Fil d'Ariane
Le 14 mai 2023, la Turquie élira son président pour les cinq prochaines années. Le président Recep Tayyip Erdogan est candidat à sa réélection. Surnommé “Reis” (Chef) par ses partisans, il a profondément imprimé sa marque sur le pays. Portrait.
Des piétons marchent à côté d'une affiche de campagne du président turc Recep Tayyip Erdogan, le 4 mai 2023 à Istanbul.
Cela fait vingt ans qu’il gouverne la Turquie. Va-t-il prolonger son règne pour les cinq prochaines années ? Adulé ou détesté, l’ancien Premier ministre élu et réélu Recep Tayyip Erdogan est candidat à sa succession pour l’élection présidentielle turque du 14 mai 2023. Il affrontera le candidat désigné par une plateforme de six partis d’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, patron du parti social-démocrate CHP créé par le fondateur et premier président de la République turque, Mustafa Kemal Atatürk (1923-1938).
Les enquêtes d’opinion président une élection serrée pour le chef de l’État turc. Il s’agit de la plus périlleuse depuis son arrivée au pouvoir en 2003.
Recep Tayyip Erdogan est né le 25 février 1954 dans le quartier populaire de Kasimpasa, sur la Corne d’Or à Istanbul. Élevé à la dure, la légende assure qu’il se défoule en tapant dans un ballon de chiffons et de papiers. Ado, sa haute stature (1,85m) en fait un avant-centre recherché des clubs du quartier, avant de lui faire valoir des offres de clubs professionnels, dont le prestigieux Fenerbahçe d’Istanbul.
Mais son père, un marin austère de la Mer noire, l’aurait volontiers destiné à une carrière d’imam et lui impose des études religieuses. Le jeune homme fréquente les premières écoles publiques religieuses qui associent l’étude du Coran et des matières profanes. Il fait ses études dans le département des sciences économiques et administratives à l’Université Marmara, où il obtient son diplôme en 1981. Il s’intéresse alors à la politique et entre dans le Parti de la Prospérité. Ce parti est tenu par Necmettin Erbakan, qui deviendra par la suite son mentor et Premier ministre.
Sa formation dans un lycée de prédicateur imprègne fortement son ascension. Il gravit les échelons et devient maire d’Istanbul en 1994. Erdogan prône la piété, s’érige en défenseur de la famille menacée selon lui par les mouvements d’émancipation des femmes et LGBTQ+. Lorsqu’il devient maire, il limite la vente d’alcool à Istanbul.
Recep Tayyip Erdogan lors d'une conférence de presse à Istanbul, le 22 avril 1998, alors qu'il est maire de la ville.
Il se revendique proche de la mouvance nationaliste turco-islamiste et s’oppose à toute laïcité prônée autrefois par Atatürk, père de la République turque. En décembre 1997, il lit un poème issu d’un livre recommandé par le ministère de l’Éducation nationale et publié par un organisme d’État en s’adressant au public. “Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques/les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats/cette armée divine garde ma religion”, récite-t-il. Il est traduit en justice pour incitation à la violence et passera ensuite quatre mois en prison.
Après sa sortie de prison, il cherche à se donner une image de démocrate. En 2001, il décide de fonder son parti : l’AKP, le parti de la Justice et du Développement. C’est grâce à la confiance que la nation porte en l’AKP qu’Erdogan prend son envol politique. Il devient Premier ministre de 2003 à 2014. L'économie turque a explosé lors de la première décennie Erdogan. Il couvre le pays de ponts, d’autoroutes et d’aéroports. De cette manière, il projette la Turquie à grande vitesse dans le XXIe siècle. Selon la Banque mondiale, la production annuelle de la Turquie est passée de 3 640 dollars par habitant en 2002 à 12 507 dollars à son apogée, en 2013.
Le 10 août 2014, Recep Tayyip Erdogan devient le premier président de la République turque à être élu au suffrage universel direct. Il a su tirer parti de sa maîtrise des foules et de la télévision. Capable de tenir jusqu’à huit meetings par jour, il harangue, ménage ses effets, embrasse les bébés sur scène ou serre les vieilles femmes contre lui.
