Elections du 20 septembre au Canada : état des lieux des forces en présence

C’est la fin du marathon électoral pour les chefs des cinq principaux partis politiques canadiens : lundi, les Canadiens vont trancher et décider s’ils donnent un troisième mandat aux Libéraux de Justin Trudeau ou s’ils changent de gouvernement en choisissant les Conservateurs d’Erin O’Toole. Quelles sont les forces en présence ? Qui sera le vainqueur ?
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Trudeau déplacement
Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, au centre, arrive pour une visite de travail à l'entreprise pharmaceutique Pfizer, en Belgique, le mardi 15 juin 2021.
Frederic Sierakowski
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Les Libéraux de Justin Trudeau, le défi de l'usure du pouvoir

Le premier ministre sortant a pris un grand risque en déclenchant des élections le 15 août dernier dans l’espoir, non seulement de se faire réélire, mais de décrocher une majorité au Parlement. Cinq semaines plus tard, la donne a bien changé et on peut se demander si le chef libéral ne regrette pas sa décision. "Ce n’est sûrement pas la campagne que Justin Trudeau souhaitait quand il l’a commencée", estime Madeleine Blais-Morin, cheffe du bureau parlementaire de Radio-Canada à Ottawa. "Il ne l’a jamais dit, mais il espérait avoir une majorité, sauf que dès le début de la campagne, ça s’est mal présenté pour lui, comme si les Canadiens n’avaient pas apprécié qu’il déclenche des élections en pleine pandémie, en plein été. Donc en fin de campagne, on se demande qui va former le prochain gouvernement alors qu’en début de campagne, on se demandait si Justin Trudeau allait avoir, oui ou non, une majorité, ce qui est un scénario qu’on n’aurait pas pu prédire il y a 5 semaines", ajoute-t-elle. 

Pour plus d'information, lire : le pari risqué de Justin Trudeau

Le chef libéral a dû passer en vitesse supérieure à mi-campagne devant la remontée de son adversaire principal, le Conservateur Erin O’Toole. Il a multiplié les attaques envers ses adversaires, s’est montré ferme à l’endroit des manifestants antivaccin très agressifs et hostiles qui n’ont eu de cesse de le harceler quand ils le pouvaient, a fait valoir sa gestion de la crise sanitaire et a expliqué aux Canadiens que les Libéraux étaient le bon choix pour en finir avec cette pandémie.
Mais Justin Trudeau est victime d’une certaine usure du pouvoir après six années passées à la tête du gouvernement canadien. "On n’assiste pas à l’engouement de 2015", constate Madeleine Blais-Morin. "Mais c’est normal, après six ans de pouvoir, il y a un phénomène d’usure normale du pouvoir. Et c’est le gros défi des Libéraux, s’assurer que les partisans libéraux aillent voter, motiver les troupes, galvaniser les électeurs, même s’il n’y a plus cet engouement".
 
Il espérait avoir une majorité, sauf que dès le début de la campagne, ça s’est mal présenté pour lui
Madeleine Blais-Morin, cheffe du bureau parlementaire de Radio-Canada à Ottawa
La politologue Stéphanie Chouinard, professeur au département de Sciences Politiques de l’Université Queen, abonde : "L’un des problèmes de Justin Trudeau, c’est que quand il a pris le pouvoir en 2015, il a fait de très grandes promesses et donc il a créé de grandes attentes auprès de l’électorat canadien. Des attentes auxquelles il n’a pas pu répondre sur plusieurs plans, comme assurer à toutes les réserves autochtones du Canada un accès à de l’eau potable, on a fait des progrès sur ce plan mais en mars 2021, il reste encore une cinquantaine de réserves sans eau potable. On a donc mis beaucoup d’espoir envers le gouvernement de Justin Trudeau et ses espoirs ont depuis disparu, donc une partie de la population canadienne est déçue par Justin Trudeau". Terminée, donc, la "Trudeaumania" des premières années au pouvoir. Et quel que soit les résultats lundi soir, Justin Trudeau va sortir affaibli de cet exercice électoral, même s’il remporte une victoire à l’arrachée. 

Les Conservateurs d’Erin O’Toole, en opération de recentrage

C’était la première campagne électorale du nouveau chef du Parti conservateur, Erin O’Toole. Parti avec une bonne longueur de retard au début de la campagne, il a fait une remontée dans les intentions de vote pour mettre son parti au coude-à-coude avec les Libéraux. "Erin O’Toole a surpris les Libéraux, en effectuant cette remontée dans les sondages", explique Madeleine Blais-Morin. "Pendant 18 mois, Justin Trudeau avait la patinoire à lui tout seul avec la pandémie et Erin O’Toole avait eu peu d’occasions de se faire connaître. Donc là, il a profité d’une attention qu’il n’avait pas depuis qu’il a pris la direction du parti. Et il a tenté un recentrage du parti, mais cela n’est pas facile : le Parti libéral a pris grand soin de faire remarquer les contradictions entre les positions du chef et celles de la base de son parti, donc ça a été difficile pour Erin O’Toole de montrer que son parti est plus au centre qu’il ne l’était avant. En plus, quand on se recentre, c’est difficile de protéger son flanc droit et l’une des surprises de la campagne c’est de voir la montée du parti populaire du Canada de Maxime Bernier, un parti d’extrême droite, avec 5-6% d’intentions de vote, ce qui pourrait nuire au Parti conservateur dans certains comtés", ajoute-t-il

Stéphanie Chouinard poursuit : "L’une des blagues que l’on a entendues durant la campagne électorale, c’est qu’Erin O’Toole est un homme de caoutchouc, il peut plier selon là où va le vent, on l’a vu changer de discours sur les armes d’assaut, sur son plan climatique, sur les garderies". Sans compter la résistance qu’il rencontre au sein même de son parti dans son opération de recentrage : "Il reste une frange au sein du Parti conservateur beaucoup plus à droite que les positions endossées par le chef. Une partie substantielle de son caucus n’est pas représentée par les positions plus progressistes du chef", souligne la politologue.
Et c’est là le gros défi du Parti conservateur du Canada : il doit montrer un visage plus progressif pour espérer reprendre le pouvoir un jour, tout en restant unifié, avec cette base très conservatrice qui conteste ce recentrage.

