Fil d'Ariane
La guérilla de la triche” est en passe de devenir le hashtag le plus populaire des réseaux sociaux égyptiens. Cinq minutes après le début de la première épreuve du baccaulauréat, le sujet d'arabe était publié sur plusieurs pages Facebook. « Certains candidats s'organisent pour que des proches récupèrent le sujet et leurs renvoient ensuite les réponses » explique un étudiant. « Les autres retrouvent ces réponses sur les réseaux sociaux grâce au hashtag ».
Chaque année, tous les sujets fuitent les uns après les autres. Un scandale symptomatique d'un système éducatif inégalitaire, où les examens ne réflètent pas le niveau réel des élèves.
« Tout le système est périmé, dépassé, concentré sur le par-coeur. Il ignore tout des capacités de réflexion des élèves » explique Shawming. Depuis trois ans, il publie les sujets d'examens sur sa page Facebook “Shawming aide les lycéens à tricher”. Une activité avant tout militante: « J'ai compris que c'était le seul moyen de faire entendre ma voix. Je veux assurer l'échec du système en permettant aux étudiants d'avoir de bonnes notes ».
Il est aujourd'hui suivi par 298 509 personnes, c'est 90 000 de plus qu'avant le début du bac. « Je suis loin d'avoir échoué à l'école, je ne suis pas en quête de revanche, je veux seulement le meilleur pour les jeunes générations».
Cette année, 625 538 lycéens passent le baccalauréat en Egypte. Problème: il n'y a que 100 247 places disponibles dans les universités du pays. Pour espérer intégrer l'une d'entre elles, il faut obtenir le plus haut pourcentage de note, se rapprocher au maximum du sans-faute: le 100%.
Selon un rapport publié l'année dernière par le bureau d'orientation du bac, il faut décrocher un pourcentage de 97,1% pour entrer en faculté de médecine. 91,6% pour polytechnique. Seules les universités privés acceptent des notes légèrement inférieures.
« Je déteste ce système: si tu es intelligent, tu pourras étudier dans le public, sinon tu dois être riche pour te payer une fac privée. Si tu n'es ni l'un ni l'autre, tu as juste le droit de rester dans la rue » peste Mostafa, qui a passé son bac l'année dernière. « J'ai vu des étudiants s'évanouir, d'autres pleurer. Une année, une fille s'est même jeté par la fenêtre durant l'épreuve d'anglais ».
Pour multiplier leur chance d'accéder aux études supérieures, les Egyptiens redoublent d'ingéniosité.
Sur Youtube, des centaines de vidéo les forment à l'art de la triche. « Cette année, un élève a même cousu des chausettes à son caleçon et les a rempli de coton pour pouvoir cacher son téléphone sans que les surveillants ne le sente durant la fouille » explique un lycéen à la sortie de l'épreuve de religion. « Mais généralement, on cache le téléphone dans nos chaussettes ». Un autre ajoute : « Dans les villages, tout est plus simple. Il y a des hommes dans la rue avec des hauts-parleurs ui dictent les réponses aux élèves ».
Le ministère peine à enrayer ce fléau devenu endémique. La police est pourtant présente dans tous les lycées. Les élèves sont fouillés trois fois, et ne peuvent en théorie accéder à la salle d'examen qu'avec un stylo et une règle.
Les grilles des établissements sont cadenassées durant toute la durée des épreuves. « On essaye de calmer les étudiants de manière intelligente » explique Said Rachour, professeur de mathématiques depuis 30 ans. « On ne leur permet pas de tricher, mais 5 à 10 minutes avant la fin de l'épreuve, on les autorise à parler entre eux. C'est un accord tacite entre professeurs et élèves qui dure depuis des années ».
Un système d'éducation parrallèle
« Le baccalauréat, c'est la chose la plus importante de ma vie » s'exclame Hoda. « Si tu ne vas pas dans une bonne université, tu es un looser ». Depuis la rentrée, elle a déserté les salles de classe de son lycée public au profit de cours particuliers. Plus d'un élève de Terminale sur deux opte pour ce système qu'il juge « de meilleure qualité ». Une éducation qui coûte aux familles près de 200 euros par mois, un investissement considérable dans un pays où le salaire moyen mensuel est de 120 euros.
Au premier étage du centre “Yasmine”, près de 250 élèves tentent de prendre place pour le cours du philosophie de Mohamed Radwan. Avant les épreuves du baccalauréat, tous les groupes suivent ensemble les dernières leçons de révision. Les retardaires brandissent des tabourets en plastique au dessus de leur tête et tentent de s'installer dans les allées et les quelques recoins encore libres.
En plus de ces leçons privées, Mohamed Radwan enseigne dans un lycée public du Caire. Le gouvernement le paye 90 euros par mois. C'est sept fois plus qu'à ses débuts en 2003, mais toujours pas assez pour vivre. « Si les professeurs étaient mieux payés et les cours particuliers interdits, tout irait beaucoup mieux. Mais le ministère se fout de nous, de nos salaires ou de nos droits ».
Sur la question des revenus de ses cours particuliers, il reste en revanche très discret: « Je ne préfère pas en parler. Il faut simplement savoir que comparé à d'autres professeurs, je ne touche pas grand chose ».
Des professeurs complices de la triche
Ahmed prend ses cours d'arabe avec Mostafa Farid, ou plus précisement face à un projecteur qui retransmet le cours de Mostafa Farid: « Il est tellement célèbre qu'il ne peut pas faire classe à 1000 étudiants en même temps. Mais ça me va, car tout le monde sait qu'il donne les sujets du bac à l'avance. Pas entièrement, sinon il aurait des problèmes avec le gouvernement, mais 25% de l'épreuve, les questions les plus difficiles ».
Chaque année, le prix des cours particuliers augmente selon la célébrité du professeur. Si l'un d'entre eux a enseigné à l'un des 100 meilleurs bacheliers de l'année précédentes, il devient alors très demandé et peut aller jusqu'à doubler le prix de ses leçons.
Alors, pour stimuler les étudiants, tous les moyens sont bons. « Mohamed El-Askari nous fait faire des examens durant l'année. Il offre toujours un cadeau au meilleur. Parfois un téléphone, parfois un ordinateur. Lui aussi nous donne une partie du sujet d'histoire à l'avance ». Ahmed sourit en regardant ses cours. Il lui reste encore six épreuves à passer. « Je n'ai jamais rien gagné jusqu'à présent, mais peut-être qu'au bac, ce sera le jackpot. Inch'Allah ».