Edward Snowden : le lanceur d'alerte qui défie l'Amérique

L’homme qui se cache derrière les révélations du début du mois de juin 2013 sur les surveillances d’internet effectuées par les États-Unis est sorti de l’ombre. Edward Snowden a décidé de dévoiler son identité par l’entremise du quotidien britannique The Guardian dimanche 9 juin. A 29 ans, cet Américain, ancien de la CIA, ébranle l’Agence de sécurité nationale (NSA). Comme Bradley Manning avec Wikileaks, Edward Snowden expose les États-Unis à la vindicte des défenseurs des libertés individuelles en mettant le pays face à ses contradictions démocratiques.

Mise à jour du 14 avril 2014 : Les journaux britannique The Guardian US et américain The Washington Post, qui avaient publié les informations de Snowden sur les programmes de surveillance américains ont reçu le prix Pulitzer. Ils ont obtenu ce prestigieux prix de journalisme dans la catégorie "service public".
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Edward Snowden : le lanceur d'alerte qui défie l'Amérique
Edward Snowden
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Edward Snowden, 29 ans, vit depuis plusieurs jours reclus dans un hôtel à Hong Kong tel un fugitif. Pour éviter les écoutes, il calfeutre la porte de sa chambre avec des oreillers. Pour se protéger de caméras cachées, il recouvre sa tête et son ordinateur d’une large capuche pour entrer son mot de passe. Autant de mesures qui pourraient le faire passer pour un paranoïaque. Mais il sait combien les technologies à disposition des services américains sont puissantes et sophistiquées. Cela fait presque dix ans qu’il travaille dans les services secrets américains. Il en est aujourd’hui devenu une cible.

Dimanche 9 juin, le quotidien britannique The Guardian diffuse sur son site internet un entretien vidéo de cet homme à visage découvert. Il se dit responsable d’une des fuites d’informations secrètes les plus importantes de l’histoire des États-Unis. C’est lui la source des documents diffusés la semaine précédente, révélant l’existence du système PRISM : un moyen de surveillance utilisé par le gouvernement américain pour espionner en toute impunité les utilisateurs de géants du web comme Google, Facebook ou Yahoo (avec l’accord de ces derniers).

Edward Snowden travaille pour différents sous-traitants de l’Agence de sécurité nationale (NSA) dont Dell et depuis quatre ans Booz Allen Hamilton à Hawaï. Il vit là-bas avec sa petite amie, entouré de sa famille. Il aurait pu poursuivre une existence anonyme loin de toute l’attention médiatique mondiale qu’engendre forcément son geste. Mais dans cette histoire, ce n’est pas lui qui est concerné souligne-t-il face aux journaliste de The Guardian : « Je ne veux pas de l’attention publique parce que je ne veux pas que cette histoire parle de moi. Je veux que cela concerne ce que le gouvernement américain fait ».  C’est ce qu’il répète à plusieurs reprises dans son entretien au quotidien. « Je pense que l’on doit au public une explication ou un motif venant des personnes qui décide de révéler ces informations hors du modèle démocratique. »
 
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Bradley Manning
Un nouveau Bradley Manning

Edward Snowden incarne ce qu’on appelle un "whitsleblower" (un lanceur d’alerte). Il plaide pour la transparence de l'action de l’administration américaine aux yeux du public qui « a besoin de décider si oui ou non les politiques de ces programmes [comme PRISM, ndlr] sont bonnes ou mauvaises. », explique-t-il aux journalistes du Guardian.

Ses intentions ne sont pas sans rappeler celles d’un autre « lanceur d’alerte »  Bradley Manning ou de Daniel Ellsberg, un militaire qui avait diffusé des documents du Pentagone pendant la guerre de Vietnam et dénoncé les véritables agissements sur le terrain de l’armée américaine. Le procès du soldat Bradley Manning s'est ouvert le 4 juin 2013 après presque trois ans d’attente interminable en prison. La justice américaine pourrait ainsi montrer l’exemple en tenant un « traître » à la nation dans ses geôles. Pas de quoi dissuader visiblement Edward Snowden. Héros pour certains, traître pour d’autres, il a droit au même traitement que Manning dans l'opinion mais son arrestation si elle a lieu pourrait se faire dans d’autres conditions étant donné qu’il s’est réfugié à Hong Kong (voir notre encadré).

