Jazeera. Sur place, le chargé de campagne d'Avaaz, Iain Keith, a remarqué ce manque d'engouement médiatique. Il l'explique par le fait qu' "il est difficile de trouver des chefs d'Etat vraiment engagés dans ce débat". Alors qu'en 2009, ils avaient fait le déplacement à Copenhague, les chefs d'Etats ont cette fois préféré envoyer leurs ministres de l'environnement "qui évidemment n'entraînent avec eux pas autant de media que les présidents". Les chefs d'Etat et les journalistes qui les suivent ne sont-ils tout simplement pas blasés de ces débats interminables entre des dizaines de pays incapables de conclure ensemble un accord? Le fiasco de Copenhague ne les a-t-il pas définitivement guéris de tout espoir d'entente climatique? "Ça joue peut-être", concède le vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GiecJean-Pascal van Ypersele. "Les attentes de Copenhague étaient vraiment très grandes, c'était après qu'Al Gore et le Giec aient reçu un prix Nobel de la paix, c'était un moment où beaucoup de pays, de citoyens espéraient qu'à Copenhague un accord ambitieux allait prendre le relais du protocole de Kyoto." Si l'attention n'est donc plus la même, "le problème est toujours là", et si Jean-Pascal van Ypersele admet que beaucoup de décideurs politiques préfèrent se consacrer à régler la crise économique, la protection du climat se rappelle à leur agenda de la manière la plus violente qui soit. "Les évènements extrêmes ont plutôt tendance à se manifester assez bien ces dernières années, que ça soit les inondations terribles au Pakistan, les inondations à Bangkok, les incendies de forêt qui ont affectés Moscou il y a deux ans, les cyclones de tous les côtés que ce soit Sandy ou Irene l'an dernier..." La liste n'en finit pas de s'allonger et à mesure que défilent les images des catastrophes, la conclusion du vice-président du Giec tombe comme une évidence : "le climat est bien en train de changer".

Crise économique contre développement durable

Crise économique contre développement durable
Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du Giec
La résolution de la crise économique est-elle pour autant incompatible avec le développement durable? Lors de son discours auprès de la conférence climatique à Doha, Corinne Lepage, députée européenne, affirmait que "les pays du Sud ont les questions de développement avant la question climatique et les Etats-Unis favorisent la question économique par rapport à la question climatique. Nous (l'Union Européenne - ndlr) sommes les seuls sur cette planète aujourd'hui à pouvoir réellement relever ce défi."  Une vision que ne partage pas le vice-président du Giec, pour plusieurs raisons. D'abord, "dans bien des travaux scientifiques, économiques, on montre justement qu'investir dans la transformation de l'économie mondiale pour qu'elle dépende moins des combustibles fossiles, qu'elle soit plus efficace et davantage basée sur les énergies renouvelables c'est quelque chose qui permettrait d'avoir une qualité de vie supérieure, de créer des millions d'emplois et une balance des paiements plus favorable". Il rappelle à ce titre qu'en Europe, "c'est 400 milliards d'euros chaque années qui sont dépensés pour acheter des combustibles fossiles à l'extérieur de l'Europe, c'est pratiquement 1000 euros par européen qui sortent de l'économie européenne!" Par ailleurs, il constate que d'autres pays hors Europe ont amorcé des changements importants. "Regardez par exemple la Corée du Sud, elle a décidé au plus haut niveau de fonder une partie importante de son économie sur l'économie verte, l'efficacité énergétique maximale (...) Il n'y a pas qu'en Europe qu'il y a des efforts pour réduire les émissions." Jean-Pascal van Ypersele cite aussi l'exemple des Maldives qui ont pour "objectif d'ici quelques décennies de devenir neutres en carbone, c'est à dire avoir des émissions nulles". Globalement, "certains pays ont des ambitions importantes mais il y a toute une série d'autres pays qui ont des objectifs de protection du climat qui sont en tout cas un premier pas. Aucun ne va résoudre le problème à lui tout seul, mais ce sont des pas dans la bonne direction". Un point de vue partagé par Iain Keith d'Avaaz. Même s'il admet que "le leadership européen est absolument fondamental", il affirme que "le changement climatique est un problème global auquel il faut trouver des solutions globales". Mais une réponse globale appelle effectivement un leadership fort, or le pays organisateur à qui l'on a confié la présidence, le Qatar, est dans une position paradoxale.

