Élections en Indonésie : un paysage politique encore si masculin

Près de 205 millions d'Indonésiens sont appelés aux urnes le 14 février 2024 pour les élections présidentielle et législatives. Si plus de la moitié des électeurs sont des femmes, peu d'entre elles les représenteront.

Image
Campagne électorale en Indonésie

La troisième plus grande démocratie du monde élit son président le 14 février 2024 : une course 100% masculine entre un ancien général des forces spéciales et deux anciens gouverneurs.

©Photo AP/Achmad Ibrahim
Partager4 minutes de lecture

"Nous avons beaucoup de femmes politiques très impliquées et compétentes, mais nombreux sont ceux qui considèrent encore les femmes comme faibles et manquant de leadership", déplore Lingga Permesti, candidate à Klaten, sur l'île de Java.

À 37 ans, elle fait partie des femmes qui se présentent pour la première fois, sur une scène politique longtemps monopolisée par des élites pérennisant un système patriarcal.

Tweet URL

Plus de la moitié des électeurs sont des électrices

Indépendante depuis 1945, avec pour premier président Sukarno, l'Indonésie a vu sa fille Megawati Sukarnoputri, devenir en 2001 la première et jusqu'à ce jour la seule femme à présider la 3e démocratie au monde, mais sans avoir été élue. Elle était alors la 5e femme dans le monde à diriger un pays à population en majorité musulmane, rejoignant un club restreint comptant parmi ses membres la pionnière Benazir Bhutto au Pakistan.

 Megawati Sukarnoputri

L'ancienne présidente Megawati Sukarnoputri, à gauche, et sa fille Puan Maharani, à droite, lors de l'investiture présidentielle au Parlement à Jakarta, Indonésie, le 20 octobre 2019.

©Adek Berry/Pool Photo via AP

Des femmes ont déjà hérité de portefeuilles ministériels importants en Indonésie, où le Parlement est actuellement présidé par une femme, et la proportion de femmes parmi les parlementaires atteint 20%, contre moins de 10% en 1999.

Malgré ces progrès, la compétition politique reste fortement influencée par les hommes, la représentation féminine n'étant pas prise au sérieux, selon les experts. "Au cours d'une de mes campagnes, un chef de district a expliqué que j'étais juste là pour aider mon parti à atteindre le quota de représentation", explique la candidate Lingga Permesti.

Tweet URL

"Société patriarcale"

Lors des deux premiers débats présidentiels télévisés, les trois candidats en lice, le ministre de la Défense Prabowo Subianto et les anciens gouverneurs de Java central, Ganjar Pranowo, et de Jakarta, Anies Baswedan, n'ont pas évoqué une seule fois les questions liées aux femmes.

2024 marque un déclin dans l'affirmation de la représentation des femmes, signe de régression du pays dans la mise en oeuvre des droits politiques.Titi Anggraini, politologue

Pour cette élection, les 18 partis en lice qui se disputent 580 sièges de députés doivent respecter un quota de 30% de femmes sur leurs listes. Un seul parti a atteint le quota de candidates féminines dans les 84 circonscriptions électorales du pays, selon une coalition qui documente la représentation féminine dans les élections.

La commission électorale a également, dans certains cas, autorisé moins de candidatures féminines que requis, déplore Titi Anggraini, spécialiste des élections à l'université d'Indonésie à Jakarta. "2024 marque un déclin dans l'affirmation de la représentation des femmes, signe de régression du pays dans la mise en oeuvre des droits politiques", analyse-t-elle.

Si nous nous penchons sur l'histoire, certaines études montrent que l'Indonésie était marquée par une relation égalitaire entre hommes et femmes avant que le colonialisme ne modifie cela. Irwan Martua Hidayana, anthropologue

La "société patriarcale" indonésienne est issue d'attitudes bien ancrées, introduites au cours des décennies de l'ère coloniale néerlandaise, puis renforcées sous le régime autocratique de Suharto, analyse de son côté l'anthropologue de l'université d'Indonésie, Irwan Martua Hidayana. Pourtant, "si nous nous penchons sur l'histoire, certaines études montrent que l'Indonésie était marquée par une relation égalitaire entre hommes et femmes avant que le colonialisme ne modifie cela", ajoute-t-il.

Tweet URL

Chasse gardée masculine

Si Lingga Permesti assure qu'elle a bénéficié de nombreuses possibilités de perfectionner ses compétences au sein du Parti de la justice et de la prospérité (PKS), un parti d'obédience islamique, elle affirme que tous les partis ne sont pas "prêts à donner de tels espaces aux femmes".

Anindya Shabrina, 28 ans, candidate travailliste à Surabaya, confie avoir rejeté la proposition d'un grand parti indonésien en raison de l'attitude condescendante des élus envers leurs homologues féminines. Elle espère désormais que "tous les partis seront plus accueillants pour les femmes en politique".

Il faut faire plus. J'espère avoir en 2029 une femme candidate à la présidence ou à la vice-présidence. Lingga Permesti, candidate aux législatives

Certaines électrices jugent que leur place dans la politique indonésienne laisse encore beaucoup à désirer, aucune femme n'ayant jamais accédé à la présidence ou à la vice-présidence dans une élection au suffrage direct.

"Il faut faire plus", exhorte Lingga Permesti, espérant avoir en 2029 "une femme candidate à la présidence ou à la vice-présidence".

Tweet URL

Lire aussi dans Terriennes :