"Les habitants du Kansas ont défendu les droits fondamentaux aujourd’hui." Ce message de la gouverneure démocrate de cet État américain Laura Kelly fait suite à l’annonce du résultat du référendum organisé ce 2 août. Lors de ce scrutin, les habitants du Kansas se sont prononcés en faveur du maintien de la garantie constitutionnelle sur l’avortement.
Les électeurs de cet État conservateur ont rejeté un amendement de la majorité parlementaire conservatrice qui aurait supprimé la garantie du droit à l’avortement dans la Constitution de l’État. Un autre résultat aurait pu ouvrir la voie à une réglementation plus stricte de l’avortement, voire à une interdiction. La question soumise au référendum était "Est-ce que la Constitution du Kansas doit être amendée pour enlever les protections du droit à l’avortement ?". Le "non" l’emporte à 58,8%.
Ce vote, qui coïncidait avec les primaires du Kansas, est le premier scrutin majeur sur le droit à l’avortement depuis son annulation au niveau fédéral par la Cour suprême le 24 juin 2022. De ce fait, il représente un test politique au niveau national. Pour Corentin Sellin, professeur d’histoire et spécialiste des États-Unis, "il s’agissait pour la législature conservatrice du Kansas d’obtenir par référendum la modification de la Constitution locale afin de rendre la jurisprudence d’interprétation de la Cour Suprême locale inopérante. "
2. C'est 1 incroyable résultat pour les partisans du droit à l'#avortement dans tous les #EtatsUnis, puisque 60% des électeurs du #Kansas, 1 Etat qui n'a pas envoyé de sénateur démocrate à D.C depuis 1939, ont voté pour maintenir la protection de l'IVG dans la Constitution locale
— Corentin Sellin (@CorentinSellin) August 3, 2022
Les partisans du "oui", en faveur d’une modification de la Constitution, affirment que cela permettrait aux législateurs de réguler l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) sans ingérence de la justice. "Cela rétablit simplement notre capacité à avoir une conversation", affirme Mackenzie Haddix. Le mouvement dont elle est porte-parole, "Value Them Both" ("Valorise-les tous les deux" en français) cherche à mettre fin aux protections constitutionnelles découlant d’une décision en 2019 de la Cour suprême du Kansas. En effet, c'est à ce moment-là que les juges décidèrent que la Constitution de l'État protège le droit à l'avortement.
"Les habitants du Kansas pourront alors s’unir (…) pour parvenir à un consensus", affirme Mackenzie Haddix lors d’un rassemblement le 30 juin. Dans le camp d’en face, les militants voient dans l’amendement de la Constitution une tentative à peine voilée pour ouvrir la voie à une interdiction claire et nette par le parlement local.
Au Kentucky et en Californie, un scrutin similaire doit avoir lieu au mois de novembre. Il interviendra en même temps que les élections de mi-mandat au Congrès au cours desquelles républicains et démocrates espèrent mobiliser leurs partisans autour de l’avortement.
Pour Corentin Sellin, "le résultat au Kansas montre néanmoins un pays fracturé", explique-t-il sur son compte Twitter. En effet, la majorité des comtés ruraux de l’État du Kansas ont voté en faveur de l’amendement de la Constitution, alors que les comtés en zone urbaine ont voté contre, d'après les résultats publiés dans le New York Times. Concrètement, 13 comtés sur les 105 que composent le Kansas permettent de maintenir le droit à l’avortement inscrit dans la Constitution.
Par ailleurs, la réalité politique du Kansas est complexe. L’État penche fortement côté républicain et n’a pas voté pour un démocrate à la Maison Blanche depuis 1964. Les démocrates sont pour beaucoup en faveur du droit à l’avortement tandis que les conservateurs sont en général favorables à au moins quelques restrictions. Mais le comté le plus peuplé du Kansas a élu une démocrate, Sharice Davids, à la Chambre des représentants en 2018. Laure Kelly, la gouverneure du Kansas, est aussi démocrate. Selon une enquête de l’Université d’État Fort Hays réalisée en 2021, moins de 20% des sondés au Kansas étaient d’accord pour dire que l’avortement devrait être illégal, même en cas de viol ou d’inceste. Par ailleurs, la moitié des sondés disait penser que le gouvernement du Kansas ne devrait imposer aucune réglementation sur les circonstances dans lesquelles les femmes peuvent se faire avorter.
Les habitants du Kansas ont compris que cet amendement imposerait un contrôle gouvernemental sur les décisions médicales privées.Ashley All, porte-parole de la campagne des partisans du droit à l’avortement
Toutefois, Corentin Sellin estime que "ce résultat est une défaite retentissante pour le camp conservateur religieux". Ashley All, porte-parole de la campagne des partisans du droit à l’avortement se félicite d’un résultat "remarquable." "Les habitants du Kansas ont compris que cet amendement imposerait un contrôle gouvernemental sur les décisions médicales privées", analyse-t-elle. Cependant, les défenseurs du droit à l’avortement observent avec anxiété les États voisins du Missouri et de l’Oklahoma, où des restrictions quasi-totales sont imposées. Par exemple, il n’existe pas d’exception à l’interdiction d’avorter en cas de viol ou d’inceste au Missouri. Une dizaine d’États ont déjà banni les avortements sur leur sol. À terme, la moitié des 50 États du pays devraient le faire.