Fil d'Ariane
Élu le 14 mai président de Catalogne, le successeur officiel - et implicitement représentant - de Carles Puigdemont toujours en exil était officiellement investi ce jeudi. Il a évité de jurer fidélité à la Constitution espagnole. La Belgique, la veille, annonçait son refus d’extrader des ex-ministres catalans réfugiés sur son territoire. Si la crise politique persiste, elle connaît pourtant quelques infléchissements. Le point sur la situation.
A première vue, ce n’est qu’une péripétie supplémentaire dans l’imbroglio judiciaire européen. Elle n’est pourtant pas dépourvue de sens.
Rappel : avec son président Puigdemont, plusieurs ex-ministres du gouvernement catalan s’étaient exilés en Belgique en octobre dernier, après la proclamation avortée de l’indépendance. La justice espagnole avait émis à leur encontre des mandats d’arrêt européens, retirés quelques semaines plus tard pour des raisons techniques et finalement réédités le 23 mars contre trois d’entre eux. Ces derniers se sont présentés le 5 avril au juge belge, qui les a laissés en liberté sous condition.
Un tribunal de Bruxelles a cette semaine jugé les mandats espagnols irréguliers, suivant en cela l’avis du parquet. Il « « partage l’avis du procureur et de la défense selon lequel il n’existe pas de mandats d’arrêt nationaux valables correspondant au contenu des mandats d’arrêt européens ».
Les trois ex-ministres redeviennent libres de leurs mouvements … en Belgique.
Simple vice de forme, donc, officiellement. Le revers judiciaire de Madrid semble pourtant un peu plus que purement formel, car il laisse transparaître la réticence de justices européennes à emprisonner et extrader des élus d’un autre pays réfugiés sur leur sol, eussent-ils violé la loi de l’État membre d’origine.
Carles Puigdemont, lui, reste sous contrôle judiciaire en Allemagne. Remis en liberté début avril après une période de détention qui a suivi son arrestation, il demeure extradable. Cependant, la justice allemande a d’ores et déjà réduit les charges contre lui à « détournement de fonds », celle de « rébellion » - passible en Espagne de 30 ans de prison – ne pouvant être retenue en droit allemand en l’absence de violences.
Quim Torra, 56 ans, jusqu’alors inconnu, investi ce jeudi 17 mai. La réalité de sa présidence est mise en doute par ses adversaire qui voient en lui un homme de paille, ou moins poliment un « pantin ».
Rappel : il a fallu près de cinq mois au parlement catalan issu des urnes en décembre dernier pour trouver un successeur à Carles Puigdemont, « empêché » par sa fuite en Belgique et désormais son exil en Allemagne. Outre celle de Puigdemont lui-même, deux candidatures à ce poste ont été précédemment écartées : celle de Jordi Sanchez, incarcéré depuis le référendum illégal d’octobre dernier ; celle de Jordi Turull qui n’a pas obtenu la majorité requise et a été finalement, lui aussi, placé en détention.
Quim Torra, lui, a obtenu ce 14 mai son investiture de justesse (66 voix contre 65), après un premier échec. Il n’avait jamais été député avant cette législature et ne figurait qu’en onzième position sur une liste indépendantiste de Barcelone.
Un journal madrilène l’a surnommé « el vicario » (« le vicaire ») de Puigdemont, dénomination qu’il ne réfute guère. Quim Torra est notoirement le choix de l’exilé de Berlin – qu’il est allé voir le lendemain même de son élection - et a priori son remplaçant temporaire, ne voulant pas même occuper le bureau de l'illustre prédécesseur.
Certains font cependant remarquer que Puigdemont a débuté son ascension avec la même modestie dans la grande ombre d’Artur Mas et que le nouveau président de Catalogne n’a peut-être pas dit son dernier mot.
Avocat, jamais condamné ni inculpé, il a vécu longtemps en Suisse. Il s’est ensuite engagé dans la cause catalane mais est resté relativement à distance de ses partis. Cela n’en fait pas pour autant un tiède. Son élection a consterné le camp anti-nationaliste qui n’a pas eu de peine à retrouver certains de ses tweets à caractère xénophobe contre les Espagnols qui, à les en croire, « ne savent que spolier », implicitement qualifiés de sales (« Nous, on se douche »). Il avait lancé à des socialistes catalans « ils parlent comme des Espagnols » et traité de « charognards, vipères et hyènes » ceux qui ne défendaient pas la culture et de la langue catalanes. Des propos anciens, plaide-t-il, qu’il faut replacer dans un contexte d’exaltation militante.
Il n’en prône pas moins résolument, comme son mentor, la réalisation de la « République catalane », justement l’objet de la fureur de Madrid et des insolubles discordes qui déchirent la société catalane. Ce jeudi 17 mai, il a refusé de jurer fidélité à la Constitution espagnole … comme Puigdemont en 2016 dont il a repris les termes de serment.
Proche de Podemos mais non-indépendantiste, la maire de Barcelone Ada Colau s’est dite « déçue et triste » des débuts de Quim Torra qu’elle perçoit avec une impression de « déjà vu ».
Si les lignes ne bougent pas vraiment, certaines pièces de l’échiquier se sont malgré tout déplacées.
Rappel : le déclenchement au lendemain du referendum d’octobre du fameux « article 155 » de la Constitution avait eu pour conséquence la mise sous la tutelle de l’État espagnol l’ensemble de l’administration catalane. Aujourd'hui, entre la direction politique à Berlin et la réalité du pouvoir à Madrid, la présidence de la Catalogne se réduit à peu de choses.
La mise en oeuvre de cet article 155 est cependant susceptible d’être reconsidérée dans les jours qui viennent. Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, s’était engagé à en suspendre l’exécution lorsque la Catalogne se serait donné un nouveau gouvernement. C’est chose faite, même si ce dernier n’est pas celui dont il rêvait, et c’est le résultat d’élections qui ne sont pas discutées.
Farouchement anti-indépendantiste, le parti libéral de droite en pleine ascension, Ciudadanos, demande le maintien de l'application de l’article 155 au vu des positions de Quim Torra. Mariano Rajoy, dont le parti conservateur PP est menacé par Ciudadanos et qui voudrait tout de même faire baisser un peu la température d'une crise qui lui coûte cher, réserve sa réponse.
Les deux présidents – celui du gouvernement espagnol et celui du gouvernement catalan - ont accepté cette semaine le principe d’une rencontre. Cela n’augure de rien mais constitue tout de même, en soi, une légère désescalade.