Fil d'Ariane
La Suisse négocie avec l'Union européenne un accord-cadre institutionnel global sur l'accès aux marchés financiers, depuis plusieurs années. En attendant cet accord, l'équivalence boursière offerte par Bruxelles était là pour pallier le problème. Les acteurs financiers suisses pouvaient donc négocier dans l'Union, quand ceux de l'Union faisaient de même en Suisse, passant principalement pour ces derniers par SIX Group, regroupant à lui seul 70% des "liquidités boursières" hélvétiques.
La Suisse ne veut pas vraiment de cette solution d'accord cadre global, et le gouvernement fédéral ne peut pas prendre une décision pareille immédiatement, on a l'habitude de voter en Suisse pour ce genre de choses.
Sébastien Ruche, journaliste pour le quotidien Le Temps, spécialiste en marchés financiers
Sans l'accord d'équivalence boursière, SIX Group n'est plus membre des plateformes boursières européennes, ce qui interdit — d'un point de vue réglementaire — aux "brokers" (négociants d’actions, ndlr) européens de passer par cette plateforme. La raison de l'agacement de la Commission européenne ayant mené au non-renouvellement de l'accord est simple : le refus du Conseil fédéral suisse de signer l'accord-cadre final sur la table… depuis décembre dernier. Bruxelles accuse la Suisse de "jouer la montre". Le gouvernement fédéral helvétique demande des "éclaircissements".
Les autorité suisses n'ayant pas apprécié la menace européenne qui devrait prendre effet ce 1er juillet, ont donc décidé — elles aussi — d'agir, en interdisant les achats d'actions suisses… en Europe ! Une ordonnance fédérale est sur le point d’entrer en vigueur visant à rapatrier "le négoce financier" en Suisse, en permettant aux brokers d'acheter des titres helvétiques où bon leur semble… sauf en Europe.
Si l'accord global était conclu, il y aurait beaucoup plus de travailleurs européens en Suisse et probablement un tassement des rémunérations. C'est l'une des craintes principales en Suisse.
Sébastien Ruche, journaliste pour le quotidien Le Temps, spécialiste en marchés financiers
Mais comme rien n'est jamais simple dans le monde de la finance, cette mesure de protection pourrait ne pas très bien fonctionner, puisqu'elle ne s’applique qu’aux actions de sociétés suisses, négociées sur les Bourses suisses. Avec de plus, une épine légale dans le pied des autorités suisses : les plateformes boursières européennes ne sont pas censées suivre des lois de pays non-membres, puisque ces lois ne s'appliquent pas dans l'Union…
L'enjeu de la fin de l'équivalence boursière est important pour la finance suisse, et pourtant les dirigeants de la Fédération ne semblent pas très inquiets. Certains analystes expliquent la raison de cette sérénité de façade de plusieurs façons : le premier serait de l'ordre du bluff, Berne étant convaincue que Bruxelles n'appliquera pas la fin de l'équivalence boursière et renoncera au dernier moment ou reviendra très vite sur la fin de l'accord. Le deuxième est d'ordre technique : les opérateurs financiers se prépareraient depuis des mois à la fin de l'équivalence boursière et auraient des solutions pour la contourner et continuer d'opérer avec le marché suisse. La troisième est simplement politique : Berne sait qu'elle peut continuer de demander des clarifications à Bruxelles et signer en octobre l'accord-cadre final, après votation. Tout en gardant la tête haute jusque là.
La mesure de rétorsion suisse pour interdire aux bourses européennes d'acheter des actions suisses permettra peut-être à la Suisse de ne plus avoir besoin de cette équivalence boursière.Sébastien Ruche, journaliste au quotidien Le Temps, spécialiste en marchés financiers
Mais malgré la sérénité affichée, l'accord reste important dans les milieux financiers, ainsi qu'un porte-parole de la Bourse helvétique l'expliquait il y a peu : "L’équivalence permanente reste notre priorité la plus haute, afin de garantir la sécurité juridique et que des marchés ouverts, efficaces et transparents continuent de servir les exigences des investisseurs". Voilà qui a le mérite d'être clair.