Comme Bradley Manning, Edward Snowden est jeune et a commencé sa carrière en accord avec les valeurs gouvernementales des États-Unis. Il fait ses premiers pas dans l’armée dès 2003 en intégrant un programme d’entraînement des forces spéciales américaines. Désillusions et fractures aux jambes, finie l’armée. Il entre ensuite à la CIA où il travaille à la sécurité informatique. L'Agence l’envoie en Suisse sous couverture diplomatique. Il a accès alors à de nombreux documents secrets. (voir reportage RTS ci-dessous)

Nouvelles désillusions mais il décide alors de taire ce qu’il voit. Pendant les trois années qui suivent, Edward Snowden découvre davantage les activités de surveillance de la NSA. C’est à ce moment ce qu’il décide de partager avec le monde entier, les scandales qu'ils voient passer.
 

Enquête de la RTS en Suisse

10.06.2013
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Edward Snowden : le lanceur d'alerte qui défie l'Amérique
Montage photo d'Obama et George W. Bush sur le site du Huffington Post
Boîte de pandore

Le 6 juin 2013 un premier scandale est révélé par le Washington Post et The Guardian. L’opérateur téléphonique américain Verizon remet quotidiennement les relevés de millions d’abonnés à la NSA. L’Agence a déjà accès au lieu, date, durée et numéros d’appels nationaux et internationaux des clients de l'opérateur.

Cette pratique est héritée de l’ère George W Bush (2001-2009) qui avait mis en place un programme de coopération avec les compagnies téléphoniques, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 . La passation de pouvoir à Barack Obama n’y a rien changé. L’actuel président a simplement renforcé le pouvoir du Congrès sur la loi qui régit le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA). Il s'est justifié devant la presse le 7 juin : "Mon équipe les a évalués, nous les avons nettoyés de fond en comble. Nous avons développé certaines supervisions, certains garde-fous. Mais mon analyse, et celle de mon équipe, est que [ces programmes] nous aident à empêcher des attaques terroristes".

Des politiques insistent pour justifier cet espionnage à l’aune de Patriot Act, une loi anti-terroriste votée en 2001 après les attentats du 11 septembre de New York. Un loi qui plonge les États-Unis dans un récit d’Orwell.
 
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Photo de Barack Obama extraite d'un tumblr
Souriez, vous êtes fichés

L’Amérique ressemble de plus en plus à Big Brother, tout le monde est surveillé, partout, tout le temps… et surtout les citoyens vivant hors des États-Unis, non protégés par une loi américaine.

C’est ce que révèle les documents transmis par Edward Snowden au quotidien The Guardian publiés le 7 juin. Ce sont des présentations du système portant le nom de code PRISM qui permet à l’Etat américain d’espionner dans le plus grand secret les communications d’étrangers. « Vous n'avez pas besoin d'avoir fait quelque chose de mal », explique le lanceur d'alerte. « Vous allez seulement tomber sous la suspicion de quelqu'un même par un simple mauvais coup de fil. Ensuite, ils peuvent utiliser le système pour revenir dans le temps et scruter chaque décision que vous avez prise, chaque ami avec qui vous avez discuté de quelque chose ».

La NSA et le FBI ont ainsi accès aux serveurs de mastodontes de l’Internet  : Microsoft, Yahoo, Google et Facebook., Paltalk, Youtube, Skype, AOL et Apple.

Le programme PRISM permet aux agences de l’État de se connecter, via un portail, aux serveurs des entreprises pour consulter les informations de leurs utilisateurs, uniquement non américains, en toute impunité. Les citoyens américains seraient, eux, protégés de toute surveillance par une ordonnance.

Toutes vos traces laissées sur la toile sont passées au crible. Ce serait comme se promener nu dans la rue. Courriers électroniques, chats, vidéos, audio, photos, transferts de fichiers, informations sur les réseaux sociaux. Même les conversations sur Skype peuvent être écoutées en direct.
 
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Tweet du groupe Anonymous
Tous menteurs ?

Les entreprises mises en porte-à-faux se dédouanent de toute responsabilité. Google dément ses supposés liens avec les agences américaines : "Nous ne divulguons de données à l'État fédéral qu'en accord avec la loi, et nous examinons ces demandes avec attention. Des personnes affirment que nous avons créé une 'porte d'entrée cachée' pour l'État dans nos systèmes, mais Google n'a pas de 'porte d'entrée cachée' pour que l'État accède à des données privées d'utilisateurs".

