Fin de campagne tendue
A la veille du scrutin, la campagne électorale se termine dans un climat tendu.
Le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, a tenu un grand meeting à Téhéran. Devant près de 100 000 personnes, il a de nouveau dénoncé ce qu’il a appelé « les profiteurs » en intégrant indirectement l’ancien président Akbar Hachémi Rafsandjani, qu'il a également accusé de corruption.
Les réformateurs ont également continué leur campagne. L’ancien président Mohammad Khatami a tenu un grand meeting à Ispahan. Selon certains sondages, la vague verte qui compte des réformateurs, grossit, et Mir Hossein Moussavi serait désormais en bonne position.
Spécialiste de la région, Farhad Khosrokhavar parle "d'électricité dans les rues" et souligne "la frénésie" des jeunes qui sont pour la plupart pro-Moussavi.
Photo : Des partisans de l'ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi, le 10 juin 2009 à Téhéran.
“Il y a de l'électricité dans la rue“
Entretien depuis Téhéran avec Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et spécialiste de l'Iran contemporain
Trente ans après la révolution islamique : quel visage a l’Iran aujourd’hui, à la veille des élections ?
Cela dépend des couches sociales : les clivages politiques reflètent les clivages sociaux. Le président sortant Ahmadinejad bénéficie de 30 à 40% des voix venant des gens « d’en bas », des zones rurales, qui votent pour lui alors que la jeunesse des grandes villes vote pour Moussavi.
Dans la société iranienne, 80 à 85% des gens voudraient une plus grande liberté, une plus grande tolérance, moins de contraintes religieuses. Moussavi c’est Obama. Il incarne l’honnêteté, l’ouverture, la remise en cause des dynasties régnantes.
Mais les 15 à 20 % restant ont peur de la modernité et de ses effets « pervers » : le refus de la ségrégation hommes-femmes, le recul de la religion, les rapports affectifs avant le mariage, la politique sans la contrainte du religieux. Pour eux, la modernité n’a donné naissance qu’à des ruptures, rupture des liens familiaux et de l’économie traditionnelle par exemple.
Cette minorité veut un système à la Ahmadinejad. Pour eux ce qui est important c’est le code moral, ce qui est très difficile à cerner pour l’Occident. On peut la comparer à la minorité qui a voté pour Georges W. Bush en novembre dernier malgré son bilan.
Dans quel état d’esprit est la jeunesse iranienne ?
Il y a 2 millions 600 000 étudiants en Iran. C’est énorme sur une population de 27 millions. La jeunesse est éduquée, et en grande majorité elle va vers l’ouverture.
L’économie est en panne, il n’y a pas de débouchés. Tous ressentent une frustration profonde face à un système politique qui ne tient pas compte d’eux.
Mais depuis deux semaines la frénésie est totale. Le débat entre Ahmadinejad et Moussavi a jeté les jeunes dans la rue. Ils sont très peu organisés, n’ont pas de soutien économique. Malgré cela, la jeunesse s’affirme enfin dans un système politique très restrictif et non démocratique (NDLR : 4 candidatures seulement ont été retenues sur 475, et aucune femme n’est candidate). Ils n’ont que leur enthousiasme. Et ce qui est fou c’est que cela s’est produit en deux à trois semaines. Il y a un frémissement extraordinaire, une électricité dans la rue. La jeunesse aspire à une vie plus libre. Mais leurs idéaux sont souvent en contradiction avec la théocratie iranienne. Cependant un jeune sur cinq ou six a peur, peur des effets pervers de la modernité.
Cette élection pourrait-elle faire basculer l’Iran ?
Cela dépendra du niveau de fraude électorale. Si il est modéré « entre 1 à 4 millions de voix » il n’y a pas de doutes pour moi qu’Ahmadinejad sera battu.
Il fallait un symbole aux jeunes pour projeter leurs aspirations : avant Moussavi, ils ne votaient pas. Pour eux cela n’avait aucun sens de participer aux élections. Maintenant il y a une mobilisation.
Et puis dans plusieurs villes, les soutiens au président sortant baissent, de 70 à 40% en moyenne. Beaucoup se sont rendus compte qu’il ne disait pas la vérité, qu’il manipulait les statistiques par exemple sur les chiffres de l’économie : le chômage augmente, l’économie est en panne et il dit le contraire. Il est devenu un menteur, irrespectueux de l’opinion publique.
Si Moussavi est élu, qu’est ce que cela va changer ?
Sur le plan intérieur, il dit qu’il va prendre plusieurs ministres femmes, ce qui serait une première et répondrait aux aspirations des jeunes femmes iraniennes. Il veut défendre la monogamie. Il dit aussi vouloir interdire les Brigades des moeurs. Ce programme est très ambitieux. Même s’il n’arrive pas à tout appliquer on va vers une ouverture pour la société civile. Si Moussavi était élu, ce serait un mandat à la Khatami en plus sage, car il a en plus un vrai programme économique, culturel et social. On va vers un pluralisme islamique, une rupture profonde avec la présidence conservatrice d’Ahmadinejad.
Sur le plan extérieur, Moussavi est capable de dialoguer avec les Etats-Unis sans préjugés. Ahmadinejad sur ce plan là est comme Bush père, il a une incapacité à comprendre l’autre. Et puis il n’a pas le crédit nécessaire pour parler avec Obama, on se souvient de ses déclarations tonitruantes sur l’Holocauste et Israël qui ont choqué l’Occident. Une nouvelle équipe permettrait d’amorcer le dialogue et d’ouvrir une nouvelle voie, une compréhension mutuelle plus importante, aux antipodes de l’anti occidentalisme presque primaire d’Ahmadinejad.
