Élections anticipées en Espagne : « la question catalane rebat toutes les cartes du débat politique »

Le chef du gouvernement socialiste Pedro Sánchez a convoqué des élections législatives anticipées ce dimanche 28 avril, après le rejet de son projet de loi sur les Finances, notamment par les indépendantistes catalans. Il s'agira des troisièmes élections législatives organisées en moins de quatre ans en Espagne. Entretien avec Christophe Barret, historien et essayisteauteur de "La guerre de la Catalogne" paru en 2018, et de "Podemos, pour une autre Europe" paru en 2015, aux éditions du Cerf.
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Le chef du gouvernement Pedro Sanchez convoque des élections législatives anticipées à Madrid, ce vendredi 15 février © AP Photo/Andrea Comas
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Christophe Barret


TV5MONDE : L’appel à des élections anticipées de la part du locataire du palais de la Moncloa (la résidence où siège le chef du gouvernement) vous surprend-il ?

Christophe Barret
: Non, car le gouvernement de Pedro Sanchez comporte des faiblesses originelles comme le faible nombre de députés socialistes dans sa coalition (ndlr : 84 députés, soit moins du quart des sièges au Congrès, ce gouvernement étant le plus minoritaire de l’Histoire espagnole depuis 1975).
Pedro Sánchez est arrivé au pouvoir par une motion de censure contre Mariano Rajoy, le chef du gouvernement de l’époque, de droite. C’est une première depuis 1975. À l’époque, Albert Rivera, le chef de file du parti libéral Ciudadanos, avait qualifié cette coalition de "gouvernement Frankestein". Aujourd’hui, Frankestein est mort.

Albert Rivera, le chef de file du parti libéral Ciudadanos, avait qualifié cette coalition de "gouvernement Frankestein". Aujourd’hui, Frankestein est mort.Christophe Barret, auteur de "La guerre de la Catalogne"

TV5MONDE : Le gouvernement de Pedro Sánchez aura été le plus court depuis le retour à la démocratie en  1975, à la mort du dictateur Franco. Peut-on parler d’un échec, et si oui, quelles en sont les raisons ?

Christophe Barret : Avant tout, il y a eu un malentendu avec les indépendantistes catalans. Ces derniers se sont imaginés qu’ils pourraient organiser un référendum d’autodétermination avec un chef du gouvernement socialiste. Or, Pedro Sánchez se doit de respecter la Constitution, surtout face à la rudesse de la droite, qui n’a pas du tout vu d’un bon œil sa politique de dialogue (ndlr : avec le gouvernement indépendantiste catalan de Quim Torra, pour débloquer la loi du vote sur le budget).
Ce qui a aussi précipité la chute du gouvernement de Pedro Sanchez, c’est son illusion qu’un dialogue était possible.

> Ce rejet des négociations entre Pedro Sanchez et les indépendantistes catalans a provoqué la grande manifestation des droites à Madrid le 10 février dernier.
À relire :
Espagne : la droite et l'extrême droite dans la rue contre Pedro Sanchez

 

L'exhumation du corps de Franco
Le gouvernement espagnol devrait se prononcer ce vendredi sur l’exhumation du corps de Franco. Sa famille disposera alors de 15 jours pour l’exhumer ailleurs, avec interdiction d’un enterrement à la cathédrale de la Almudena.
"Ce serait une grande victoire qui règlerait enfin des aberrations historiques", estime Christophe Barret. "Pedro Sánchez a voulu montrer que son gouvernement regardait mieux son passé en face que la droite."

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Espagne : Pedro Sanchez et ses alliés contre les vestiges du franquisme

TV5MONDE : Une coalition socialistes – indépendantistes catalans est-elle possible en vue du scrutin du 28 avril ?
Oui, certains indépendantistes pourraient s’allier aux socialistes face à une droite donnée gagnante par les sondages.
Le mode de scrutin, proportionnel, donne beaucoup de pouvoir aux petites formations. Les partis nationalistes sont traditionnellement les faiseurs de rois en Espagne.