L’idée d’une adhésion de la Turquie à l’Union européenne se renforce. Erdogan prône l’ouverture et cherche à se défaire du carcan de l'armée, omniprésente dans la gestion du pouvoir dans l’histoire moderne de la Turquie. Cependant, dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une faction de l’armée tente de renverser le pouvoir. Erdogan, paniqué, appelle le peuple à se rendre dans la rue en direct à la télévision. Il dénonce le “soulèvement d’une minorité au sein de l’armée.” Face à la mobilisation populaire favorable à Erdogan, le coup d’État échoue.
La politique d’Erdogan prend un tournant autoritaire après cet épisode. Il cherche à supprimer la moindre contestation de son pouvoir. Des milliers d’universitaires, de journalistes et d’opposants sont arrêtés. En avril 2017, un référendum est organisé à propos d’une réforme de la Constitution en Turquie. Cette réforme permet au président Erdogan de renforcer ses pouvoirs, notamment en lui permettant de se représenter à l’élection présidentielle jusqu’en 2029, d'obtenir la mainmise sur les pouvoirs législatifs et judiciaires mais aussi d'avoir la haute main sur l’État d’urgence. Le 16 avril, le Haut-Conseil électoral de Turquie confirme la victoire du “oui” à ce scrutin. Erdogan peut désormais gouverner seul, sans Premier ministre.
Recep Tayyip Erdogan veut faire de la Turquie une puissance régionale, même internationale. Pour cela, le président turc a su utiliser la position unique de la Turquie, entre l’Europe et le Moyen-Orient. Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, il a ménagé ses relations avec les deux belligérants sans s’aliéner le soutien de son homologue russe Vladimir Poutine, dont il dépend pour les besoins énergétiques du pays, ni se mettre à dos les alliés de l’Otan. En revanche, il s’est brouillé avec la plupart de ses voisins : la Syrie de Bachar al-Assad, l’Egypte du maréchal al-Sissi, la Grèce, Israël, l’Irak, les pays du Golfe…Soucieux de ménager l’avenir, il a entrepris ces dix-huit derniers mois un vaste entreprises de réconciliation avec la plupart d’entre eux.
Par ailleurs, plusieurs projets illustrent l’ambition mégalomaniaque du chef de l’État. Il s’est notamment fait bâtir un palais de plus de 1 000 pièces sur une colline boisée protégée d’Ankara. Le troisième pont sur le Bosphore et l’ouvrage qui enjambe depuis 2022 le détroit des Dardanelles (4,6km), soit le plus long pont suspendu au monde, en font partie. La gigantesque mosquée de Camlica (30 000 places) d’Istanbul, aux minarets hauts de 107 mètres, s’ajoute au troisième aéroport de la ville inauguré en 2018, aux lignes ferroviaires à grande vitesse, aux centrales hydroélectriques et thermiques et à la première centrale nucléaire du pays inaugurée fin avril 2023.
Le “projet fou”, selon les propres termes d’Erdogan, du Canal d’Istanbul (45 km de long, 275m de large), qu’il veut percer parallèlement au Bosphore, entre la mer de Marmara et la mer Noire, se heurte au manque de fonds. En effet, la Turquie traverse une importante crise économique. Une crise diplomatique brutale avec Washington et l'administration Trump en 2018 et le début d'une hausse progressive des taux d'intérêt en Occident ont provoqué un effondrement de la livre turque qui a déclenché le remboursement des prêts en dollars. Cela se traduit par une inflation à deux chiffres. L'inflation a dépassé les 85% l'automne dernier, au plus haut depuis 1998. Pour stimuler la production, Erdogan a abaissé les taux d'intérêt. Ce dernier se retrouve affaibli par cette crise économique.
Le 6 février 2023, la Turquie et la Syrie sont frappées par de violents séismes. Côté turc, plus de 50 000 morts et 105 000 blessés sont à déplorer. Erdogan a promis une reconstruction au pas de charge, “en un an” alors que la secousse d’une magnitude de 7,8 a dévasté près de 278 000 bâtiments et déplacé plus de 3 millions de personnes. Le 27 février, Erdogan demande “pardon” aux habitants de la province d’Adiyaman, une des régions les plus touchées par le séisme, pour les retards dans l’arrivée des secours. De ce fait, le séisme a encore affaibli la position d’Erdogan. Les sondages prédisent des élections serrées le 14 mai, certaines enquêtes d'opinion donnant même Kemal Kiliçdaroglu vainqueur au second tour.