Mais il ne faut pas se leurrer sur l’ouverture concernant les enjeux nucléaires par exemple, car le président n’est pas seul à décider, il est au sein d’un organe rassemblant plusieurs instances (le Guide, les Gardiens, le Parlement..).
Le temps est-il venu pour l’Iran de changer de système politique ?
Il y a effectivement un conflit entre un appareil d’Etat dominé par les conservateurs et une société civile qui aspire aux libertés. On sort de 30 ans d’Islamisme radical, au contraire d’autres pays musulmans qui vont vers cela. Dans la région, je ne vois guère que le Koweït ou la Turquie qui sont un peu dans le même état d’esprit que l’Iran. Mais pour que les choses changent, il faut que les élections soient libres, ce qui n’est pas le cas comme dans d’autres pays musulmans et il faudrait qu’une opposition organisée existe.
Vu qu’on ne peut pas sortir de cette théocratie, soit on ne fait rien au risque d’être dirigé par les plus répressifs, soit on choisit d’aller voter pour s’aménager quand même une certaine liberté au sein du système, faute de le changer. Même si c’est une liberté sous surveillance.
Propos recueillis par Laure Constantinesco
10 juin 2009
“Ces élections ne sont pas libres, mais au moins elles existent“
Analyse de Rudolph Chimelli, correspondant du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung à Paris, l’un des meilleurs connaisseurs européens de l'Iran.
Les Iraniens se rendent aux urnes tous les quatre ans pour choisir leur président de la République. Ce pays quoi qu’on en dise ne montre-t-il pas des signes de démocratie ?
Certainement. Ces élections ne sont pas libres, mais au moins ils les organisent. Il n’y a pas une élection qui mérite ce nom dans la plupart des pays du Proche-Orient, sauf en Israël. Soit il n’y a pas d’élection du tout comme en Arabie Saoudite, soit c’est une mascarade, comme en Egypte par exemple.
S’il fallait comparer le système politique iranien à celui de ses voisins, que dirait-on ?
On dirait que le développement de l’opinion est plus évolué sans doute. Parce qu’il y a des élections, un débat public et des hommes politiques qui s’affrontent, ce qui n’existe pas dans les autres pays de la région.
Comment perçoit-on cette échéance électorale depuis l’Occident ?
Mahmoud Ahmadinejad sera difficile à battre. Les médias le soutiennent, les organisations de masse aussi, tout comme les grands savants et l’appareil étatique. Il y a pourtant un énorme mécontentement, mais il faut attendre les résultats.
Comment peut-on décrire les rapports entre les puissances occidentales et L’Iran ?
C’est un problème qui persiste depuis 4 ans avec l’arrivée de Mahmoud Ahmadinejad au pouvoir. Et on n’a pas trouvé de solution. La politique qui consiste d’un côté à menacer et de l’autre à promettre de meilleures relations en cas de bonne conduite n’a pas marché. Les Iraniens sous cette présidence n’ont pas tenu compte de ces avertissements. Ils continuent par exemple à développer leur potentiel nucléaire, et ils pratiquent une politique impériale au Proche-Orient, notamment en Palestine, au Liban et même et au-delà en soutenant des mouvements qui ont les mêmes tendances qu’eux. On est dans un cul de sac. Il faut absolument trouver une nouvelle ouverture et les élections peuvent être une voie vers cette ouverture en portant quelqu’un d’autre au pouvoir. Il faut également souligner qu’il n’existe pas une, mais des politiques occidentales à l’égard de l’Iran.
Quelles sont ces différentes politiques ?
Les Américains sont impulsifs et beaucoup moins prêts à un compromis. Les Européens ne marchent pas d’un même pas, les Français sont plus proches des Américains à ce sujet, tandis que les Allemands sont plus pragmatiques, parce qu’ils ont des intérêts plus développés avec les Iraniens. Ils ont toujours été très réticents aux sanctions infligées à l’Iran.
L’inflexibilité de l’Iran ne s’explique-t-elle pas par la rigidité de l’Occident à son égard?
Certes, mais la question aujourd’hui est de savoir comment sortir de cette rigidité. De manière générale, l’occident a une vue du Proche-Orient qui n’est pas adaptée à la situation réelle. C’est une vue peu réaliste qui va souvent à l’encontre de nos propres intérêts. C’est la même chose pour la Palestine et la bande de Gaza.
Le dossier nucléaire est-il un thème consensuel dans cette élection ?
Tous les candidats approuvent le droit de l’Iran à développer son arme nucléaire, mais certains le feront de façon moins agressive.
Propos recueillis par Christelle Magnout
11 juin 2009
“Quel candidat sera capable de serrer la main d'Obama“ ?
Analyse de Bernard Hourcade, chercheur au CNRS
Le Conseil des Gardiens de la Révolution a étudié 475 candidatures potentielles pour cette présidentielle - dont 45 candidatures féminines. Il en a retenu quatre : le président actuel Mahmoud Ahmadinejad, l'ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi, le réformateur Mehdi Karoubi et le conservateur Mohsen Rezaï.
20 mai 2009 - JT TV5MONDE