Fil d'Ariane
Un mois après les législatives gagnées de fait par le Premier ministre Pedro Sanchez, les Espagnols sont appelés aux urnes ce 26 mai pour trois scrutins : élections municipales, régionales et européennes. Parmi les villes les plus disputées : l'emblématique Barcelone que tente de conquérir l’ancien Premier ministre français Manuel Valls. Au terme d’une campagne un peu laborieuse, les sondages lui sont nettement défavorables.
S’il est vrai que rien n’est acquis ni perdu jusqu’au jour du vote, celui du 26 mai risque pourtant de n’être pas très agréable pour Manuel Valls : sa conquête de Barcelone se présente mal.
L’ancien Premier ministre français a beau jurer croire à sa « remontada » - terme enchanteur dans la cité du Barça – et à la mauvaise foi des sondages, ceux-ci, toutes enquêtes confondues, lui sont obstinément contraires.
Ils placent sa liste, au mieux à la quatrième place, loin derrière celles de la maire sortante de gauche Ada Colau, celle des indépendantistes modérés conduits par une figure de 76 ans, Ernest Maragall, et même celle des socialistes, plus en forme en Espagne qu’en France.
Résumé des épisodes précédents : candidat à la succession de François Hollande à la tête de l’État, Manuel Valls quitte en décembre 2016 son poste de Premier ministre pour se présenter aux élections primaires du Parti Socialiste.
Il s’engage ainsi solennellement comme ses concurrents, si d’aventure il n’en est pas le vainqueur, à soutenir pour la présidentielle celui ou celle qu’auront choisi les militants et sympathisants.
Patatras : c’est Benoît Hamon qui gagne. Reniant le contrat, Manuel Valls passe dans le camp adverse, d’Emmanuel Macron. Celui-ci l’accueille avec condescendance mais, devenu président, permet en juin sa réélection - de justesse - au maigre strapontin de député de l’Essonne (région parisienne).
L’heure est alors à l’abandon général du navire en perdition et bien d’autres dirigeants socialistes se pressent aux genoux de l’adversaire d’hier. Mais le saut piteux de l’ancien Premier ministre qui devait tout à son parti, disciple proclamé de Michel Rocard, devenu incarnation d’un pouvoir mal aimé acquis plus à la droite qu’à la gauche, suscite une ironie particulière.
Dédaigné de ses supposés amis de La République en Marche, il ne trouve guère sa place à l’Assemblée. Le microcosme politique l’évite, craignant son odeur de perdant. En extase quelques mois plus tôt devant son autorité, le monde médiatique l’oublie ou s’en moque.
Manuel Valls se souvient alors de ses racines. L’ex-chef du gouvernement français est né 56 ans plus tôt à Barcelone, Royaume d’Espagne, Généralité de Catalogne. Fils d’un de ses peintres reconnus, Xavier Valls, il en parle les langues, qui sont, comme le français, celles de son enfance. L’idée d’un nouveau départ politique outre-Pyrénées fait son chemin. Ce serait une première mais rien, légalement, ne s’y oppose. Sa double nationalité le permet.
Barcelone est tentante. Seconde ville d’Espagne, de renommée mondiale, cosmopolite, la métropole est bien moins séparatiste que le reste de la Catalogne, dont elle subit les déchirements.
Militante issue de luttes sociales locales, sa maire, Ada Colau a été élue de justesse en 2015 dans une coalition fort à gauche, incluant Podemos. La gauche « radicale » est justement l’ennemie intime de Manuel Valls qui lui impute sa défaite en France.
Le refus d’Ada Colau d’opter pour l’indépendance catalane sans rejoindre l’autre camp lui vaut fin 2017 un certain affaiblissement. Au plan national, Podemos s’use un peu tandis qu’un parti de droite libérale monte, proche du macronisme quoique plus ancien que lui : Ciudadanos. Bref, l’affaire est gagnable.
Après des mois de faux suspens, l’ancien Premier ministre se déclare le 25 septembre 2018 dans un grand tintamarre de médias, surtout français :« Vull ser el pròxim alcalde de Barcelona ». Traduction : je veux être le prochain maire de Barcelone. « Depuis ma naissance, insiste-t-il, ma relation avec Barcelone a été intime, constante ».
Problème : la réciproque n’est pas vraie. L’Espagne connaît peu Manuel Valls. A l’inverse d’Emmanuel Macron en France, il ne débarque pas sur un champ de ruines mais dans un paysage politique assez organisé où il est accueilli avec une certaine ironie. Droite et gauche ignorent ses avances. Ada Colau lui suggère de se présenter à Paris. De son exil, Carles Puigdemont le qualifie de « candidat qui ne connaît pas Barcelone, qui n'est pas connu à Barcelone ». Une vidéo très partagée se moque de son débarquement.