Du côté de Facebook, même réaction avec Joe Sullivan le monsieur sécurité du réseau social de Mark Zuckerberg. Même déni du côté d’Apple. Alors tous menteurs ? Les révélations des documents transmis par Edward Snowden renforcent les inquiétudes des défenseurs des libertés individuelles qui veulent que la lumière soit faite sur l’utilisation du Patriot Act. Le réseau Anonymous y est allé de son tweet pour soutenir le lanceur d’alerte réfugié à Hong Kong : « Snowden, est simplement devenu l’un des plus importants lanceurs d’alerte de tous les temps ». D'autres ont ajouté une pointe d'humour sur le web en créant un tumblr "Obama is checking your email " (Obama vérifie vos courriels, voir la photo ci-dessus).

Des faits d’espionnage qui peuvent être reprochés à des dictatures ou des régimes totalitaires comme la Chine ou la Syrie en conflit, le sont aujourd’hui ouvertement aux États-Unis. C’est la démocratie de ce pays, qui se présente comme telle aux yeux du monde, garante des droits qui fait face à la vindicte des défenseurs des libertés individuelles.

Obama comme Bush a développé la surveillance en ligne. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis se permettent le pire. Une ombre au tableau de son double mandat. "L'avancée des technologie de l'information telle qu'incarnée par Google annonce le fin de la vie privée pour la plupart des êtres humains et entraîne le monde vers le totalitarisme", écrit Julian Assange dans une tribune publiée dans le New York Times, juste avant les révélations d'Edward Snowden. Le 6 juin, il dénonçait un "effondrement du droit américain" et accusait le gouvernement de "blanchir" ses activités d'espionnage des communications téléphoniques et sur internet.

Edward Snowden est bien conscient qu’en se dévoilant, même depuis Hong Kong, il est loin d’être à l’abri des services américains : « s'ils veulent vous prendre, ils vous prendront à temps ». Il pense pourtant trouver asile en Islande, voire - un comble -, en Russie. Son futur dans cette situation reste plus qu’incertain : «  Je n’ai aucune idée de ce que sera mon avenir ». Plus pour longtemps dans les services secrets américains.
 

Prix Pulitzer pour The Guardian et The Washington Post

14.04.2014
Les journaux britannique The Guardian US et américain The Washington Post, qui avaient publié les informations de Snowden sur les programmes de surveillance américains ont reçu le prix Pulitzer le 14 avril 2014. Ils ont obtenu ce prestigieux prix de journalisme dans la catégorie "service public".

Le jury du prix Pulitzer a choisi de récompenser les journaux plutôt que les journalistes auteurs des articles "pour un exemple distingué de service public méritoire, par un journal ou un site d'information."

"Nous sommes extrêmement fiers et gratifiés d'avoir été honorés par le jury Pulitzer. Travailler sur cette histoire cette année a été intense, épuisant, et quelquefois effrayant, et nous sommes reconnaissantes que nos pairs aient estimé que les révélations faites par Edward Snowden, et le travail des journalistes, étaient une grande réussite", a réagi The Guardian dans un communiqué.

Ils ont révélé une politique "aux profondes implications pour les citoyens américains", a souligné le rédacteur en chef du Washington Post.

Edward Snowden c'est réjoui de ce prestigieux prix : "La décision va dans le sens de tous ceux qui pensent que le public a un rôle dans le gouvernement", a-t-il déclaré dans un communiqué. Il a aussi salué le travail des journalistes "face à une extraordinaire intimidation, y compris la destruction forcée de matériels journalistiques, ou l'utilisation inappropriée des lois antiterroristes".
 

Hong Kong : vrai refuge ?

Depuis son interview donnée à The Guardian, Edward Snowden s'est réfugié à Hong Kong,comme il l'indique clairement dans la vidéo sur le site de journal, même si aucune déclaration officielle le confirme. Il a choisi l'île pour l'île "sa grande tradition de liberté d'expression".

Cette région spéciale autonome de Chine continentale a signé un traité d'extradition avec les États-Unis en 1996. Les autorités peuvent détenir le lanceur d'alerte pendant 60 jours à la demande des États-Unis. Impossible donc pour Hong Kong d'offrir à Snowden un lieu de refuge permanent mais il peut déjà gagner du temps en remplissant une demande d'exil.
 

Humour sur le web

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Dessin de Kroll avec l'aimable autorisation de l'auteur

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