La Troïka impose une seule et unique recette, l'austérité, face à la crise de la dette européenne alors que de nombreux pays membres continuent à être en récession ou avec une croissance très faible. Mais il semble que certains dirigeants, dont des libéraux, commencent à douter de cette orientation.
Mariano Rajoy, premier ministre espagnol a créé la surprise le 2 mars dernier à Bruxelles lors de la signature du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire) en annonçant lors de la conférence de presse qui suivait qu'il ne respecterait pas les objectifs fixés pour l'Espagne par le Pacte de stabilité et de croissance. Le premier ministre espagnol du parti conservateur (droite), élu entre autres pour son engagement à réduire la dette espagnole, dont l'orientation est partagée par tous les partis de la droite libérale européenne a semé un trouble qui continue de questionner la politique économique de l'union : comment Rajoy peut-il à la fois signer le traité qui engage l'Espagne à durcir la discipline budgétaire tout en annonçant qu'il ne s'y pliera pas ?
Une remise en cause des politiques d'austérité qui débute Il y a des voix qui s'élèvent désormais au parlement à l'encontre de la politique d'austérité massive imposée de façon autoritaire par le couple franco-allemand, "Merkozy" aidé des responsables de la Troïka (Commission, BCE, FMI). Les parlementaires socialistes belges, français ont mis en cause ces mêmes responsables la semaine dernière : Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques (finlandais), Jörg Asmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne (allemand) et Poul Thomsen, chef de la mission du Fonds monétaire international(FMI) à Athènes (danois) ont été accusés de ne jamais douter de la pertinence de leurs hypothèses mises en oeuvre depuis 2 ans avec la Grèce et qui ne fonctionnent pas : la Grèce est toujours en récession, de 6,9% en 2011, a un taux de chômage de plus de 20% et un endettement public de 161 % du PIB. L'austérité est une impasse Le conservateur Rajoy qui estime ne pas avoir eu besoin de prévenir ses collègues européens de sa décision (de ne pas se plier aux objectifs du pacte de stabilité) a déclaré "Il s'agit d'une décision souveraine que nous, Espagnols, nous prenons". Cette décision sème le doute au sein des gouvernements de la droite libérale européenne vis à vis de la sacro-sainte austérité, tant promue comme unique solution à la crise de la dette. Pour certains analystes, comme Henri Sterdyniak, Directeur du Département économie de la mondialisation à l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques), la politique d'austérité (basée sur le recul de l'âge de la retraite, la baisse des impôts, les coupes dans les dépenses publiques, la baisse des salaires des fonctionnaires et de plus en plus la réduction des droits du travail, ndlr) "ne fonctionne pas", et pire encore "nous met dans une situation très particulière, en ce sens que la commission impose des politiques d'austérité aux pays, et ces politiques d'austérité se traduisent par des baisses de la croissance de ces mêmes pays qui les empêchent de réaliser les objectifs qu'on leur impose. On a donc des pays qui déraillent, c'est le cas des Pays-bas, de l'Espagne. Les efforts demandés sont irréalisables et mènent à des situations conflictuelles : on demande une réduction de 4 points de PIB du déficit par an à l'Espagne, pour 2012-2013, c'est du grand n'importe quoi". C'est pour l'économiste une explication à l'annonce de Rajoy : "ces gouvernements (soumis à des politiques d'austérité) oscillent entre la rébellion et le mensonge pour un certain nombre d'entre eux, ils ne voient pas comment faire."
Pourquoi ne pas envisager une autre méthode que celle de l'austérité ? La question fait sourire Henri Sterdyniak : "C'est une histoire de fous, cela fait très longtemps que l'on dit (un certain nombre d'économistes, ndlr) à la Commission "attention, le Pacte de stabilité ça ne tient pas, il faut des politiques beaucoup plus souples, il faut d'abord se préoccuper de croissance, relancer l'investissement productif", mais le problème c'est qu'il y a une domination très grave de la pensée libérale, une méfiance des pays les uns envers les autres, une pression des pays du Nord qui fait que les pays du Sud n'osent rien dire et que la France ne s'est malheureusement pas mise du côté des pays du Sud. Et si les pays du Sud n'osent rien dire c'est parce qu'ils ont peur d'être victimes des marchés." Pour l'économiste de l'OFCE, la situation est très grave et ne laisse pas beaucoup d'espoir quant à une amélioration prochaine, même avec l'aide de la BCE : "La BCE, vue la situation, fait ce qu'elle peut : elle achète de la dette publique quand c'est nécessaire, de l'Espagne ou de l'Italie, pays qui sont directement attaqués par les marchés, elle soutient massivement les banques en leur donnant 1000 milliards d'euros, et vu le peu de demande, tout ça ne crée malheureusement pas d'inflation (facteur de réduction de la dette, ndlr)." Sur l'Espagne, la politique d'austérité doit engendrer une récession correspondant à -0,1% de PIB cette année et -0,6% l'année prochaine : "Il n'y a pas d'issue pour l'Espagne, mais comme pour le Portugal, l'Irlande, la Grèce, l'Italie." affirme Henri Sterdyniak. Et de prédire "soit l'Europe continue comme ça et on se retrouve avec 10 années de perdues à la japonaise, avec des politiques d'austérité en permanence sous la menace des marchés, soit il faut un tournant complet : on dit qu'on oublie la discipline budgétaire et on fait de la croissance en faisant des grands travaux de façon à ce qu'il y ait quelque chose qui se passe". Alors qu'un début de grogne anti-austérité débute dans les rangs sociaux démocrates, les élections françaises et allemandes pourraient peut-être déclencher une autre politique économique à l'échelle européenne. Mais l'économiste y croit modérément : "tout ça me paraît bien mou" dit-il en guise de conclusion.