Droits voisins Internet : l'Union européenne donne son feu vert pour une réforme

Les députés européens ont voté ce mercredi 12 septembre en faveur d'une réforme du droit d'auteur qui a fait l'objet de nombreux débats. Si les agences de presse, les médias, les ayants droits et le ministère de la Culture français, applaudissent, les défenseurs des libertés numériques et du "partage libre de la connaissance" sont toujours vent debout contre la directive. Comme les géants du numérique, les GAFAM — pourtant leurs ennemis attitrés. Retour sur les enjeux de cette réforme. 
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Réunis en plénière au Parlement européen à Strasbourg, les eurodéputés ont avalisé une nouvelle version du texte rejeté le 5 juillet dernier, qui crée notamment un nouveau "droit voisin" pour les  éditeurs de presse.

Ce vote ouvre ainsi la voie aux négociations avec le Conseil de l'UE (représentant les 28 États membres, déjà parvenus à un compromis le 25 mai) et la Commission européenne, afin de s'entendre sur un texte définitif.

Quels sont les enjeux de cette réforme du droit d'auteur, quel débat a-t-elle soulevée en amont ? Relisez notre article à ce sujet, ci-dessous : 

C'est un texte de régulation d'Internet qui n'en finit pas d'aller de rebondissements en rebondissements : la "directive copyright" ou "directive sur les droits voisins".

Son objectif de départ ? Rémunérer ou supprimer les œuvres, écrits de presse diffusés illégalement sur Internet. Proposé à l'origine par la Commission européenne en 2016, le projet peut paraître au premier abord comme un progrès — et une manière de freiner les appétits des géants de l'Internet, Google en tête — tout en permettant de rémunérer les organes de presse ou autres "producteurs de bien culturels". En apparence seulement, puisqu'en matière de régulation d'Internet, le diable se cache toujours dans les détails, comme le soulignet les associations de défense des libertés numériques. 

Défendre les droits d'auteur… à quel prix ?

La position des agences de presse, sociétés de production, auteurs et médias d'information, est très claire : il faut forcer les plus gros diffuseurs Internet à passer des accords avec les ayants droit des œuvres diffusées sur le réseau mondial, pour organiser des modes de répartition des revenus — publicités, abonnements — des créateurs de contenus. Les ayants-droits devraient pouvoir aussi forcer les géants de la diffusion Internet à retirer les contenus de leurs plateformes sur simple signalement. Cette coalition d'intérêt est donc pour la directive sur les droits voisins, "quoi qu'il en coûte". De l'autre côté, des associations de défense des libertés numériques voient dans plusieurs articles de la directives un cheval de Troie pour automatiser la surveillance et la censure sur le réseau, soutenus par les défenseurs des licences libre, du partage des connaissances et de la culture en ligne, telle la fondation Wikimedia.  

La plateforme Youtube, propriété de Google est expressément visée par cette régulation, puisqu'elle héberge et diffuse des centaines de millions de contenus vidéo. un ayant droit n'ayant pas choisi d'y diffuser un contenu, n'ayant pas passé d'accord avec Youtube, ne devrait donc pas voir son œuvre accessible sur la plateforme sans contrepartie et — s'il le souhaite — devrait pouvoir demander sa suppression. Quand on sait que les internautes téléversent plus de 600 000 heures de vidéos chaque jour dans le cas de Youtube, comment détecter les fichiers illégaux ? Selon l'article 13 de la directive, les hébérgeurs de contenus dits illicites devraient proposer des solutions techniques d'automatisation de la recherche de ce types de contenus, pour accord commercial avec rétribution ou suppression, comme l'explique l'association La quadrature du net (LQDN) : 

L'article 13 de ce texte entend créer de nouvelles règles pour les gros hébergeurs - qui diffusent un « grand nombre d'œuvres ». Ceux-ci devraient passer des accords avec les ayants droit des œuvres qu'ils diffusent, afin de définir les modes de répartition des revenus (publicitaires ou d'abonnement) avec ceux-ci ou de prendre des mesures pour empêcher la diffusion de contenus signalés par ces derniers. Le texte mentionne des « techniques efficaces de reconnaissance des contenus », faisant clairement référence au Content ID déployé sur YouTube depuis dix ans - outil qui permet à Google de détecter automatiquement les œuvres publiées sur son site afin de permettre à leurs ayants droit d'empêcher ou de permettre leur diffusion (auquel cas contre rémunération).

Et c'est là que le bât de la "directive copyright" blesse cruellement.

Surveillance et censure

Les géants du Net ne peuvent se plier aux exigences de la directive qu'avec la mise en œuvre d'outils de surveillance automatisés, créant ainsi une sorte de "censure automatique par robots interposés". Les droits de citation, satires et autres créations par emprunts ou réappropriations n'auraient alors plus droit de cité.

