Durée du travail en France : les contre-vérités

Une fois de plus, les 35 heures font polémique en France depuis que l'ancien banquier Emmanuel Macron, nommé il y a trois jours ministre de l'Economie, s'est dit favorable à une abrogation de la loi. La petite ritournelle selon laquelle les Français ont tendance à travailler moins que leurs voisins n'a pas tardé à se faire entendre. Pourtant, au regard des chiffres, la réalité est beaucoup plus nuancée.
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Durée du travail en France :  les contre-vérités
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Voilà relancé le débat sur les 35 heures en France. C'est une interview du tout nouveau ministre de l'économie qui a remis le sujet sur la table. Répondant aux questions de l’hebdomadaire Le Point, la veille de sa nomination à Bercy, Emmanuel Macron s'est dit  favorable à une remise en cause des 35 heures : « Nous pourrions autoriser les entreprise et les branches à déroger aux règles du temps de travail et de rémunérations ». Sans surprise, le MEDEF s'est engouffré dans la brèche. « La France est dans une situation critique. C'est le seul pays à avoir les 35 heures, le seul où le chômage augmente aussi fortement. La question des 35 heures n'est pas tabou », a déclaré sur France Info le vice-président de l'organisation patronale, Geoffroy Roux de Bézieux, avant d'ajouter : « on est prêt à ouvrir des négociations sur un assouplissement ».
Face à la polémique naissante, Matignon a vite répliqué par un communiqué en assurant que le gouvernement n'avait « pas l'intention de revenir sur la durée légale du travail ». Sur la chaine LCI, Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, a enfoncé le clou en affirmant qu'il n'y avait « aucun projet de cette nature ». Pourtant, le Premier ministre français, qui s'est fait applaudir par les patrons à l'université d'été du MEDEF, ne s’est jamais présenté comme un défenseur des 35 h. Bien au contraire. En 2011, alors qu'il était candidat pour les primaires socialistes, Manuel Valls avait affirmé vouloir « déverrouiller » les 35 h. Alors, la solution pour calmer le jeu ? Renvoyer l'épineuse question aux partenaires sociaux qu'Emmanuel Macron rencontrera dans « les tous prochains jours », ont assuré ses services. En attendant, certaines statistiques seraient bonnes à rappeler pour clarifier le débat. 

1. La durée du travail effectif par semaine est plus importante en France qu’en Allemagne

En 2013, selon Eurostat, les Français ont travaillé 37,5 h par semaine, soit légèrement plus que la moyenne européenne (37,2 h). Contrairement aux idées reçues, la durée hebdomadaire du travail effectif en France est plus importante qu’en Allemagne (35,3 h )et plus faible qu’en Grèce (42,1 h). En revanche, sur l’année, les Allemands ont travaillé légèrement plus que les Français : 1536 h contre 1580 h selon l’étude 2014 de COE-Rexecode. Néanmoins, l’écart reste modeste. Il a même été divisé par deux en trois ans, passant de 87 à 44 heure
Durée du travail en France :  les contre-vérités
Durée hebdomadaire du travail effectif de l'ensemble des salariés à temps plein et à temps partiel - source Eurostat.

2. Les non-salariés en France travaillent plus que leurs collègues européens

Selon les chiffres les plus récents de l'Insee , les non-salariés en France travaillent 53 h par semaine, contre 50,4 h en Allemagne et 47,6h dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Seuls leurs collègues autrichiens et belges ont des semaines plus chargées.
Durée du travail en France :  les contre-vérités
Durée hebdomadaires en heure des non-salariés - Chiffres INSEE de 2012.

3. D'autres pays ont réduit davantage le temps de travail que la France

Partout en Europe, le temps de travail a baissé depuis le début du XXI siècle. Et ce n'est pas en France où la baisse a été la plus forte. Entre 1999 et 2010, d'autres pays, tels que la Lettonie, la République tchèque et la Slovaquie, ont réduit davantage leur temps de travail effectif en passant sous la barre des 40h par semaine. Même en Allemagne la baisse a été plus importante : -2,2 h contre -2,1 h en France.  
Durée du travail en France :  les contre-vérités
Temps de travail hebdomadaire - source Eurostat (cliquez pour agrandir le tableau)

4. Jours de repos : les Français ne sont pas les mieux lotis

Disposant de  36  jours de repos dont 25 de congés payés, les Français se placent en haut de la fourchette mais ne sont pas les mieux lotis de l'Union européenne. Les salariés européens qui peuvent avoir le plus de jours de repos sont les Autrichiens (25 congés payés et 13 jours fériés) et les Maltais (24 congés et 14 jours fériés). Ils sont suivis par leurs homologues de Grèce et de Pologne qui cumulent 37 jours de congés potentiels. L’Allemagne, elle, se trouve en bas du tableau. Les travailleurs d'Outre-Rhin ne bénéficient que de quatre semaines légales de congés payés et ne peuvent compter que sur 9 jours fériés au niveau national. Mais, dans les faits, les entreprises rajoutent bien souvent des jours de congés payés au minimum légal. Côté britannique, le résultat est trompeur puisqu'un employeur anglais peut inclure les 8 jours fériés dans les 28 jours de congés payés.
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5. La France, un des pays les plus productifs de l'Union européenne

Malgré les 35 heures et la crise, les Français s'avèrent très productifs au travail. Ils le sont légèrement moins que les Belges mais le sont autant que les Allemands et beaucoup plus que l'ensemble des Européens de la zone Euro. Un indicateur : le niveau de PIB par heure travaillée. Selon les statistiques de l'OCDE, il s'élevait en 2013 à 49,3 en France contre une moyenne de 43,7 dans l'Union monétaire.
Les Français sont donc loin d'être des privilégiés. Grosso modo, malgré des chiffres qui peuvent toujours être sujet à discussion selon les méthodes et les sources utilisées, leur situation au travail est comparable à celle de leurs voisins européens. Avec l'Allemagne notamment, les écarts ne sont pas aussi flagrants que l'on pourrait le croire. Alors pourquoi vouloir revenir sans  cesse sur la loi des 35 heures ? D'autant que depuis sa mise en place sous le gouvernement Jospin à la fin des années 90, elle a été vidée de sa substance et permet aujourd'hui aux entreprises de redéfinir le temps de travail de leurs salariés en cas de difficultés économiques. Alors pourquoi ? Parce que cela reste la mesure la plus emblématique la gauche post-mitterrandienne ? Parce que revenir sur les 35 heures, c'est surtout s'attaquer in fine aux majorations accordées en cas d'heures supplémentaires. Autrement dit, ce serait demander aux Français de travailler plus sans nécessairement... gagner plus. Pour le gouvernement Valls, ce n'est pas défendable en cette période de récession et de chômage de masse. D'où son empressement à étouffer la polémique.