A l'occasion de la visite en Egypte d'Emmanuel Macron, les organisations de défense des droits humains dénoncent la bienveillance envers son régime de la France, fournisseur d’armes et de matériels de répression. Venu au pouvoir en juillet 2013 par un coup d’État militaire contre le président élu Mohamed Morsi dont il était ministre, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi s’y maintient depuis au prix d’une répression impitoyable.
À des journalistes qui l’interrogeaient sur la répression en Egypte lors de sa dernière rencontre avec le président Al-Sissi en octobre 2017, Emmanuel Macron avait sèchement répondu qu’il ne convenait pas de «
donner des leçons » hors du contexte.
«
Nous sommes contre la violence et avec les droits de l'Homme », confirmait à ses côtés le maréchal venu au pouvoir en 2013 par un coup d’État militaire. Ces deux mises au point effectuées, il n'y avait donc rien à voir.
Une prison à ciel ouvert
Quinze mois plus tard,
Amnesty International dresse un tableau moins angélique. «
Depuis que le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi est au pouvoir, note l’organisation, l’Égypte est devenue une prison à ciel ouvert pour ses détracteurs. »
Au cours de l’année passée, indique Amnesty, «
des personnes qui avaient osé critiquer le gouvernement ont été arrêtées et envoyées en prison, bien souvent placées à l’isolement ou soumises à une disparition forcée, pour avoir simplement exprimé leur opinion sur les réseaux sociaux, accordé des interviews à des médias, dénoncé le harcèlement sexuel ou même soutenu certaines équipes de football. Parfois, les personnes arrêtées n’avaient absolument rien fait ».
"En 2018, précise l'organisation, les autorités égyptiennes ont arrêté au moins 113 personnes qui n’avaient fait qu’exprimer pacifiquement leur opinion.
Beaucoup ont été détenues sans jugement pendant plusieurs mois, avant d’être déférées. Elles ont été accusées d’ « appartenance à des organisations terroristes » et « diffusion de fausses nouvelles », dans le cadre de procès iniques dont certains se sont déroulés devant des tribunaux militaires.
Il est aujourd’hui plus dangereux que jamais dans l’histoire récente de l’Égypte de critiquer ouvertement le gouvernement.
Sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi, les Égyptiens font face à une répression sans précédent où ceux qui expriment leur opinion sans violence sont traités comme des criminels."
En novembre dernier, la militante Mozn Hassan avait de son côté
décrit pour Terriennes le sort réservé en Egypte aux droits des femmes. Elle dénonçait notamment la «
répression exercée contre la société civile indépendante et les organisations féministes, [qui]
auront inévitablement une incidence sur le champ d'action de la société civile ».
Terreur de masse, complicité française
Dans une
tribune publiée ce matin notamment dans le quotidien français Libération, le président de la
Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) Dimitris Christopoulos et celui de la
Ligue des droits de l’homme (LDH) Malik Salembour voient pour leur part l’Egypte comme le pays «
où la répression de toute opinion dissidente est devenue le seul axe politique clair d’un pouvoir de plus en plus totalitaire. »
Les auteurs rappellent l’estimation de 60 000 prisonniers politiques dans ce pays. Ils précisent :
« Les disparitions forcées sont également monnaie courante, avec 129 morts en détention en 2017.
Les procès arbitraires et de masse des mois d’août et septembre derniers ont également démontré la parodie de justice qui se jouait dans le pays, où 739 personnes arrêtées (vraisemblablement avec l’appui de blindés français) lors des manifestations de Rabaa ont été jugées coupables par la cour pénale du Caire.
Les condamnations à mort se sont également poursuivies : au moins 482 peines de mort ont été prononcées en première instance et au moins 74 exécutions effectives ont été conduites depuis juillet 2017. »
Les signataires de la tribune dénoncent également une loi sur les médias adoptée en 2018 qui «
criminalise la publication de contenus définis en des termes très larges et permet la censure par un Conseil suprême de la régulation des médias sur des critères flous ».
L’Egypte, qui est également le théâtre d’un culte de la personnalité à la gloire du maréchal, se place aujourd’hui au 161e rang sur 180 pays dans le classement de
Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, et compte plus de 30 journalistes derrière les barreaux. «
Le pays, observe son dernier rapport,
est devenu l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes ».
Les militants des droits humain sont également réprimés. Plus de quarante d’entre eux ont été arrêtés en novembre dernier.
Dans ce contexte, les présidents de la Fédération internationale et de la Ligue des droits de l’Homme se demandent comment interprêter l’
énorme gâteau offert par le président-maréchal au ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour son dernier anniversaire, expliquant le silence des autorités française face à la répression par des «
contrats juteux » d’équipements militaires et policiers.
(► Lire aussi : Égypte : une trentaine d'accords et de contrats d'armement en appui de la visite d'Emmanuel Macron)A cet égard, loin de se résumer à un banal épisode de la diplomatie ordinaire, la visite d'Emmanuel Macron à son homologue égyptien apparait comme une attention très particulière, et conséquente : «
Le soutien sans faille apporté par l’Elysée au président égyptien, estiment-ils,
a des conséquences directes sur la détérioration de la situation des droits humains en Egypte.
Il cautionne une suppression sans précédent des libertés en Egypte, tandis que les exportations par la France d’armes et de technologies de surveillance, d’interception de masse, ou encore de contrôle des foules, servent vraisemblablement bien plus les objectifs d’une répression tous azimuts qu’une lutte efficace contre le terrorisme ».