La présidence au premier emetteur de CO2

La présidence au premier emetteur de CO2
“Merci Qatar, tu as tenu tes promesses“ peut-on lire sur la pancarte à l'effigie de l'émir (Photo AFP-Mahmud Hams)
Depuis une décennie, les Qataris détiennent le record d'émission de CO2 par habitant : 44 tonnes selon les données de l'ONU de 2009, soit presque trois fois plus qu'un Américain (17t), huit fois plus qu'un Chinois (6t) et 22 fois plus qu'un Indien (2 t). Des chiffres en complète contradiction avec les 3 500 m2 de panneaux solaires qui recouvrent le Qatar National Convention Center où se déroule le sommet. S'agit-il alors d'une grande opération de marketing, visant justement à se dédouaner d'une économie fondée exclusivement sur les énergies fossiles? "C'est un vrai danger" s'inquiète Iain Keith "A-t-on un Qatar qui veut se poser comme une puissance mondiale, en discutant réellement du changement climatique ou est-il uniquement le porte parole de l'OPEC (Organisation des pays exportateurs de pétrole - ndlr)?" Pour l'instant les Qataris n'ont pas fait preuve d'un réel leadership, mais "il est encore tôt" tempère Iain Keith. "Il faudrait qu'ils arrivent au début des débats avec des engagements nationaux, des plans précis, ou une contribution financière, c'est une des nations les plus riches du monde! Le problème c'est que comme elle est cataloguée en tant que pays en développement, elle est complètement déresponsabilisée." Jean-Pascal van Ypersele, de son côté, estime que "tenir une conférence comme celle-là, ici, met forcément les dirigeants de la région, pas seulement le Qatar mais aussi les pays environnants, devant leurs responsabilités". Pour le vice-président du Giec, "ils sont quand même sous les regards du monde entier, d'une certaine manière, ils sont obligés de se positionner par rapport aux enjeux qui sont discutés sur la table."

Les Etats-Unis attendus au tournant

Les Etats-Unis attendus au tournant
Le président américain Barack Obama le soir de sa réélection (AFP-Jewel Samad)
Un autre leadership très attendu est celui des Etats-Unis. Lors du sommet de Copenhague, Barack Obama avait été extrêmement critiqué pour son inaction contre le changement climatique. Avec sa réélection, Iain Keith espère qu'il aura plus de souplesse. Il faut rappeler que si l'extension du protocole de Kyoto après 2012 est souhaitée par l'Europe et le G77, elle est encore refusée par les Etats-Unis qui totalisent plus de 20% des émissions de CO2 dans le monde. "Là où Obama peut intervenir, selon l'avis de Iain Keith, c'est sur les subventions aux énergies fossiles. Il a déjà convaincu le G20 d'abandonner ces subventions, et je pense qu'on peut s'attendre à un vrai leadership sur cette question". Ian Keith rappelle l'ampleur d'une telle mesure : "On parle de sommes énormes, c'est globalement près d'un billion de dollars, et nous continuons d'investir de l'argent public, nos impôts, dans les infrastructures des énergies fossiles". A l'instar du vice président du Giec qui parlait de "pas dans le bon sens", Iain Keith adopte le même pragmatisme. "Plutôt que de se concentrer sur des engagements globaux sur lesquels il est difficile de mettre tous les pays d'accord, il y a de plus petites étapes, comme celle là, qui peuvent changer beaucoup de choses."