Egypte : rendez-vous chez l'exorciste copte

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Egypte exorcisme
Tous les jeudis, et parfois le mercredi, le père Simon béni et exorcise une centaine de fidèles
(Claire Williot)
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Tous les jeudis, des centaines de chrétiens et musulmans viennent se faire exorciser sur la colline de Moqattam. Face à une foule hétéroclite en proie à de multiples tourments, le père Simon mène inlassablement le même rituel, aussi impressionnant que  bien rôdé.

Affalé sur un banc de prière, le corps de Randa se met à trembler violemment. La transpiration ruisselle sur son visage, cerclé d'un voile noir. La croix brandie au dessus de sa tête, le prêtre l’asperge d’eau bénite et lui souffle au visage. D’un coup, elle se redresse. Les yeux toujours clos, elle répète après lui « Merci Jésus, tu m'as guérie et tu as délivré mon coeur » avant de piétiner vigoureusement le parquet : « le démon est sous mes pieds ».

Sa mère raconte : « elle n'arrive pas à se débarrasser d'un fantôme ». Une certaine « Christina » qui apparaît régulièrement dans sa chambre. C'est justement pour vaincre cette apparition au prénom chrétien que la famille a gravi la montagne de Moqattam. Mais le mal semble trop puissant pour Abu Simon. Soutenue à bout de bras par ses parents, Randa devra revenir « au moins trois fois » voir l'esprit de saint Simon.

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Quelques minutes avant les séances d'exorcisme se tient la messe copte traditionnelle.
©Claire Williot


Nichée dans la montagne de Moqattam, l'église Saint-Simon (Sam'an en arabe) impressionne par son architecture unique en forme d'amphithéâtre creusé dans la roche et ses immenses bas-reliefs gravés à même la montagne. Une seule route y mène. Elle traverse le quartier copte des zabbalines, les éboueurs-recycleurs qui récoltent les ordures de la capitale.
 
Tous les jeudis soir, à 19 heures, des cars et des dizaines de microbus se faufilent à travers les rues étroites encombrées de charrettes-poubelles. Ce soir-là, après la messe, une centaine de personne se presse autour du père Simon. Un handicapé en chaise roulante, une mère et son fils hyperactif, un copte hanté par des monstres depuis son accident de la route... Certains ne viennent chercher qu'une simple bénédiction, mais la majorité attend bien plus.

Chrétiens et musulmans unis contre le diable

« C'est le père qui fait des miracles" explique une Cairote de 23 ans, convaincue que son célibat est dû à une terrible malédiction. Le père Simon répète inlassablement les mêmes gestes et formules. A ses pieds, des seaux remplis de petites bouteilles d’eau minérale. Pour gagner du temps, une dizaine d’assistants en T-shirts bleus ouvre les bouteilles et verse l’eau dans la main du prêtre. 

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Le père Simon à l'ouvrage dans la première église copte du Moqattam construite en 1976. Elle peut accueillir jusqu’à 20 000 fidèles
©Claire Williot


L'armée du père Simon est aussi chargée de maîtriser la foule impatiente et de ramasser les fidèles pris d’hystérie, incapables de se relever. « Je préfère les voir venir ici et être soignés que de les voir aller chez les vieux marabouts » explique l'un d’entre eux. « Un esprit démoniaque les hante. Ils sont musulmans pour la plupart ».
 
C'est le cas de Saïd, qui habite à près de 100 kilomètres du Caire. Il est venu avec sa femme, Hamdiya, souffrante depuis cinq ans. « On a essayé d'aller voir des cheikhs, mais les prix sont exorbitants. Certains m’ont demandé jusqu’à 100 euros ». Pour le père Simon, « ils sont possédés car ils se sont éloignés de la religion. Mais si ils croient en Dieu, ils peuvent guérir ».

En Egypte, la cohabitation entre la minorité chrétienne et la majorité musulmane n’est pourtant pas toujours pacifique. Si les enlèvements de coptes et incendies d'églises font régulièrement les titres des journaux, ce type de communion collective fait figure d’exception.
 