Sous la pression des défenseurs des libertés numériques, quelques reculs ont été depuis concédés par les défenseurs de la directive, acceptant de ne pas généraliser le filtrage automatique des contenus : "La censure opérée par les plateformes ne devrait pas conduire au filtrage de contenus qui ne contreviennent pas à un droit d'auteur, ni au déploiement d'une surveillance généralisée des contenus mis en ligne (…) Certaines garanties contre des censures arbitraires ou abusives  devraient être inscrites, comme un mécanisme de contestation rapide auprès de la plateforme, ainsi que la possibilité de saisir un juge afin de faire valoir des exceptions au droit d'auteur qui rendraient le filtrage injustifié." souligne LQDN sur son site

Mais  l'association n'accepte pas les dernières possibilité de filtrage toujours présentes, et précise que "La régulation automatisée, plutôt que d'être mollement encadrée à la marge comme ici, devrait être entièrement déconstruite et bannie - il n'en est rien pour l'instant." Les solutions préconisées par LQDN, pour éviter la surveillance et censure des géants du Net s'ils sont soumis à la "directive copyright" sont donc les suivantes :


1. Il faut que les nouvelles obligations en matière de droit d'auteur ne concernent que des hébergeurs qui hiérarchisent les contenus à des fins lucratives et qui atteignent un certain seuil fixé de manière claire ;
2. Il faut que ces obligations ne se transforment jamais en filtrage automatisé, qui doit être clairement interdit ;
3. Il faut que la charge de saisir la justice pour faire valoir ses droits en cas de demande de retrait pèse sur les ayants droit et non sur les internautes.

Wikimedia France, "l'association qui œuvre pour le libre partage de la connaissance au travers des projets Wikimédia (Wikipédia, le WikitionnaireWikimédia CommonsWikidata, etc.)" est vent debout contre la directive des droits voisins et plus particulièrement l'article 11. Le problème pour l'encyclopédie collaborative mondiale est assez évident, puisque sous prétexte de protéger  les articles de presse, des autorisations de citation devront être effectuées pour chaque article cité :


Selon l’article 11, si une personne cite un article de presse sur Wikipédia pour indiquer l’origine d’une information, l’hébergeur de l’encyclopédie devra demander la permission aux éditeurs de presse pour citer cet article de presse. Wikipédia est le 4e site le plus consulté en France (Médiamétrie, février 2018), et, avec près d’un million de pages modifiées par mois, obtenir ces autorisations pour les centaines de sources ajoutées est du domaine de l’impossible. Le même traitement s’applique à n’importe quel autre site, rendant problématique le partage de l’information. Deux critères (le seuil d’originalité et le nombre de caractères) permettront de déterminer si l’extrait est soumis à autorisation ou non, et ce avec une dimension variable. En effet, le législateur européen, au lieu de proposer une loi unique pour l’ensemble de l’Europe, compte permettre à chaque pays de l’UE de définir ses propres critères. Les rédacteurs bénévoles de Wikipédia risquent de faire face à 28 droits voisins de la presse différents !

Presse arc-bouttée 

Une vingtaine de patrons d'agences de presse, dont celui de l'Agence France-Presse, estiment — quant à eux — dans une tribune publiée mardi 4 septembre 2018 que la réforme du droit d'auteur, qui prévoit l'instauration de "droits voisins", est une question de "survie de la presse". Cette réforme, soumise au vote des parlementaires européens le 12 septembre contraindrait les géants du Net à contribuer au financement de la presse : "Il s'agit ni plus ni moins que d'introduire le principe d'une juste rémunération des médias. Les députés européens ont le devoir de faire aboutir la réforme du droit d'auteur qui est engagée. Il en va de la survie de la presse, du maintien de son indépendance et de la défense des valeurs démocratiques", assurent les signataires de cette tribune à l'AFP.

"La question est au fond simplissime : pourquoi les plateformes toucheraient-elles la quasi intégralité des recettes publicitaires liées à la consultation d'articles dont elles n'ont pas financé la production ?", s'interrogent les signataires, parmi lesquels les agence DPA, Belga ou TT.


"La responsabilisation des grandes plateformes en ligne est indispensable. (...) Il n'y a pas lieu d'opposer le monde du numérique, qui serait celui des citoyens, de la gratuité et de la liberté, avec celui des artistes", a déclaré de son côté la ministre de la Culture française Françoise Nyssen, lors de la 75e édition de la Mostra de Venise. "C'est bien tout l'inverse : la liberté de l'usager d'internet est bien dans la garantie d'avoir accès à un contenu intellectuel le plus diversifié et dynamique possible, grâce au soutien de la création par sa juste rétribution", a-t-elle ajouté.

"Sans protection des droits d'auteurs, il n'y a pas de journalisme professionnel", ont rappelé de leur côté les fédérations internationale et européenne des journalistes (FIJ et FEJ) dans un communiqué exhortant les députés européens à adopter la réforme.

Les différentes parties opposées — mis à part les "géants d'Internet" qui devraient payer les ayants droits et n'en ont pas envie — ont donc un intérêt commun : l'abaissement du pouvoir des plateformes de partage au profit de la protection de la création et de la liberté d'expression, sans censure. Mais la directive, si elle votée ce mercredi 12 septembre, saura-t-elle allier ces deux aspects ?