Egypte : les droits de l'Homme dans le viseur

Le régime militaire a ordonné la fermeture du Centre Nadim pour la réhabilitation des victimes de violence et de torture. Après les Frères Musulmans, les activistes et les journalistes, les militants des droits de l'Homme sont désormais la nouvelle cible du gouvernement.
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Egypte/Caire Centre Nadim février 2016 - photo Claire Williot
Au deuxième étage de cet immeuble du centre-ville du Caire se trouvent les locaux du centre Nadim.
(photo : Claire Williot)
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De petits groupes se sont formés dans les différentes pièces du double-appartement du centre Nadim. Certains discutent, un verre de café à la main. D'autres attendent, silencieux, non pas un rendez-vous, mais l'arrivée de la police. « On a dû suspendre toutes nos activités. Ils peuvent venir à tout moment », explique le docteur Magda Adly, co-fondatrice de l'association.

La semaine dernière, les autorités égyptiennes ont ordonné la fermeture du centre Nadim, aux motifs qu'il « mène des activités autres que celles autorisées par sa licence ». L'association a réussi à reporter la fermeture de quelques jours, s'est rendue au ministère de la Santé pour contester la décision. Sans succès.
 
« C'est avant tout une décision politique. Il n'y a rien de non-professionnel dans notre activité, mais on travaille sur la question des droits de l'Homme. Voilà notre crime », observe Magda Adly. Aux victimes de torture et de violences, le centre Nadim ne se contente pas de fournir un soutien psychologique. Il assure leur réhabilitation, épaule les proches, documente les exactions. Depuis son ouverture en 1993, des milliers de personnes ont sollicité les services de l'association. « On a effectué en moyenne 500 consultations par an. Dans la majorité des cas, il s'agit de violence policière », affirme Magda Adly. Elle parle d'une voix calme, qui ne laisse transparaître ni colère, ni amertume. « Ils vont peut-être fermer l'appartement, mais nous ne nous tairons pas ».

Egypte/Caire Mohamed Zarei Institut du Caire pour les études des droits de l'Homme février 2016 - Claire Williot
Mohamed Zarei, de l'Institut du Caire pour les études des droits de l'Homme, étudie la loi sur les cliniques afin de voir s'il peut faire annuler la fermeture du centre Nadim.
(photo : Claire Williot)

Des centaines de disparus

C'est au centre Nadim que Maha Al Mekay a trouvé une oreille attentive. Son mari est parti un matin et n'est jamais revenu. C'était en 2013. Presque immédiatement, elle a su : « Je suis allée au ministère de l'Intérieur, afin de savoir s'il avait été arrêté. L'officier se contentait de me répéter que si mon mari avait disparu, c'est qu'il était parti rejoindre Daesh, ou qu'il avait trouvé une autre femme ». Grâce à une large campagne de communication lancée sur les réseaux sociaux, le centre Nadim localise rapidement son conjoint, en prison. Pendant près de deux ans, Maha, laissée seule avec ses trois enfants, suivra le programme de soutien psychologique du docteur Adly.

Aujourd'hui, elle est venue, comme beaucoup d'autres, soutenir ceux qui l'ont aidée à affronter l'injustice et la répression. « J'ai encore du mal à croire ce qui arrive. Qu'ils ferment le centre si ça leur chante. Nous continuerons à nous tenir debout, à leur côté, jusqu'à ce qu'il ré-ouvre ».  
 
En Egypte, les cas de violence policière et de torture sont récurrents, quasi-banalisés. Des centaines d'Egyptiens ont disparus, enlevés en-dehors de toute procédure judiciaire. 500 au cours des six derniers mois, estime le centre Nadim. Il aura fallu la mort d'un jeune chercheur italien de 28 ans pour relancer la question de ces disparitions forcées. Le corps de Giulio Regeni a été retrouvé début février, portant des traces de torture.

Un dossier embarrassant pour les autorités égyptiennes, qui tentent maladroitement d'étouffer l'affaire. Après avoir évoqué la thèse du complot, selon laquelle les Frères Musulmans auraient tué Giulio Regeni afin de compromettre les relations entre l'Egypte et l'Union européenne, les autorités égyptiennes décident de privilégier la piste criminelle : un « acte de revanche » lié aux « nombreuses relations » que le jeune homme aurait entretenu au cours des derniers mois. Mais cette théorie peine à convaincre. Sur Internet, près de 80 000 personnes ont signé une pétition demandant « la vérité sur le meurtre de Giulio ».

Egypte/Caire Institut du Caire pour les études des droits de l'Homme février 2016 - Claire Williot
Lors de sa dernière réunion stratégique, le CIHRS a redéfini ses priorités pour les mois à venir, décidant de travailler notamment sur la liberté d'association.
(photo : Claire Williot)

Entre sécurité et libertés

« L'Egypte devient une République de peur. Le gouvernement refuse la critique et veut annihiler toutes les voix indépendantes du pays, ceux qui pensent différemment ou qui défendent les droits de l'Homme. Personne n'est à l'abri », avertit Mohamed Zarei, directeur de l'Institut du Caire pour les études des droits de l'Homme (CIHRS). Comme beaucoup d'autres, le CIHRS a été menacé, et fait depuis plusieurs mois profil bas. Ils ont arrêté toutes leurs activités publiques. L'équipe a été réduite de moitié, mais l'Institut poursuit la publication de ses rapports. Pour Mohamed Zarei, la fermeture du centre Nadim est l'une des plus importantes attaques récemment menées contre les organisations des droits de l'Homme. « Et ce n'est certainement pas la dernière. Au moins quatre autres organisations sont actuellement sur la sellette. »
 
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Sissi s'est positionné comme un acteur clé de la région, engagé dans une lutte sans merci contre le terrorisme. Un moyen efficace pour justifier la répression sanglante qui sévit dans le pays. « Le mandat pour combattre le terrorisme est en fait un mandat pour combattre la liberté  », s'insurge Mohamed Zarei. « Quels progrès ont été réalisés en trois ans ? Le terrorisme se répand partout, l'Egypte est plus fragile que jamais, mais cherche coûte que coûte à préserver son image sur la scène internationale ».

Face au comité des Affaires étrangères du Parlement européen début février, le président Sissi réaffirmait son intention de lutter contre le terrorisme, ajoutant que pour cela, il était important de « trouver un équilibre entre sécurité et stabilité d'un côté, et droits et libertés de l'autre ».