Il dispose pourtant de quelques atouts. Le premier est sa nouvelle compagne catalane, dont la conquête dépasse le carnet rose : Susana Gallardo. Héritière des laboratoires pharmaceutiques Almirall, elle représente l’une des grandes fortunes du royaume. Multi-diplômée, politisée, fortement engagée contre l’indépendance, influente dans la haute bourgeoisie de Catalogne, elle apporte d’importants réseaux patronaux.
Le second se nomme Ciudadanos, ou sa version catalane : Ciutadans. À la faveur d’une réaction anti-indépendantiste, le parti libéral est arrivé premier aux élections régionales catalanes de décembre 2017, avec près de 25 %. Manquant de personnalités locales de premier plan, il accueille d’abord avec un certain enthousiasme l’ancien dignitaire français en rupture de socialisme. L’idylle, officiellement, dure encore mais elle peine un peu. Malgré les affinités idéologiques, les intérêts ne coïncident pas complètement ; moins encore les agendas.
L’ex-Premier ministre français veut pour lui la ville de Barcelone en mai 2019, à la fois revanche et base européenne de prestige pour un éventuel redécollage politique. Il n’entend pas se trouver ligoté à une formation, surtout instable et au succès incertain.
Ciudadanos, au contraire, s’inscrit dans une stratégie de conquête nationale du pouvoir ; Valls n’y est qu’un accessoire. L’irruption fin 2018 de Vox sur la scène espagnole, de surcroît, vient poser un problème nouveau.
Vainqueurs sans majorité à l’élection partielle d’Andalousie du 2 décembre 2018, le Parti Populaire (droite) et Ciudadanos s’allient au nouveau venu d’ultra-droite (11 % des voix) pour ravir le gouvernement régional aux socialistes, qui le détenaient depuis des décennies.
L’accord du dit Ciudadanos avec les amis espagnols de Marine Le Pen est tacite mais évident. Il irrite Emmanuel Macron – qui prévoit une alliance européenne avec ces si proches libéraux – et embarrasse Manuel Valls. Tous deux se présentent classiquement comme les pourfendeurs intransigeants de l’extrême-droite, dont la menace renforce leur légitimité.
Deux mois plus tard, pourtant, Manuel Valls défile à Madrid dans une manifestation appelée par le Parti Populaire, Ciudadanos, Vox et même la Phalange franquiste pour réclamer la démission du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez.
L’ancien rocardien évite la photo avec le dirigeant d’extrême-droite, proteste qu’il s’agit d’une manifestation « transversale », mais sa présence dans un cortège très marqué et plutôt haineux restera, faisant la joie des réseaux sociaux et achevant de le couper de l’électorat de gauche. Et mauvaise pioche : le Pedro Sanchez « illégitime » conspué dans cette manifestation de février gagne en avril les élections anticipées.
Les liens entre Ciudadanos et son candidat Franco-catalan ne s’en trouvent pas resserrés. Valls reste soutenu par la formation libérale mais il se présente sans étiquette. Son président Albert Rivera n’assiste a aucun de ses meetings.
D’abord avantage en termes de prestige, le parcours politique de l’ex-socialiste français, désormais mieux connu, présente à l’usage l’inconvénient de ses revirements manifestes, donnant prise à toutes les plaisanteries.« Il n'a pas obtenu ce qu'il voulait (en France), il est venu voir ici si ça marchait mais ça ne marchera pas », ironise un passant à l'AFP.
S’affirmant désormais « social-démocrate » issu du « catalanisme modéré » , il se voit recours à la fois contre le « populisme » dont il accuse Ada Colau et contre les dangers sécessionnistes. « Si demain, les indépendantistes prennent la ville, là, on est face à quelque chose d’extrêmement dangereux », dit-il dans un entretien avec l'AFP.
Peut-être inspirée des diatribes républicaines qui enflammaient naguère son public français, la rhétorique clivante peine pourtant à séduire un électorat catalan attaché, indépendantiste ou pas, à ses traditions et à son autonomie, aujourd’hui avide de paix retrouvée plus que de croisade.
En dépit des 5 à 7 sièges sur 41 que lui accordent les derniers sondages, le candidat malheureux à la présidentielle française veut encore afficher sa confiance : « nous serons la grande surprise ». Épilogue dimanche.