Fil d'Ariane
Un an après le début des marches lancées par la Suédoise Greta Thunberg, ils étaient des centaines de milliers de jeunes fin septembre, de Sydney à Montréal en passant par Paris, à manifester pour dénoncer l’inaction climatique. Appuyée par de nombreux scientifiques et enseignants, cette forte mobilisation très relayée sur les réseaux sociaux a poussé la France à s’engager pour une éducation scientifique au climat et à la biodiversité plus approfondie dans ses programmes scolaires. Promesse tenue ?
L’article 12 de l’accord de Paris de 2015 rendait obligatoire aux signataires de prendre des mesures pour assurer l’éducation et la formation de tous les élèves dans le domaine des changements climatiques. Trois ans plus tard, en décembre 2018, les résultats se faisaient encore attendre en France. Un ensemble de scientifiques et d’enseignants lançait un appel en ce sens dans Mediapart en décembre 2018, suivi d’une pétition au printemps dernier. Le ministère de l’Education nationale a finalement revu sa copie pour la rentrée et opéré des changements dans la mise en place des programmes scolaires pour les lycéens.
« Des efforts ont été faits », reconnaît Valérie Masson-Delmotte, membre du GIEC et cosignataire de la tribune dans Mediapart, au sujet du programme des sciences pour les terminales en filière générale. Un constat partagé par Pierre Lena, membre de l’académie des sciences et fondateur du programme éducatif La main à la pâte. S’il regrette la prise de conscience tardive du ministère de l’Education, il reconnaît des « progrès substantiels par rapport aux petites choses qui existaient jusqu’à récemment et qui étaient très insuffisantes. Mais ce n'est pas encore assez ».
A partir de 2020, les anciennes sections S, L et ES (scientifique, littéraire, économique et social) seront supprimées, remplacées par un tronc commun et complétées d’un menu « à la carte » des matières. La nouveauté ? Deux heures d’enseignement scientifique interdisciplinaire supplémentaires pour tous les élèves de première et de terminale dans les filières générales. 2/3 de ces heures seront consacrées aux questions climatiques et d'évolution du vivant. David Boudeau, Professeur de SVT au lycée François Truffaut à Challans (Vendée) et membre du bureau national de l'Association des Professeurs de Biologie et de Géologie, précise que l'enseignement en classe de première « ne traite pas des enjeux scientifiques en tant que tels mais développe quelques notions scientifiques de base ».
Autre mesure, la généralisation d’éco-délégués. Ces postes existaient déjà dans certains établissements, mais leur présence a été étendue à tous les collèges et lycées à la rentrée 2019. Parmi les tâches de l’éco-délégué, celles de « promouvoir les comportements respectueux de l’environnement dans sa classe (extinction des lumières, tri des déchets etc.) et de proposer toute initiative de nature à contribuer à la protection de l'environnement dans son établissement ».
Si la présence de ces « ambassadeurs » est saluée, l’inquiétude est toujours celle du soutien apporté par le ministère : « c’est toujours le problème des réformes en France. C’est une bonne initiative mais cela va dépendre aussi des moyens alloués, de l’accompagnement que l’on va offrir aux élèves et aux professeurs », souligne Pierre Léna. Les enseignants bénéficieront d'"actions de formation" promet le bulletin officiel.
Pour Yael, lycéen en filière générale S en banlieue parisienne, l’enjeu pour les jeunes est « d’être davantage sensibilisés. J’ai l’impression quand je vais en cours qu’il n’y a pas d’urgence, qu’on peut continuer comme ça pendant 50 ans alors que c’est maintenant qu’il faut agir ». Gilles Bœuf, professeur à la Sorbonne et président du Conseil Scientifique de l'Agence Française pour la Biodiversité, alerte sur le fait qu’il faut « informer les gens sans les décourager ». Yael estime au contraire que le discours donné dans les écoles « n’est pas assez alarmiste face à l’urgence climatique ».
