Elections en Italie : “Les Italiens ont voté plus avec leurs tripes qu'avec leur tête“

Après les élections législatives des 24 et 25 février, l'Italie est dans l'impasse politique. Entre le "retour" de Berlusconi et le score élevé de Grillo, le grand vainqueur du scrutin a été le rejet de la classe politique. Entretien avec Pierre Musso, professeur de sciences de l’information et de la communication et chercheur, spécialiste de l'Italie.  
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Elections en Italie : “Les Italiens ont voté plus avec leurs tripes qu'avec leur tête“
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Elections en Italie : “Les Italiens ont voté plus avec leurs tripes qu'avec leur tête“
Pierre Musso
Silvio Berlusconi était parti sous les huées en novembre 2011, il fait une remontée spectaculaire aux législatives de 2013… Peut-on parler de retour ? 
Il faut quand même noter que le parti de Berlusconi perd 15 points par rapport aux élections de 2008, où il avait obtenu 38% des voix. Ce n'est donc pas un succès en tant que tel. En revanche c'est un succès par rapport au sondages faits avant les élections et au regard porté sur Berlusconi, que l'on considérait comme une anomalie, un accident voire un amusement italien. 
Le phénomène Berlusconi est un phénomène sérieux ! Cela fait maintenant 20 ans qu'il est en politique ! Il ne faut pas confondre le côté blagueur du personnage avec la réalité de son parti [Forza Italia puis Le Peuple de la Liberté, NDLR], qui est le plus important parti politique d'Italie avec celui de Bersani [Parti Démocrate, NDLR]. Il a des centaines de milliers d'adhérents, des militants sur tout le territoire. Il a réussi à garder un socle électoral qui est celui du centre-droit, car les partis de Gianfranco Fini et de Pier Ferdinando Casini, anciens alliés de Berlusconi d'ailleurs, ont quasiment disparus.
Comment Berlusconi a-t-il atteint ce score ? 
Il a mené une très bonne campagne de terrain depuis mi-décembre. Il a marqué des points sur la question-clé de la fiscalité, alors que la situation économique et sociale de l'Italie est dramatique. Il a donc proposé non seulement d'abroger mais aussi de rembourser la taxe foncière, rétablie par la gouvernement Monti. Cela concerne la majorité des Italiens puisque 80% d'entre eux sont propriétaires. Cela aurait coûté 4 milliards d'euros, et comme le déficit est déjà à 2000 milliards, ce n'était pas impossible à financer !
Berlusconi est aussi un homme de médias et sa maîtrise des techniques de la télévision l'a aidé. Il a fait l'émission "Service Public" de Michele Santoro, un programme ouvertement anti-Berlusconi très populaire. L'émission, suivie par 10 millions de téléspectateurs, a marqué la campagne. 
Enfin, il est également un chef d'entreprise et donc un homme de marketing. Il sait utiliser les sondages pour coller à l'état de l'opinion. Il a vu venir les questions à l'ordre du jour : fiscalité, désarroi, critique et rejet du politique - un thème sur lequel Beppe Grillo l'a un peu doublé.
Elections en Italie : “Les Italiens ont voté plus avec leurs tripes qu'avec leur tête“
L’ex-comique italien Beppe Grillo à Gênes, le 25 février 2013 ©AFP
Beppe Grillo semble être le vrai vainqueur du scrutin. Est-il le nouveau Berlusconi ? 
Le Mouvement 5 Etoiles devient en effet le premier parti politique du pays à la Chambre, avec 25% des voix, et la troisième force derrière les coalitions de gauche et de droite. 
Grillo et Berlusconi sont très différents mais ils ont néanmoins plusieurs points communs. D'abord, ils viennent tous les deux du monde des médias et en particulier de la télévision. Ensuite, Grillo apparaît comme l'homme neuf, ce qui était le fond de commerce de Berlusconi en 1994. Enfin, ils ont tous deux joué le refrain de l'anti-politique : ils se présentent comme des gens qui ne sont pas des politiques et qui n'y entrent pas pour gagner de l'argent.  
Evidemment on pourrait aussi les qualifier tous deux de populistes, même s'il me semble que c'est plus un style qu'une ligne politique, et que Grillo est plus populiste que Berlusconi.