Voir : élections fédérales et premier grand débat des chefs​
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Les Néo-démocrates de Jagmeet Singh, un sucès auprès des jeunes

Le chef du Nouveau Parti Démocratique, le NPD, s’appelle Jagmeet Singh et les Canadiens le connaissent bien maintenant car c’est sa deuxième campagne électorale. Avec ses turbans colorés – il est Sikh - et son look branché, il séduit surtout les jeunes, qu’il courtise d’ailleurs sur la plateforme Tik Tok, et il a mené, somme toute, une bonne campagne. Mais les intentions de vote en faveur du NPD ne remontent pas pour autant. "Il y a plusieurs enjeux qui jouent contre Jagmeet Singh et son équipe", constate Stéphanie Chouinard. Elle ajoute : "les Néo-démocrates manquent de crédibilité sur le plan fiscal, on parle d’énormes dépenses et on n’est pas certain qu’ils pourraient livrer la marchandise pour atteindre leurs objectifs. L’autre problème, c’est que les Libéraux leur volent leurs bonnes idées, comme des places de garderies à 10$ ou l’assurance santé universelle. L’autre enjeu pour Jagmeet Singh, c’est un problème de personnalité, il est très populaire auprès des jeunes dans le Canada anglais, mais il ne l’est pas au Québec, ni auprès des 65 ans et plus, or au Canada, l’électorat âgé, c’est celui qui vote le plus. Donc tout cela, ça vient jouer contre les Néo-Démocrates".

Madeleine Blais-Morin croit de son côté que le NPD va peut-être faire mieux qu’aux élections de 2019 : "Jagmeet Singh a mené une bonne campagne mais il a eu de la difficulté à s’imposer dans l’actualité du jour, à allumer la petite flamme, cette campagne est restée une course entre deux meneurs, Justin Trudeau et Erin O’Toole et lui n’arrivait pas à percer dans ce peloton de tête ». On s’attend à ce que le NPD performe surtout en Colombie-Britannique, la province de l’ouest canadien".

Voir aussi : coup d’œil sur la campagne atypique de Jagmeet Singh​
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Les Bloquistes de Yves-François Blanchet, au Québec uniquement

Le Bloc Québécois est une formation politique qui ne présente des candidats qu’au Québec. C’est un parti politique créé au début des années 90 pour défendre les intérêts du Québec au sein du Parlement canadien. Avec l’arrivée du bouillant Yves-François Blanchet comme chef, ce parti qui était moribond a remporté 32 des sièges du Québec en 2019.
Il espère faire élire 40 députés cette fois-ci. Un objectif ambitieux selon Madeleine Blais-Morin : "Yves François-Blanchet a eu un début de campagne difficile, avec cette tendance à l’arrogance qui lui colle à la peau, mais dans la deuxième portion de la campagne, il a eu un cadeau du ciel avec une question controversée lors du débat en anglais, sur la laïcité au Québec et la loi pour défendre la langue française. Cela lui a donné une poignée pour évoquer des questions identitaires, comme la fierté nationale au Québec, ce qu’il n’avait pas pu faire au début de la course.  Donc en fin de campagne, c’est un parti qui semble en mode croissance mais 40 sièges, ça reste ambitieux". 

Stéphanie Chouinard confirme : "Aux débats des chefs, dont celui en anglais, Yves François-Blanchet a répondu à des questions identitaires et comme c’est un peu la marque de commerce du Bloc Québécois, il a pu marquer des points et galvaniser sa base". Cela a permis au Bloc de gagner quelques points dans les sondages, en effet, et probablement lui permettre de garder les 32 sièges qu’il détenait lors de la dissolution du Parlement. 

Les Verts d’Annamie Paul, marginalisés sur l'échiquier politique

La campagne du Parti vert du Canada, dirigé par Annamie Paul, a été discrète et réduite, le parti n’a pas pu présenter de candidat dans toutes les circonscriptions – il y en a 338 - et la cheffe a concentré son combat sur son élection dans la région de Toronto. Pourtant, la question environnementale et l’enjeu du réchauffement climatique, ce sont les enjeux les plus importants pour une majorité de Canadiens. Mais le parti est enlisé dans une querelle intestine en lien avec sa nouvelle cheffe et il n’arrive pas à se faire une place importante sur l’échiquier politique canadien. Les Verts peuvent espérer arracher un ou deux sièges lors de ces élections, mais guère plus. 

Seule certitude : ce sera un gouvernement minoritaire

Déjà 5,78 millions de Canadiens ont voté par anticipation la fin de semaine dernière, soit 18% de plus qu’en 2019. Et quelque 800 000 Canadiens ont décidé de voter par la poste. Les Libéraux et les Conservateurs sont donc au coude à coude dans les sondages, mais les projections de sièges indiquent une légère avance des Libéraux, qui pourraient donc remporter ce scrutin mais à l’arrachée. "Le nerf de la guerre actuellement pour tous les partis, c’est de « faire sortir » le vote, donc de s’assurer que leurs partisans aillent voter, que leur base se présente aux urnes", souligne Stéphanie Chouinard. Une seule certitude : quelle que soit la couleur du prochain gouvernement, bleu conservateur ou rouge libéral, il sera minoritaire. 

Pour plus d'informations, lire aussi : ​un débat décisif