Les chiffres de 2017 et les prévisions de 2018 pour l'économie mondiale, européenne et même française, sont tous positifs : la croissance économique est revenue, les indicateurs sont au beau fixe. Si de nombreux économistes estiment que la reprise est là, d'autres n'affichent pas le même optimisme. Fin de crise et réelle reprise économique, ou bien sursaut temporaire ? Entretien avec Dany Lang, économiste "hétérodoxe".
La reprise économique serait là. Depuis le début de cette année 2018, en France, de nombreuses analyses viennent en vanter les effets : le chômage est en baisse avec 8,6% de la population active sans emploi au dernier trimestre 2017 (score le plus bas depuis 2009), et la croissance a atteint près de 2%. Les prévisions pour l'année à venir sont positives, la création d'emplois semblerait continuer sa progression et la croissance, qu'elle soit mondiale — à son plus haut niveau depuis 8 ans, attendue à 3,7% en 2018, ou européenne à 2,4% — est de nouveau bonne.
Si les économistes partisans de ces indicateurs de croissance, chômage et création d'emplois estiment que la crise économique mondiale — débutée en 2008 avec les "subprimes" — est désormais terminée, qu'une reprise globale est en cours, d'autres n'entendent pas se contenter de ces seuls critères pour jauger de la réalité de cette embellie. Le chômage en France, par exemple, pour 2017, n’a baissé en réalité que de 16 000 personnes en catégorie A (celle des personnes indemnisées, n'ayant pas du tout travaillé) et se situe toujours autour de 3,45 millions de demandeurs d'emploi pour cette même catégorie, la plus significative.
Il n'y a donc pas eu de baisse réelle des chômeurs de catégorie A, au point de pouvoir même parler de stagnation. D'autres critères pour mesurer la qualité du dynamisme économique devraient-ils être pris en compte, avec des mesures de mieux-être social, d'amélioration des conditions de vie, de taux de pauvreté, de calcul des injustices pour mesurer une vraie reprise ? L'économie quand elle s'améliore, doit normalement permettre aux populations de bénéficier d'une meilleure qualité de vie : la reprise déjà vantée un peu partout, le permet-elle ?
Entretien avec Dany Lang,
maître de conférences à l’Université Paris 13 et professeur à l’Université de Saint Louis en Belgique.
De quoi est faite cette reprise économique mondiale, européenne et française avec un taux de croissance des PIB en hausse ? Quelles sont les raisons de la meilleure santé économique globale annoncée ?
Un certain nombre de pays ont créé une reprise économique en levant le pied sur l'austérité, en particulier aux Etats-Unis ou en Chine. Ces pays ont eu recours à des remèdes un peu plus efficaces qu'en France : des politiques plus expansionnistes, d'investissements publiques en premier lieu. L'économie mondiale étant intégrée, l'Europe ne peut pas être étrangère à tout ça, elle en bénéficie. Durant une période l'euro a baissé, et donc il y a un moment où cette reprise commence à se diffuser. Un certain nombre de groupes européens font d'ailleurs leur chiffre d'affaire essentiellement à l'étranger. Mais cette reprise mondiale et européenne, je ne suis pas convaincu qu'elle soit soutenable et durable parce que les problèmes qui nous ont mené à la situation de crise des années précédentes n'ont pas été réglés. Particulièrement aux Etats-Unis avec la fin de la régulation financière qui avait été mise en place au moment de la crise. Le risque qui arrive, dans les mois ou années à venir, c'est celui d'une nouvelle crise financière majeure, puisque la titrisation est repartie, les produits financiers toxiques sont de nouveau émis et Trump a levé les régulations en place.
En France, la reprise économique est célébrée par les économistes "orthodoxes" et leur analyse se base avant tout sur les mesures du taux de croissance du PIB, des créations d'emplois et de la baisse du chômage global : qu'en pensez-vous ? Est-ce suffisant ?Il y a une prévision de croissance à 1,9%, c'est beaucoup mieux que les années précédentes, mais on est loin de la coupe aux lèvres. Il faut regarder dans le détail quels types d'emplois ont été créés. Est-ce que ce sont des emplois durables, de qualité ? Ou est-ce que l'on parle de jobs mal payés, à temps partiel, etc... Il se pourrait que l'emploi - avec les lois El Komri et les ordonances Macron - reprenne de manière plus forte, c'est généralement le cas avec une reprise quand le marché du travail est plus flexible, mais c'est souvent un emploi de mauvaise qualité. Dans cette configuration de flexibilité, il y a des cycles plus violents : en cas de reprise, les embauches se font plus rapidement, et quand on redescend dans le cycle, ce sont les licenciements qui se font plus vite.
Si une reprise économique survient, doit-elle forcément bénéficier au plus grand nombre, ou peut-elle se contenter par exemple de permettre aux entreprises d'agrandir leurs marges, sans que l'ensemble n'en profite vraiment ?C'est toute la question de la répartition des fruits de la croissance. Avec le gouvernement actuel, il y a un choix politique qui consiste à faire bénéficier de la croissance aux ménages les plus aisés, voir les 1% ou les 0,01%. Le système actuel permet que l'essentiel des fruits de la croissance aille aux plus aisés, au capital, aux rentiers. Depuis une trentaine d'années il y a eu un changement du partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits qui s'est nettement détourné en faveur des profits. Au fur et à mesure des années, l'environnement législatif a changé, le capitalisme a été beaucop plus favorable aux actionnaires. Ce qui va aux salaires ne va pas aux profits. La logique actuelle est donc basée sur une demande de taux de rentabilité délirants dans les entreprises, et pour les atteindre, afin de donner plus aux profits, il faut donner moins aux salaires. Il y a donc une staganation des salaires. La part des salaires en 30 ans est passée de 70% de la valeur ajoutée à 60%, une perte de 10 points, ce qui est énorme. Il y a une polémique à ce propos, parce qu'il faut savoir si ce qui ne va pas aux salaires va aux investissements, et ce n'est pas le cas ! Deux tiers des profits étaient réinvestis en 1980, c'est seulement un tiers aujourd'hui ! Pour permettre une croissance durable, ce n'est pas la bonne méthode.
Quels sont les éléments clés qui selon vous, doivent établir la bonne santé d'une économie ?
Il y a un certain nombre d'institutions, d'économistes qui essayent de faire des mesures alternatives. Il y a l'indice de développement humain, par exemple. Mais depuis les années 70 on est resté sur ce concept de croissance, qui en soit n'est pas stupide puisqu'il permet de voir comment la production augmente. Le problème avec le PIB c'est qu'il contient des choses très intéressantes et positives, comme les énergies vertes, l'éducation, les hôpitaux, mais il y a aussi les activités polluantes, dégradantes, les ventes d'armes, etc. Donc, à mon avis, la première préoccupation d'un gouvernement ça ne devrait pas être la croissance du PIB, mais l'emploi. L'emploi de qualité : à temps plein, qui permet de vivre dignement. Pendant très longtemps, jusqu'à la fin du dernier mandat de Jacques Chirac, les salaires suivaient les gains de productivité. Depuis l'élection de Nicoals Sarkozy ce n'est plus le cas : les gains de productivité ne vont plus aux salaires. Ces gains de productivité se sont en plus ralenti avec la crise débutée en 2008. Donc, pour moi, une économie qui va bien, en bonne santé, est une économie qui crée des emplois de bonne qualité, bien payés, en durée indeterminée, où les fruits de la croissance sont bien répartis et profitent aussi à ceux qui sont en bas de l'échelle sociale, où tout le monde peut se loger décemment, et qui pour être durable, prend en compte la transition écologique.