Fil d'Ariane
Le président américain vient de décréter des tarifs douaniers de 25% sur l’aluminium et l’acier canadiens exportés aux États-Unis. Piqués au vif, les Canadiens montent aux barricades : un mouvement de boycottage des produits américains est en marche et un vent de patriotisme souffle sur le pays de la feuille d’érable.
Le président américain a décrété des tarifs douaniers de 25% sur l’aluminium et l’acier canadiens exportés aux États-Unis. Chez les Canadiens, l'annonce ne passe pas. Un mouvement de boycottage des produits américains est en marche.
Depuis le 20 janvier et son installation à la Maison Blanche, le Canada est le premier sur la ligne de front des déclarations belliqueuses de Donald Trump. Le 12 mars entrera notamment en vigueur l'augmentation des tarifs douaniers de 25% sur l'aluminium et le gaz exportés aux États-Unis.
Et le président américain menace d’imposer d’autres tarifs sur tous les autres produits canadiens à partir du 4 mars. Il ne cesse de répéter aussi que la meilleure solution pour le Canada, c’est de devenir le 51e État des États-Unis. Chez les Canadiens, les déclarations belliqueuses de leur voisin ne passent pas.
Je bois local mon Donald.
Publicité de la société québécoise de bières, Boréale
De nouveaux panneaux publicitaires ont fait leur apparition au Québec : c’est la pub d’une compagnie québécoise de bières, Boréale, qui affirme : « Je bois local mon Donald ». Dans la région de Toronto, on peut aussi lire sur des panneaux publicitaires du même genre, pour une marque canadienne de bâtonnets de fromage « Made with 0% of American Cheese ».
Dans des marchés d’alimentation, un peu partout au pays, des petits drapeaux canadiens sont plantés sur des produits pour indiquer aux consommateurs leur origine canadienne. Car au cours des dernières semaines, un mouvement de boycottage des produits américains vendus au Canada a commencé, lancé sur les réseaux sociaux par des citoyens exaspérés, avec les mot-clics BuyCanadian et ByeAmerican.
Sur Facebook circulait une longue liste de produits américains avec leurs équivalents canadiens pour inciter les gens à acheter local le plus possible. Début février, sur le réseau X, Justin Trudeau a écrit : « Lisez les étiquettes. Faisons notre part. Autant que possible, choisissons le Canada. »
Un boycottage qui n’est pas si simple à faire quand on fait ses commissions : les économies des États-Unis et du Canada sont si étroitement imbriquées qu’un ketchup d’une marque américaine, par exemple, est fabriqué aux États-Unis mais avec des tomates canadiennes.
Les consommateurs se demandent aussi s’il faut toujours aller chez le gros détaillant américain Costco qui emploie dans ses magasins des employés canadiens et qui vend aussi beaucoup de produits canadiens. Mais le mouvement est en marche et le boycottage ne concerne pas que les produits sur les tablettes des épiceries.
A Montréal dans les supermarchés, tous les produits canadiens et québécois sont identifiés par des étiquettes.
De nombreux Canadiens ont également annulé, ces dernières semaines, leurs voyages ou des locations de maisons aux États-Unis réservées pour leurs vacances estivales. C’est le cas de nombreux Québécois qui ont l’habitude d’aller en vacances au bord de l’Océan sur la côte est américaine. Mais il y a aussi la Floride, la Californie, les grands parcs de l’Ouest américain qui sont des destinations touristiques prisées par les Canadiens.
Des personnes sortent d'un avion d'Air Canada après un vol à l'aéroport international Pearson de Toronto à Mississauga, Ontario, Canada, le 27 juillet 2022.
Les agences de voyage confirment la tendance et le fait également que des Canadiens choisissent d’autres destinations que les États-Unis pour leurs projets de vacances cet été. Il faut savoir que 20 millions de touristes canadiens vont aux États-Unis chaque année et ces touristes laissent des milliers de dollars derrière eux au cours de leurs séjours, hôtels, restaurants, campings, magasinages etc.
Ainsi, on estime qu’une baisse de 10% du nombre de touristes canadiens causerait un manque à gagner de deux milliards de dollars pour l’économie américaine.
(Re)voir États-Unis : Donald Trump prêt aux guerres commerciales avec le Canada et le Mexique
Enfin, dernier volet de ce boycottage tous azimuts, des milliers de personnes ont résilié leurs abonnements aux plateformes américaines que sont les Netflix, Apple TV et Amazon.
Difficile de mesurer l’efficacité de ce boycottage, ce d’autant plus qu’il vient de commencer. Il sera probablement plus symbolique qu’autre chose. Mais pour la population canadienne, c’est un geste simple à poser pour dénoncer les tarifs douaniers imposés par Donald Trump, soutenir l’économie canadienne et tenter de briser le sentiment d’impuissance qui les étreint face à l’hostilité de leur voisin.
Il faut trouver d’autres marchés.
Dominic Leblanc, ministre canadien des Finances et des Affaires intergouvernementales
De leur côté, Justin Trudeau, les ministres de son gouvernement, et les premiers ministres des provinces canadiennes se débattent comme le diable dans l’eau bénite depuis plusieurs semaines : d’un côté, il y a une prise de conscience collective que l’économie canadienne est beaucoup trop dépendante des États-Unis et qu’il faut impérativement qu’elle diversifie ses échanges commerciaux avec d’autres partenaires, les pays européens et asiatiques, le Mexique.