J’ai l’impression quand je vais en cours qu’il n’y a pas d’urgence, qu’on peut continuer comme ça pendant 50 ans alors que c’est maintenant qu’il faut agir
Yael, lycéen de 17 ans
Ce nouveau dispositif a néanmoins ses limites : l’enseignement supplémentaire en sciences ne concerne pas les élèves en filières professionnelle ou technologique, soit près d’un écolier sur 3. Si le bulletin officiel mentionne dans son programme un bloc "Enjeux contemporains de la planète", concrètement, « pour le moment il n’y a rien » regrette Pierre Léna, « c’est déjà des jeunes qui sont en difficultés scolaires, parfois en échec ou orientés un peu contre leur gré, et qui sortent des catégories sociales les plus favorisées. Il faut leur donner à eux aussi les outils de compréhension de l’avenir ».
Si David Wilgenbus, directeur de l’Office for Climate Education (OCE), une organisation chargée de promouvoir et de développer l’éducation au changement climatique, salue « un programme ambitieux », il s’interroge sur la pérennité de l’action menée par le gouvernement : « j’espère qu’il ne s’agit pas d’un effet d’annonce. Car il faut compter 10 ans pour opérer des changements pédagogiques. Donc si vous changez les programmes tous les trois ans comme c’est le cas en France, il y a un problème ».
Par ailleurs, une demande récurrente faite par les écoliers est d’apprendre aussi les solutions face aux défis environnementaux : Yael affirme qu’il aurait aimé « apprendre les alternatives viables, notamment aux pesticides, aux engrais ou aux OGM », un avis partagé par Lila, 16 ans, lycéenne à Grenoble « savoir qu’il y a des options possibles donne un envie de s’engager pour faire changer les choses ».
L’éducation scientifique au climat et à la biodiversité arrive tard dans les programmes : « ce n’est pas possible de découvrir les enjeux du changement climatique en première ou en terminale » dénonce David Wilgenbus. Si la réforme de 2016 permettait l’apprentissage au collège de notions de développement durable, elles restent « très insuffisantes » juge Pierre Léna. Le Conseil supérieur des programmes (CSP) scolaires a en ce sens été saisi en juin dernier par le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer. Les propositions d’aménagements par le CPS pour un enseignement sur le climat et la biodiversité à l’école primaire et au collège devraient être rendues à la fin du mois de novembre. Elles sont donc très attendues. David Boudeau, Professeur de SVT et membre du bureau national de l'Association des Professeurs de Biologie et de Géologie, est loin d'être convaincu : « j'espère que les ajustements demandés par le ministre ne sont pas un gros effet de communication, mais je ne pense pas qu'il va sortir grand chose des propositions ».
Ce n’est pas possible de découvrir les enjeux du changement climatique en première ou en terminale
David Wilgenbus, directeur de l'OCE
« La France est plutôt en retard en termes de contenu éducatif par rapport aux pays de l’OCDE, mais il existe peu d’Etats très précurseurs en la matière dans le monde » affirme David Wingenbus, qui reconnaît l’avance « de L’Etat de Californie ou des pays comme le Royaume-Uni, l’Irlande, les pays nordiques comme la Suède ou les Pays-Bas ».
En Suisse, les questions de réchauffement climatique et de développement durable intéressent, mais ne sont pas des disciplines à part entière. L’Italie vient d’annoncer quant à elle l’intégration de 33 heures de cours par an dans les écoles publiques sur ces thématiques, et ce tout le long de la scolarité.
Des initiatives naissent ponctuellement et dans certains établissements en Inde, au Maroc, ou encore en Chine où des formations basées sur les sciences ont vu le jour. Mais il est encore trop tôt pour parler de systèmes d’éducation au climat généralisés.
Au Canada, qui a pourtant bonne réputation pour la place donnée à l’environnement dans l’enseignement, une récente étude révélait que les manuels scolaires dans les écoles du Nouveau-Brunswick n’avaient pas été actualisés depuis 17 ans.
Alors qu’un rapport détaillé sur la situation de l’éducation au climat et à la diversité dans les pays européens sera dévoilé en décembre prochain lors de la COP25, une tendance se dégage nettement : le fort intérêt porté à cette question dans tous les pays de l’étude.
Un constat peu étonnant au regard de la récente diffusion de la solastalgie, ou de l’éco-anxiété, c’est-à-dire un sentiment d’angoisse intense face à la dégradation de l'environnement. Particulièrement fort chez les jeunes de 12 à 25 ans, ce nouveau mal du siècle inquiète en Europe, aux États-Unis, en Australie.