Fil d'Ariane
Depuis tout jeune, Pape Wade caressait le rêve de devenir entrepreneur. Ce rêve, il l’a réalisé au Québec il y a cinq ans, en fondant la compagnie Airudi, spécialisée dans la création de plateformes se servant de l’intelligence artificielle pour aider les entreprises à mieux gérer leurs ressources humaines. Une PME qui a le vent dans les voiles. Rencontre.
Pape Wade, entrepreneur sénégalo-québécois dans l'intelligence artificielle.
Dans une grande salle bondée du Palais des Congrès de Montréal, Pape Wade participe à l’une des conférences de la rencontre internationale All In, qui a rassemblé dans la métropole québécoise les 11 et 12 septembre derniers quelque 4000 acteurs de l’Intelligence artificielle venus de 40 pays. Le Sénégalais d’origine raconte l’histoire de son entreprise, Airudi, qu’il a cofondée en 2019 avec Amanda Arciero. « Nous sommes une entreprise centrée sur l'humain et propulsée par l'intelligence artificielle... L'idée c'était, et c'est toujours, d'aider les entreprises à atteindre leur plein potentiel en utilisant les différents leviers comme l'intelligence artificielle » explique l’entrepreneur.
Airudi, contraction des mots « Artificial intelligence » et « érudit », est la preuve que l’IA utilisée intelligemment et de façon responsable peut devenir un outil indispensable aux entreprises pour assurer leur fonctionnement et leur développement. « On se positionne sur l'utilisation de l'IA de façon responsable, il faut que l'IA soit au service des humains et non le contraire, précise Pape Wade. L'IA est une alliée si on s'en sert de façon responsable ».
Dans ses bureaux montréalais, Airudi développe des outils pour aider les entreprises à mieux gérer leurs ressources humaines et à planifier leurs besoins en main d'œuvre. La PME compte déjà plus de 5000 clients au Canada, en France et en Afrique. Par exemple, Airudi vient de signer un contrat avec Urgence-Santé, le service qui gère les appels d'urgence médicale dans la région montréalaise, pour planifier ses besoins en effectifs paramédicaux selon les prévisions de la demande.
Pape Wade et la cofondatrice d'Airudi, Amanda Arciero, à la rencontre All in à Montréal le 11 septembre.
« C'est un outil pour prédire, en fonction du volume d'appel, comment on va pouvoir les aider à mieux déployer leurs ressources » ajoute Pape. En France, Airudi a développé une plateforme qui permet au port du Havre, l’un des plus importants d’Europe, à prévoir l'arrivée des bateaux jusqu'à 21 jours à l'avance, versus 24 heures sans l'intelligence artificielle. Un avantage non négligeable. Airudi offre aussi des plateformes à automatiser plus de 80% du processus du recrutement et aider les entreprises à prévenir les accidents de travail.
L'entreprise compte maintenant une cinquantaine d'employés, elle vise à en avoir une centaine d'ici la fin de 2025. Mais son cofondateur veille à ce que sa croissance ne soit pas effrénée, avec tous les risques que cela comprend : « Nous, on a opté pour un modèle de croissance responsable et durable » souligne Pape. Il tient également à ce que les actions et les interventions de son entreprise soient guidées en fonction d’un principe simple, avoir de l’impact.
Moi, on m'a toujours appris que, dans la vie, à chaque fois que tu poses des actions, quelles que soient ces actions, il faut qu’elles aient un impact sur toi et sur les autres. C’est ce qu'on fait dans l'entreprise également, ce sont des projets d'impact aussi bien sur le plan humain que sur le plan organisationnel . Pape Wade
Pape est né à Kaolack, une ville du centre du Sénégal. Il perd son père alors qu’il n’a que deux ans mais se fait adopter par son demi-frère, qui devient comme un père pour lui et l’un de ses mentors. Alors qu’il était dernier ou avant-dernier de sa classe quand il fréquentait l’école très jeune, Pape s’est bien rattrapé quand il est parti faire des études supérieures en France, à Toulouse. Mais c’est au Québec qu’il décide finalement de s’installer, il y a 16 ans, parce qu’il voulait réaliser son rêve de toujours : devenir entrepreneur, et qu’il ne voyait pas comment y accéder en France : « Et puis le projet de société du Québec rejoignait énormément mes valeurs, fait remarquer le jeune papa de deux garçons de 13 et 16 ans, nés au Québec. Je ne me suis jamais senti aussi proche de l'Afrique, malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent, qu'au Québec. Il y a beaucoup de ressemblances, la chaleur humaine, la proximité entre les gens ».
Une vue du campus de l'université Bishop's près de Sherbrooke.
L’Afrique, Pape y retourne plusieurs fois dans l'année. Il y a deux ans, Airudi y a ouvert un bureau, à Dakar, au Sénégal, où une quinzaine d’employés travaillent déjà. Et prochainement, un autre bureau va être ouvert au Bénin. L’entrepreneur estime que l’IA est une opportunité en or à saisir pour le continent africain : « Jamais, dans l'histoire de l'humanité, l'Afrique n'a eu autant d'opportunité pour pouvoir réduire le décalage de développement par rapport à l'OCDE et autres pays développés. La technologie est un moteur de progrès et de développement. Les technologies qu'on développe ici au Canada, à Montréal, à travers le monde, on peut assez facilement les adapter à un contexte africain en quelques jours, quelques semaines, on peut développer des algorithmes ici et les transposer dans le contexte africain ». Et pour Pape, faire des affaires en Afrique, c’est aussi avoir un impact dans le continent où il est né. « Je redonne aussi au Québec qui m'a tant donné : chaque année, on donne des bourses au doctorat maîtrise et post doc à des étudiants à Polytechnique, HEC Montréal » ajoute l’entrepreneur.
Bardé de diplômes, dont un MBA des HEC Montréal, une maîtrise en sociologie des organisations et deux autres maîtrises récoltées à Toulouse, Pape a travaillé pendant plus de dix ans comme directeur des ressources humaines dans une entreprise québécoise avant de se lancer dans l’aventure de fonder son entreprise. Il voulait être sûr de lui, sûr de son affaire… Venant d’une famille de paysans, il applique les principes de l’agriculture tant dans sa vie que dans son entreprise, un modèle basé sur la patience : « Prendre le temps de semer, prendre le temps d'avoir des tuteurs qui vont soutenir l'arbre, qui vont soutenir cette croissance-là, ensuite enlever la mauvaise herbe autour, laisser pousser, laisser croitre et récolter collectivement les fruits de ce qu'on a semé » conclut l’entrepreneur.