« On ne peut pas gérer une économie d’un pays aussi important que le Canada avec des menaces continuelles. C’est d’autant plus la raison pour laquelle il faut trouver d’autres marchés » a déclaré Dominic Leblanc, ministre canadien des Finances et des Affaires intergouvernementales.
(Re)voir Canada : nouveaux tarifs douaniers, quelles conséquences ?
De l’autre côté, les autorités canadiennes ont préparé un plan de riposte avec une liste de produits américains importés au Canada et qui pourraient, eux aussi, être frappés de tarifs douaniers.
« La guerre commerciale la plus stupide de l’histoire », comme l’a titré le Wall Street Journal, a donc commencé entre les deux pays. Plusieurs ministres du gouvernement canadien et les premiers ministres du Québec et de l’Ontario continuent leur travail diplomatique de coulisses aux États-Unis.
Ils multiplient les contacts avec des gouverneurs, sénateurs, représentants, entrepreneurs, et dirigeants d’entreprises américains pour faire valoir que personne ne va gagner dans cette guerre et qu’au bout du compte, ce sont les consommateurs américains qui vont les payer, ces droits de douane, et qu’en les imposant, les États-Unis se tirent dans le pied.
Les autorités canadiennes essaient de faire comprendre au président américain qu’il se trompe quand il dit que les États-Unis peuvent se passer des produits canadiens (le Canada est le principal fournisseur d’acier et d’aluminium des États-Unis). Pour l’instant, le message semble ne pas se rendre au principal intéressé.
À noter que le Canada menace lui aussi d’imposer des contre-tarifs douaniers de 25% sur 155 milliards de dollars de produits américains et ce, à compter du 4 mars.
Le 4 décembre 2019, au Royaume-Uni, lors d'une réunion de l'OTAN, Donald Trump et Justin Trudeau échange une poignée de main.
Au-delà des vives inquiétudes à l’endroit de leur économie, qui risque d’être fortement fragilisée par ces tarifs douaniers, les Canadiens ont aussi un fort sentiment de déception et de trahison à l’endroit de l’allié, l’ami, le grand frère qui vient de dégainer son arme tarifaire alors que les deux pays sont unis dans un accord de libre-échange depuis plus de 30 ans et qu’ils entretiennent des relations étroites depuis des décennies, voire des siècles.
Trump veut absorber notre pays, c’est une réalité.
Justin Trudeau, Premier ministre du Canada
Et ils commencent aussi sérieusement à s’inquiéter des visées expansionnistes de Donald Trump qui répète, comme un mantra, qu’il veut que le Canada devienne le 51e État des États-Unis. Même si on ne voit pas comment cela pourrait arriver un jour et quand bien même tous les politiciens canadiens affirment que le Canada n’appartiendra JAMAIS aux États-Unis, la menace plane.
Le Premier ministre Trudeau l’a d’ailleurs dit, vendredi dernier, devant un parterre de 200 représentants du patronat et de syndicats (il croyait qu’il n’y avait plus de médias dans la salle) : « Trump veut absorber notre pays, c’est une réalité ».
(Re)voir Droits de douane : face à Trump, le Canada contre-attaque
Le président américain lorgne en effet visiblement sur les immenses richesses naturelles de son voisin du nord, son hydroélectricité, son pétrole, ses minéraux critiques, ses réserves d’eau de source (20% des réserves mondiales). Pourrait-il en arriver à vouloir s’emparer du Canada par la force ? La question, complètement surréaliste, se pose malgré tout dans l’esprit de plusieurs ici. Et elle fait froid dans le dos.
Si le premier mandat de Donald Trump avait fait faire les montagnes russes aux Canadiens, ce deuxième mandat prend des allures de rodéo. Et il risque de laisser des traces dans l’imaginaire collectif canadien, car le Canada a un peu l’impression qu’il vient de se faire planter un couteau dans le dos par quelqu’un qu’il croyait être un ami.
Une nouvelle donne dans la joute électorale à venir
Donald Trump et ses visées expansionnistes et commerciales ont un impact jusque sur la scène politique canadienne qui est, rappelons-le, en pleine crise politique depuis des mois.
Début janvier, le Premier ministre Justin Trudeau a annoncé sa démission qui deviendra officielle dès que son parti, le Parti libéral du Canada, élira celui ou celle qui va le remplacer.
Cette élection aura lieu le 9 mars prochain et la course à la succession bat son plein actuellement. Elle prend les allures d’un duel entre celle qui était ministre des Finances et vice-Première ministre et qui a démissionné le 16 décembre dernier, Chrystia Freeland, et celui a été gouverneur de la Banque du Canada, puis de la Banque d’Angleterre, Mark Carney.
C’est ce dernier qui devrait remporter la mise et les récents sondages indiquent une nette remontée des Libéraux si c’est effectivement lui qui devient le prochain chef du PLC. Alors que les troupes de Justin Trudeau encaissaient depuis plus d’un an quelque 20 points de retard dans les intentions de vote, loin derrière les Conservateurs de Pierre Poilievre.
Et c’est le facteur Trump qui expliquerait ce retour en force des Libéraux, car les Canadiens estiment que Mark Carney est celui qui est le plus capable d’affronter le président américain, versus le chef conservateur.
La question de l’urne des prochaines élections fédérales, qui vont très probablement se tenir en mai prochain, sera donc : qui faut-il élire pour défendre les intérêts et la souveraineté du Canada face à Donald Trump ?