Cette tradition de l'exorcisme puise dans des croyances communes aux deux religions : celle de l'existence de démons, esprits de feu qui ne peuvent être chassés que par l'eau bénite et des paroles religieuses. Mais l'Eglise copte est la seule à proposer ces séances collectives d'exorcisme, une pratique officiellement reconnue depuis seulement 40 ans.

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Une jeune femme pendant la séance d’exorcisme. L'émotion atteint parfois le paroxysme
(Claire Williot)

Un prêtre sur écran géant

Avant d’expulser leurs démons, la foule de possédés doit se mêler aux simples fidèles venus assister à la messe traditionnelle.  Accroché à flanc de montagne, un immense écran retransmet en simultané le sermon et les chants liturgiques amplifiés par les hauts parleurs. Au centre de la scène : Abu Simon, le prêtre au grain de beauté et à la barbe grisonnante. Il est un des seuls prêtres du Caire à offrir ses services de chasseurs de démons. Sa popularité dépasse largement le quartier des chiffonniers. Il assure pourtant que cela n’a rien d’exceptionnel. Il ne fait qu’appliquer les préceptes de Jésus : « si tu poses ta main sur les malades et prononces son nom, ils guériront. C’est ce que je fais ».
 
En pleine opération d'exorcisme, le visage d’une grand-mère gémissante entre les mains, il est interrompue par une jeune fille voilée. Sa sœur vient juste de piétiner le diable, mais son corps chancelant demeure incapable de bouger. Abu Simon la repousse d'un revers de soutane : « Ca suffit, elle vient juste d'être exorcisée. J'ai béni sa bouteille d'eau. Dis lui de se laver avec ! » Trente minutes plus tard, la cérémonie s'achève. La jeune fille revient à la charge une dernière fois. Abu Simon passe sa croix en bois sur tous les cuirs chevelus qui se pressent encore autour de lui, et lui lance : « Lis le Coran, va à la mosquée, et prie ».

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Parmi les visiteurs, une majorité de musulmans qui viennent trouver dans cette église troglodyte le repos de leur esprit.
©Claire Williot

Une dernière guérison avant la fin

Le père Simon parvient finalement à s’extirper de la foule. Certaines femmes qui n'ont pas eu le temps d'être "soignées" fondent en larmes, les mains tendues vers lui. Sa voiture l’attend à quelque mètres de l’autel, à l'intérieur même de l'Eglise. Au milieu du brouhaha,  l’une d’entre elle se tord, hurle et s'accroche à la vitre de la voiture. Le père sort sa croix et prononce quelques mots inaudibles. La femme gémit, puis elle vacille. Son mari et une amie la rattrape de justesse. Elle se laisse porter jusqu'au parking, dans la voiture où l'attendent depuis près de deux heures ses cinq enfants.

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Bien souvent, les fidèles mettent plusieurs minutes à se calmer après "avoir craché" le démon.
@Claire Williot

Son démon a la forme d’un singe rouge. « Le corps entièrement rouge, pas juste les fesses » précise Aydan, son mari. A l’origine de ses tourments, la nouvelle femme de son père. « Elle m’a jeté une malédiction à cause d’une histoire d’héritage ». Gêné, Aydan chuchote : « Depuis, nous ne pouvons plus avoir de relations sexuelles ».

Leur quête a duré des mois : consultations de cheikhs, de prêtres, déménagement pour fuir le mauvais esprit, puis retour au Caire. « Lorsque j'ai eu des soucis avec mon travail, j'ai compris que la malédiction déteignait sur moi. Il fallait agir ». Lorsqu'il démarre le moteur de la voiture, sa femme semble dormir, le visage serein. Aydan est rassuré: « Cette église est vraiment bien, mais je n’oublie pas qu’au fond le mal vient de nous ».

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Le Moqattam : une colline qui domine le Caire où vit depuis les années 60, une communauté de chiffonniers-éboueurs. Cette église si particulière est placée sous le patronage de Saint Simon (Samaan) le tanneur.
@Claire Williot