L'économie allemande, brandie comme un modèle depuis le début de la crise financière, commence à inquiéter de nombreux observateurs. Sa croissance faiblit, ses exportations et ses investissements chutent, la demande intérieure stagne et les mouvements sociaux s'enchainent. La locomotive allemande serait-elle en train de s'arrêter ?
C'est le président de l'institut allemand pour la recherche économique, Marcel Fratzscher, conseiller du ministre de l'Economie, qui le souligne dans l'ouvrage qu'il vient de publier, «Allemagne, l’Illusion» : "l’Allemagne est sur le déclin et vit sur ses acquis. C'est un pays où les deux-tiers des salariés ont vu leurs revenus diminuer depuis les années 2000, où un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, où les salaires ont progressé moins vite que dans le reste de la zone euro, et où les écarts de richesse et l’inégalité des chances n'ont pas cessé d'augmenter depuis plus de 20 ans…" Ce constat, en totale opposition avec les discours en vogue dans une grande partie du monde politique et économique français — qui ne cesse de vanter les mérites du modèle économique allemand — sonne comme un coup de semonce. L'Allemagne, moteur de l'économie européenne, qui jusque là semblait échapper aux mauvais sort des autres membres de l'Union, ralentit fortement. Les analyses pessimistes de Marcel Fratzscher, jusqu'alors occultées par les bons résultats macro-économiques du pays, dévoilent aujourd'hui les limites de la politique de restriction budgétaire et de réformes du travail pratiquée par l'Allemagne depuis les années Schröder. Le modèle économique allemand n'est pas tenable à termes : ses forces sont devenues des faiblesses, et il est temps pour lui de changer de cap, selon de nombreux observateurs. Parmi eux, les deux ministres français du Budget et de l'Economie qui semblent tentés d'aller en faire part à Angela Merkel, ce 20 octobre.
Manque d'investissements
La croissance allemande est faible, même si elle fait partie des plus élevées de la zone euro : elle sera de 1,2% sur l'année 2014, mais avec une récession technique probable à la fin de ce dernier trimestre. Cette récession est toute récente, mais n'est pas le seul facteur inquiétant de l'économie allemande. Les créations d'emplois ont été très faibles en 2013 (à peine 6000 nouveaux emplois), et démontrent la faiblesse des investissements outre-Rhin, tant publics que privés. L'Allemagne, championne de l'équilibre budgétaire et de la "bonne gestion" de ses déficits a fait le choix de réduire ses dépenses et investissement publics durant les 15 dernières années. Si les exportations ont compensé fortement cette politique de rigueur, les effets négatifs ces politiques commencent à survenir : les infrastructures de transport sont en mauvais état, les emplois à temps-partiel pullulent, les salaires baissent. Un chiffre clef peut aider à mieux envisager la problématique allemande sur ses manques d'investissements : le président de l'institut allemand pour la recherche économique, Marcel Fratzscher estime le déficit en investissements publics et privés à 80 milliards d’euros par an. Il faut dire que l'Allemagne est passée d'un taux d'investissement de 23% de son PIB dans les années 90 à…17% aujourd'hui.
Demande intérieure faible et baisse des exportations
L'Allemagne a misé sur sa compétitivité, particulièrement à l'exportation. Pour y parvenir, des réformes importantes ont été mises en œuvre, touchant majoritairement au marché du travail, aux retraites, aux aides sociales et au chômage. Les "sacrifices" concédés par les salariés allemands ont permis aux entreprises, durant une décennie, d'augmenter leur compétitivité. Cette même politique a permis à l'Etat d'économiser sur ses dépenses publiques. En contrepartie, la population allemande n'a que très peu d'épargne, les mini-jobs à moins de 500 euros par mois ou 1 euro de l'heure sont le lot de millions de salariés, et si un ralentissement trop sensible de l'économie européenne ou des pays émergents survient — comme c'est le cas actuellement — l'économie Allemande freine brutalement. La demande intérieure allemande est faible, pour cause d'une précarisation trop importante d'une partie conséquente de la population et ne peut donc compenser la baisse des exportations en cours. Si l'on ajoute à cela un Etat qui continue à serrer la vis budgétaire et réduit les aides sociales, dépenses publiques, et autres investissements d'avenir, le tableau allemand change de teinte, pour devenir très sombre.
Les Français et Italiens en embuscade
La solidité économique allemande est basée sur ses exportations à 40%…européennes. Résultat : si les membres de la zone euro s'affaiblissent et achètent moins à l'Allemagne, c'est autant de baisse d'exportation qui survient pour celle-ci, autant de croissance en moins. C'est ce cercle vicieux qui semble se mettre en place, et une politique de relance par l'investissement, voulue par le président du Conseil italien, Matteo Renzi, et par la France, est une option qu'Angela Merkel risque de devoir sérieusement envisager, selon Marcel Fratzscher. Emmanuel Macron et Michel Sapin vont tenter ce lundi de convaincre leurs homologues allemands d'opérer une politique du gagnant-gagnant : 50 milliards de réduction de dépenses publiques en France pour satisfaire aux exigences du traité de stabilité si cher à l'Allemagne, en échange de quoi, celle-ci mettrait 50 milliards d'investissements publics sur la table. Bien qu'encore insuffisante, cette relance allemande aurait au moins un mérite, si elle était acceptée : celui de démontrer qu'une autre politique économique que celle de la rigueur budgétaire peut-être pratiquée dans l'Union, voire que c'est cette politique là qui pourrait faire redémarrer la locomotive. Et le train dans son ensemble ?