Cependant Beppe Grillo n'est pas le nouveau Berlusconi. Pour moi il souligne la crise du politique en Italie. Berlusconi avait déjà mis cela en évidence en son temps mais le contexte est différent. A la crise économique, sociale et morale que traverse l'Italie s'ajoute une aggravation de la crise politique. Un sondage réalisé avant la campagne électorale montrait que seulement 3 à 5% des Italiens faisaient confiance aux hommes politiques ! Pour la population, les politiques sont la "casta" [la caste, NDLR], une élite parasite de professionnels qui veulent profiter de l'Etat et avoir des avantages. 
Pourquoi les italiens votent pour des personnalités comme Grillo ou Berlusconi ? 
Ces dernières années, la colère, voire même la rage, le désespoir et le désarroi sont les sentiments dominants chez les Italiens. Ils ont donc voté avec leurs tripes plus qu'avec leur tête ! Ils n'ont pas réfléchi rationnellement aux promesses électorales plus ou moins farfelues de Berlusconi ou Grillo. Dans les pays méditerranéens, la politique se fait beaucoup plus sur l'émotion et la passion que sur la raison. 
L’Italie est-elle ingouvernable ? 
A l'heure actuelle et à court terme, oui ! L'Italie a un système bicaméral : les deux chambres (Chambre des députés et Sénat) ont le même pouvoir et président de la République est élu par les chambres. Donc un gouvernement est stable si il a la confiance des deux chambres, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. 
Il y a donc deux scénarios possibles pour que la gauche arrive à la majorité dans les deux chambres. Soit Bersani obtient un soutien relatif du mouvement de Grillo - ce qui me paraît compliqué car ce dernier a joué toute sa campagne contre les partis politiques traditionnels, soit il met en place une grande coalition avec l'alliance de droite de Berlusconi - ce dernier l'a d'ailleurs proposé ce matin et Bersani a répondu non. Ca reste néanmoins la solution la plus probable pour moi.
La gauche a jusqu'au 14 mars pour aboutir à un accord puisque c'est le jour où l'on élit les deux présidents des chambres, et où s'enclenche le processus d'élection du nouveau président de la République [La Constitution prévoit que l'élection du nouveau chef d'Etat doit avoir lieu un mois avant l'expiration du mandat du président en exercice, or celui de Giorgio Napoletano expire le 15 mai, NDLR]. La négociation va donc être très serrée et très complexe pour Bersani, sans oublier la pression conjuguée de l'Europe et des marchés. 
Je ne crois pas à de nouvelles élections dans les mois à venir, parce que le résultat serait identique à celui-ci voire pire, avec un score plus haut pour Beppe Grillo. 
Faut-il changer le système électoral italien ? 
Ce sur quoi tous les partis politiques sont d'accord, c'est qu'il faut réformer la loi électorale - que les Italiens, la classe politique et même ses auteurs appellent eux-même la "cochonnerie" - mais cela ne peut se faire qu'avec un gouvernement en place pour minimum un an. Cette réforme me semble indispensable.
Jusqu'ici on avait en Italie un bipolarisme - centre-gauche et centre-droit - et c'était assez gouvernable depuis vingt ans. On appelait cela la IIeme République d'ailleurs, eu égard à la stabilité gouvernementale. Là on revient à la situation qu'a connu le pays après-guerre et jusqu'aux années 90. Il y a trois grands partis et une double conflictualité : gauche/droite mais aussi Europe/anti-Europe. La situation politique est donc beaucoup plus fragmentée et aboutit à cette instabilité. 

Les chiffres clés de l'économie

Récession Fin 2012, l’économie italienne a connu un sixième trimestre consécutif de récession, soit la plus longue période des vingt dernières années. Entreprises 104 000 sociétés italiennes ont mis la clé sous la porte en 2012(étude Cerved). Chômage Le taux de personnes sans emploi a atteint un nouveau chiffre record de 11,2% en décembre 2012. Il a atteint 36,6% chez les 15-24 ans. Dette La dette publique italienne atteint les 2 000 milliards d'euros.