"Élection américaine", épisode 4 : "Le vote religieux pourrait être dilué par celui des jeunes"
Les catholiques voteront-ils pour Joe Biden pour en faire le deuxième président catholique des États-Unis ? Donald Trump pourra-t-il compter sur l'électorat évangélique comme lors de sa victoire en 2016 ? Les candidats à la présidence américaine doivent souvent faire face à la prégnance de la religion dans le débat public. Quel rôle joue la religion dans le vote des citoyens américains ? Clément Pairot, fin connaisseur de la culture politique américaine, se demande si cette fois-ci les questions morales ou religieuses pèseront réellement sur le scrutin. Clément Pairot a fait partie de l'équipe de campagne du candidat à la primaire démocrate Bernie Sanders. Il est l'auteur de "Democrazies" aux éditions 'Qui Mal Y Pense'. Entretien.
Des partisans de Donald Trump prient pour la victoire de leur candidat dans une église évangélique à Miami en Floride ce 3 janvier 2020. Plus de 95 millions d'Américains se déclarent évangéliques.
AP/Lynne Sladky
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TV5MONDE : Pourquoi la religion aux États-Unis reste un enjeu de débat public ?
Clément Pairot : Le pays a une histoire finalement assez peu ancienne. Le pays reste relativement neuf par rapport à l'Europe. Ce poids de la religion dans cette démocratie occidentale peut surprendre les Européens. Les Américains cherchent donc ce qui peut faire sens et qui peut faire communauté. Aux États-Unis on sacralise ainsi la Constitution et on s'attache à la religion. La religion a une histoire pluriséculaire et cela rassure. Il ne faut pas oublier que la démocratie américaine s'est constituée sur la liberté de conscience et cette liberté religieuse est un des actes fondateurs de la culture politique américaine.
Les élections présidentielles américaines ont été marquées par l'importance du vote religieux dans le résultat final. On a dit que les évangéliques, premier groupe religieux du pays, avaient favorisé la victoire de Donald Trump en 2016. Les électeurs évangéliques avaient alors voté à 81% pour Donald Trump. Les choses peuvent-elles changer cette année ?
Les églises constituées, les religieux et surtout les évangéliques possèdent une capacité de mobilisation que l'on ne retrouve pas dans d'autres groupes électoraux. On trouve chez les évangéliques tous ces réseaux d’églises, d'associations et de réunions. Le terrain est quadrillé. Ensuite les évangéliques et les conservateurs religieux possèdent un programme politique cohérent. Les évangéliques, par exemple, se référent à des valeurs, des questions morales. Ils se mobilisent pour que ce bloc s'impose. Si on prend un autre électorat, celui des jeunes, celui-ci reste bien plus complexe. Tous les jeunes n'attendent pas la même chose. On ne peut pas dire qu'il existe un électorat jeune constitué.
Et les jeunes sont beaucoup moins mobilisés que l'électorat religieux, c'est ce qui explique l'importance politique de ce que l'on appelle le vote religieux et notamment évangélique. Maintenant les choses peuvent changer. La mobilisation électorale semble pour l’instant plus forte, si l'on en croit les premiers retours de participation des votes anticipés et du scrutins par correspondance.
Le vote religieux pourrait être dilué par une plus forte participation électorale notamment des jeunes. Il ne faut pas négliger le scénario probable d'un impact électoral moins fort du vote religieux.
Le paysage religieux américain
Une étude réalisée en 2019 par le Pew Research Center montre que plus de 65% des Américains se déclarent chrétiens. Le premier groupe religieux chez les chrétiens est constitué par les évangéliques. Plus de 95 millions d'Américains sont évangéliques. Ils constituent un socle important de l'électorat républicain. L'autre gand groupe religieux est l'Eglise catholique. Les catholiques représentent un peu moins de 20% des habitants des Etats-Unis. Le judaïsme repésente moins de 2% de la population. Les musulmans de nationalité américaine ne représentent que 1% de la population. 23 % des Américains ne déclarent aucune religion.
Les évangéliques peuvent-ils se détourner électoralement de Donald Trump ?
Le président sortant a multiplié dernièrement les actes pour qu'ils puissent continuer à voter pour lui. L'acte le plus marquant, ces dernière semaines, reste celui de la nomination à la Cour suprême de Amy Coney Barrett (NDLR : cette juriste est entrée en fonction ce 27 octobre succédant à la progressiste Ruth Bader Ginsburg ). C'est une juge conservatrice connue pour ses positions sur la question de l'avortement.
Maintenant, une partie des évangéliques et des personnes religieuses ne se reconnaissent plus dans les frasques de Donald Trump, notamment à travers ses propos sur les femmes ainsi que ses outrances en général. Son caractère est très différent de George Bush ( NDLR : président de janvier 2001 à janvier 2009). George Bush dans sa jeunesse avait sombré dans l'alcool et fait de sa lutte contre son addiction une forme de rédemption possible grâce à sa foi religieuse personnelle. Ce parcours personnel avait séduit les évangéliques. Trump n'a pas changé lui.
Le vote catholique peut-il changer la donne ? Joe Biden est catholique. Les catholiques voteront-ils pour Joe Biden ?
L’Église catholique est la première organisation religieuse du pays mais l'électorat catholique reste très divers (latinos, Irlandais....) et il n'est pas aussi unifié et constitué en bloc comme le bloc évangélique. Se tournera-t-il vers Joe Biden ? Cela reste difficile à dire. Le vote catholique en faveur de Joe Biden sera peut-être plus identitaire que morale. Joe Biden deviendrait le deuxième président catholique des Etats-Unis après John Fitzgerald Kennedy (président de 1961 à 1963).
Mais, il est vrai que Joe Biden pourrait mordre sur un électorat bien plus conservateur. Sur les questions d'avortement, l'homme a été assez ambigu. Il affiche souvent sa foi catholique de manière assez directe. Cela peut jouer en sa faveur chez certains électeurs attachés à ces questions. La question religieuse n'est pas cependant aussi centrale dans le camp démocrate que chez les républicains.
Les présidents démocrates ont souvent affiché leur foi en public. Et ils jurent sur la Bible comme les présidents républicains. Le candidat à la primaire démocrate, Pete Buttigieg, affichait son homosexualité tout en s'affirmant comme chrétien et en fustigeant l'interprétation étroite des évangiles par les plus conservateurs. La question de la spritualité, de l'appartenance religieuse, n'est pas absente du camp démocrate. Le seul candidat à la primaire des démocrates se disant ouvertement agnostique était Bernie Sanders.
Qu'en est-il des Américains musulmans ou juifs ? Vers qui se porte leur vote ?
Les minorités religieuses ont eu toujours tendance à voter pour les démocrates. Donald Trump a essayé de toucher une électorat juif très attaché à Israël en déplaçant l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem et reconnaissant donc Jérusalem comme capitale de l'Etat hébreu. Mais la majorité des Américains juifs n'est pas sensible à ce type d'approches et vote pour le camp démocrate.
Les questions morales et religieuses semblent moins présentes dans cette campagne électorale.
Les questions religieuses ne sont pas au coeur de cette campagne électorale. Les questions économiques, racicales et sanitaires autour de la pandémie, dominent le débat. Je me souviens des années 70 ou 80 où ces questions morales semblaient être plus centrales. C'est moins apparent aujourd'hui.