Par ailleurs, le fait d’avoir vu côte-à-côte dans la manifestation du 10 février Ciudadanos (Citoyens) et Vox peut avoir effrayé une partie de l’électorat, qui pourrait se tourner de nouveau vers les socialistes. Pedro Sánchez organise des élections en ce moment car il pense être en mesure d'arriver en tête, et de disposer de cet atout pour former un gouvernement. Les partis politiques effectuent des calculs à court terme. Donc tout tend à être imprévisible.

Les partis indépendantistes sont traditionnellement les faiseurs de rois en Espagne.

Christophe Barret, auteur de "La guerre de la Catalogne"

TV5MONDE : La résurgence de l’extrême droite espagnole est-elle une conséquence des velléités indépendantistes catalanes ?
Oui. Le nationalisme s’est exacerbé en Espagne, en réaction aux volontés indépendantistes catalanes.
L’extrême droite recrute dans la droite traditionnelle. Le parti d’extrême droite Vox est né (en décembre 2013) en raison du tarissement de l’électorat du Parti Populaire (droite) et de Ciudadanos (ndlr : centre-droit, né en Catalogne, opposé à l’indépendance).
La crise économique que connaît l’Espagne périphérique, et l’immigration constituent le terreau de l’électorat de l’extrême droite espagnole. Rappelons que l’Espagne s’est trouvée seule face aux bateaux de migrants arrivant sur ses côtes (ndlr : l’Aquarius a débarqué sur ses côtes en juin 2018).
Vox est un parti anti-immigration et anti-Union européenne, ce qui est nouveau en Espagne. C'est aussi un parti opposé à l’avortement, et en faveur d’une recentralisation du pays (l’Espagne est un Etat fedéral de facto).


TV5MONDE : Une coalition des trois partis de droite, des centristes de Ciudadanos au populisme de Vox, est-elle possible ?
Oui, tout à fait car la question catalane structure le débat. L’enjeu commun, pour ces trois partis, est l’intégrité territoriale du pays. Il n’existe pas de programme commun, mais un refus de toute concession envers la Catalogne.
Ciudadanos est né en réaction au désir d’indépendance de la Catalogne.
La question catalane rebat toutes les cartes du jeu politique espagnol, et de plus en plus souvent. Il existe un échec de la démocratie en Espagne aujourd’hui, qui se traduit par le manque de dialogue. En moins de quatre ans, le pays a connu trois gouvernements.
Le gouvernement de Pedro Sánchez est le troisième depuis 2015 à ne pas terminer sa législature. C’est inquiétant.
En Espagne, il n’y a provisoirement plus de gouvernement, mais un gouvernement des juges.
Carles Puidgemont est en exil en Belgique, Oriol Junqueras se trouve (avec onze autres prévenus) devant les juges de la Cour Suprême à Madrid.

> À revoir :
Espagne : un procès historique des indépendantistes


Je ne dis pas qu’il s’agit a priori d’un procès politique mais plusieurs politiques comme Mariano Rajoy, ex-chef du gouvernement,  vont témoigner devant la Cour suprême.

En Espagne, il n’y a plus de gouvernement, mais un gouvernement des juges.Christophe Barret, auteur de "La guerre de la Catalogne"

TV5MONDE : Que pensez-vous du choix de la date du 28 avril, un mois avant les élections européennes, régionales et municipales du 26 mai ?
Le choix du 28 avril montre que les barons régionaux du socialisme l’ont emporté. En déconnectant les enjeux locaux et nationaux, le but est de laisser une chance à ces politiques locaux de gagner les élections. Ces derniers redoutaient de ne pas réussir à défendre leur bilan si les deux scrutins avaient lieu le même jour. Certains électeurs pourraient pénaliser le gouvernement socialiste à cause de son dialogue avec les indépendantistes catalans.