Fil d'Ariane
L'idée est un peu rocambolesque mais semble séduire les deux vice-présidents du Conseil des ministres italien Mattéo Salvini (Ligue) et Luigi Di Maio (5 étoiles) : vendre une partie des lingots d'or de la banque centrale italienne pour éponger les déficits publics. Ce projet que le quotidien La Stampa a révélé il y a peu, est basé sur un amendement — encore à l'étude — du conseiller économique de Matteo Salvini, le député Claudio Borghi. Cet amendement autoriserait les ventes d'or de la Banca d'Italia par l'État.
La polémique sur les stocks d'or italiens de la Banque centrale n'est pas récente et revient souvent dans le débat public. Bepe Grillo, le dirigeant du mouvement 5 étoiles demandait déjà il y a quelques mois "pourquoi l'État ne pourrait pas "vendre ses "bijoux de famille" au lieu que ce soit les particuliers". Berlusconi avait lui aussi voulu toucher à l'or de la banque centrale italienne il y a une dizaine d'années, en proposant… de le taxer. Le projet fut enterré.
Italie : troisième pays au plus gros stock d'or
L'Italie est très bien placée au niveau mondial sur cette réserve monétaire puisqu'elle se classe au troisième rang des pays détenteurs d'or des pays de la planète (quatrième en comptant le stock d'or du FMI), avec un stock de 2 451,8 tonnes d’or, soit l’équivalent de près de 72 milliards d’euros du précieux métal. En comparaison, les deux plus gros stocks d'or de pays avant l'Italie sont ceux des États-Unis (8.134 tonnes) et de l'Allemagne (3.370 tonnes).
Une banque centrale nationale utilise ses réserves d'or comme fonds de garantie pour sécuriser des transactions dans le cas de crédits, la plupart du temps. Mais ce stock d'or des banques centrales est aussi un moyen de "paiement en dernier recours", particulièrement en cas de crise financière, si par exemple la "monnaie papier" perd de sa valeur ou que les marchés financiers s'effondrent. L'or est avant tout un moyen de paiement universel qui ne se déprécie pas et les réserves en métal précieux des banques centrales sont au final un gage de stabilité des pays, particulièrement en termes de confiance dans leur solvabilité. L'idée italienne de vendre une partie de ses stocks d'or semble aujourd'hui un message décalé ou inquiétant envoyé à la zone euro. Elle n'est pourtant pas unique en son genre.
En 2004, en France, le ministre de l'Economie du gouvernement Raffarin, Nicolas Sarkozy, décide de vendre 19,5% des reserves d'or françaises, à bas cours. Cette opération, en accord avec le gouverneur de la Banque France correspondait à la vente de 500 à 700 tonnes d'or échelonnée sur 5 ans. L'opération, en 2010, une fois comptabilisées les plus values de cession et la valeur finale de l'or à cette époque, s'est soldée par une perte de 10,2 milliards d'euros. Vendre les lingots de la banque centrale n'est donc pas toujours une bonne opération pour l'Etat, comme le soulignait la Cour des comptes en 2012 (page 279).
Un rapport de la Banque centrale d'Italie de 2010 indiquait que 1 199,4 tonnes d’or sont stockés au Palazzo Koch, le quartier général de la banque centrale, soit la moitié de sa réserve de métal précieux. 12 tonnes seraient au Royaume-Uni, une autre partie en Suisse, et au moins 1000 tonnes dans la FED de New-York, la réserve fédérale américaine. Le seul problème réside dans l'opacité de la gestion de ces stocks aux Etats-Unis. L'Allemagne — qui elle aussi avait la moitié de son or à New-York — l'a vérifié en 2012, et continue à ne pas parvenir à rapatrier l'intégralité de son stock d'or depuis la FED.
La moitié des réserves d'or de l'Allemagne est supposément détenue à l'étranger, aux États-Unis (45 %), au Royaume-Uni (13 %) et en France (11 %). L'Allemagne, qui avait acheté cet or dans ces trois pays, souhaitait le conserver sur place, pour éviter les risques liés à un transfert. En 2012, la Bundesbank a demandé à ces pays de rapatrier ses réserves d'or. La France a renvoyé l'or demandé, le transfert s'étant achevé en 2017. Mais la Réserve fédérale des États-Unis (FED) a refusé de renvoyer l'or allemand. Les commissaires allemands venus vérifier la présence (ou absence) de cet or dans les coffres de la FED n'ont par ailleurs pas été autorisés à le faire. Face à ce refus, les autorités allemandes ont retiré leur demande de rapatriement. Des experts économiques s'interrogent sur l'utilisation de cet or par la FED et si celle-ci détient encore réellement l'or qui lui a été confié par d'autres pays. En 2017, malgré tout, la Bundesbank déclare avoir finalisé le rappatriement de 300 tonnes d’or (20% du stock allemand que la FED est censée détenir) depuis New York, toutefois les numéros de séries sur les lingots réceptionnés ne correspondaient pas à ceux figurant sur les registres allemands.
Alors les desseins de Mattéo Salvini et Luigi Di Maio sont-ils sérieux ? Envisagent-ils vraiment de vendre l'or italien pour combler les déficits et éviter ainsi une hausse de la TVA ? Ou bien est-ce une manière d'affirmer que ce n'est pas la Banque centrale qui est propriétaire de cet or, mais l'Etat, et par conséquent les Italiens ?
Mattéo Salvini a déjà fait des déclarations récentes dans ce sens, expliquant justement que "cet or était celui des Italiens", puis parlant de la Banca d'Italia, il y a quelques jours : "On ne peut pas confirmer les mêmes personnes qui ont été au directoire de la Banque d’Italie, si l’on pense à tout ce qui s’est passé ces dernières années. (…) Nous sommes un Etat souverain qui défend l’épargne, comme le dit la Constitution, et pas les banques." Sachant que la BCE compte bien appliquer un remède de cheval aux banques italiennes pour les 160 milliards d’euros de créances douteuses accumulées dans leur bilan, Mattéo Salvini allume peut-être tout simplement un contre-feu.