Fil d'Ariane
L'Ontario, la plus grosse province canadienne a élu en juin 2018 un gouvernement conservateur dirigé par Doug Ford. Dans les mois qui ont suivi sa prise de pouvoir, le tonitruant Premier ministre a sorti la hache de guerre à l’endroit de la minorité francophone de la province, en décrétant l’annulation du projet de construction d’une université francophone.
Rapidement, la communauté francophone a réagi : organisation de manifestations, entrevues dans les médias et interpellation du gouvernement canadien pour qu’il vienne se porter à la défense des Franco-Ontariens.
Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a volé au secours des francophones, en dénonçant les politiques de compressions du gouvernement conservateur ontarien.
Face à lui, le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer – qui est de la même famille politique que Doug Ford - a gardé le silence.
Le Premier ministre ontarien est alors revenu sur sa décision en décrétant que son gouvernement serait prêt à financer la création de cette université francophone à condition que le gouvernement canadien paie également.
C’est une bonne nouvelle pour les Franco-Ontariens. C’est une bonne nouvelle pour tous les francophones au travers du pays.
Mélanie Joly, candidate libérale fédérale.
Après des mois de négociations, les gouvernements canadien et ontarien viennent finalement de signer une entente sur le financement et l’établissement de cette université francophone, une entente qui prévoit que le fédéral va payer la moitié de la facture pour les quatre premières années du projet. La facture totale est évaluée à 126 millions de dollars. Le gouvernement ontarien paiera sa part après ces quatre années.
« On crie victoire. C’est une bonne nouvelle pour les Franco-Ontariens. C’est une bonne nouvelle pour tous les francophones à travers le pays », a déclaré la ministre Mélanie Joly, responsable du dossier. « Cette victoire, c’est la victoire de toute une communauté », s’est réjoui de son côté Carol Jolin, président de l’Assemblée de la francophonie.
Voilà un triomphe de plus dans les annales franco-ontariennes. L’Université de l’Ontario français pourrait accueillir ses premiers étudiants dès 2021.
En entrevue à Radio-Canada, la politologue de l’Université d’Ottawa Geneviève Tellier estime que ce dossier a clairement été un enjeu politique en cette période électorale et que les parties impliquées ont toutes gagné dans cette bataille : le gouvernement ontarien parce qu’il vient de faire financer par Ottawa un projet coûteux, les libéraux de Justin Trudeau parce qu’ils « sont maintenant associés à la défense des droits linguistiques minoritaires au Canada » ; quant aux conservateurs d’Andrew Scheer, ils se sortent aussi d’une situation délicate, car « Mr Ford a ainsi atténué l’image négative d'une politique où contrainte budgétaire est synonyme de diminution des droits linguistiques ».
Mais il reste qu’Andrew Scheer a pris ses distances par rapport à Doug Ford, associé à des compressions drastiques dans les services publics depuis son arrivée au pouvoir. Quand le chef conservateur est allé faire campagne en Ontario au début de la campagne électorale, le Premier ministre ontarien a brillé par son absence à ses côtés.
Bien des électeurs ontariens pourraient se tourner vers les libéraux de Justin Trudeau craignant que la prise de pouvoir par les conservateurs d’Andrew Scheer ne se traduise également par des coupures dans les services à la population. Et parmi ces électeurs, il risque d’y avoir de nombreux francophones.
Dans la grande province francophone du pays, un autre enjeu qui revient dans les discours des politiques pendant cette campagne : la laïcité. En juin dernier, le gouvernement québécois, dirigé par François Legault, chef de la Coalition Avenir Québec, a fait adopter un projet de loi important : celui sur la laïcité.
La loi 21 prévoit l’interdiction de ports de signes religieux ostentatoires à tout employé de l’État en position d’autorité, comme les enseignants et les directeurs d’école dans le réseau public, les juges, policiers, gardiens de prison et gardiens de sécurité. La loi prévoit également un principe de droits acquis, c’est-à-dire qu’une enseignante qui portait déjà le voile avant l’adoption de la loi pourra le conserver.
Une majorité de la population québécoise est en accord avec cette législation qui définit la laïcité de l’État québécois, mais elle déplaît au Premier ministre sortant Justin Trudeau qui l’a vivement critiquée parce qu’elle va à l’encontre, dit-il, des valeurs de multiculturalisme chères aux Canadiens.
Il lui a été rapidement demandé, dès les premiers jours de la campagne électorale déclenchée le 11 septembre 2019, s’il allait contester cette loi en cas de réélection. Ce en quoi il a répondu qu’il ne croyait pas utile de le faire « pour l’instant ». Traduction : il le fera un jour advenant sa réélection.
La question a aussi été posée aux trois autres chefs de parti, le conservateur Andrew Scheer, le néo-démocrate Jagmeet Singh et la cheffe du Parti vert Elizabeth May. Ils ont tous plus ou moins évité d’y répondre clairement, car ils savent que c’est une question piège qui pourrait leur faire perdre des appuis au Québec.
Le Premier ministre du Québec François Legault a demandé aux chefs des partis en campagne de s’engager à ne pas contester la loi devant les tribunaux.
Seul Yves-François Blanchet, le chef du Bloc Québécois, parti nationaliste, a clairement pris position en faveur de cette loi. Ceci dit, les analystes ne croient pas que cette question de la laïcité sera l’enjeu principal de la campagne électorale au Québec.
Selon un sondage du Journal de Montréal du 16 septembre, un Québécois sur deux aimerait que les candidats s'engagent à ne pas contester la loi 21.
La défense de l’environnement serait beaucoup plus prédominante aux yeux d’une majorité d’électeurs québécois, alors que d’autres jugent important la question du déficit public.