C’est une tradition lors de chaque campagne électorale au Canada. Les chefs des principaux partis se réunissent pour débattre, défendre leurs programmes et s’interpeler sur les enjeux du scrutin. Trois débats se sont ainsi tenus entre le 2 et le 10 octobre, deux en français, un en anglais. Analyse.
10 octobre 2019, troisième et dernier débat
Le troisième et dernier round a été organisé par Radio-Canada et les grands médias francophones du Canada. Il s’est tenu en français avec les six chefs de partis - le libéral Justin Trudeau, le conservateur Andrew Scheer, le néo-démocrate Jagmeet Singh, le chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet, la cheffe du Parti vert Elizabeth May, et le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier.
Un débat modéré par l’animateur de Radio-Canada Patrice Roy. Le meilleur des trois débats sans l’ombre d’un doute. Les questions très ciblées des journalistes ont permis aux électeurs d’avoir des réponses relativement précises sur des sujets pertinents. Des citoyens ont aussi pu, eux aussi, poser des questions.
Une femme souffrant de la sclérose en plaque depuis trente ans a notamment demandé aux chefs s’ils étaient prêts à élargir l’accès à la loi sur l’aide à mourir : ils s’y sont tous engagés, rare unanimité et moment très émotif au cours de ce débat.
Les chefs sont tous également d’accord sur la nécessité de taxer les géants du web comme Netflix, Facebook, Google.
Un Franco-Ontarien a aussi demandé quels seraient les engagements pour moderniser la loi sur les langues officielles afin de protéger davantage les droits des Francophones hors Québec. Cela a donné l’occasion à Justin Trudeau de dénoncer les politiques de compressions massives dans les services aux Francophones par le gouvernement conservateur de Doug Ford, le Premier ministre de l’Ontario, et de dire aux électeurs qu’un gouvernement conservateur d’Andrew Scheer se traduirait également
"par des coupures dans les services aux citoyens".
Le chef conservateur n’a pas raté une occasion de remettre sous le nez de Justin Trudeau le scandale SNC-Lavalin, le traitant de
« menteur compulsif ».
Justin Trudeau a fait pression sur sa ministre de la Justice pour qu’elle intervienne afin d’éviter à la firme d’ingénierie québécoise un procès, ce qui l’exclut d’office de tout contrat public pendant plusieurs années, mettant ainsi en péril des milliers d’emplois.
L’ex-Premier ministre a sommé Andrew Scheer de présenter le cadre financier de son programme politique car il ne l’a toujours pas fait. Le chef libéral a de nouveau été critiqué sur son bilan environnemental, et sa décision d’acheter l’oléoduc Transmountain, une décision qu’il aura traînée comme un boulet durant toute la campagne électorale.
De son côté, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a lancé des remarques percutantes teintées d’humour :
« Ici on a Mr Pipeline, ici on a Mr Pipeline, et ici on a aussi probablement un autre Mr Pipeline, et moi je suis Jagmeet Singh : je ne vais jamais imposer un pipeline aux Québécois ».
Il a qualifié Justin Trudeau de
« grand parleur, petit faiseur » et a fait rire l’assemblée en déclarant que le problème de « Mr Trudeau, c’est qu’il
"flashe à gauche en campagne électorale et il tourne à droite après". Il a concentré ses attaques sur l’ex-Premier ministre car il sait qu’il peut courtiser l’électeur libéral déçu, bien plus que l’électeur conservateur.
Quant à Yves-François Blanchet, le chef du Bloc Québécois, il a subi des attaques, et de Justin Trudeau et d’Andrew Scheer, mais il est ressorti de ce débat sans égratignures.
Le Bloc Québécois a fait de la laïcité un enjeu de la campagne en plaçant les autres chefs dans des positions difficiles à défendre auprès de l’électorat québécois. Jagmeet Singh a finalement précisé qu’il n’interviendrait pas pour contester la loi québécoise, alors que Justin Trudeau a de nouveau assuré qu’il ne fermait pas la porte à une possible contestation en répétant que le gouvernement fédéral a le mandat de défendre toutes les minorités du Canada.
7 octobre : deuxième round
Le 7 octobre, c’est en anglais que les six chefs ont croisé le fer. Se sont ajoutés aux participants du premier round la cheffe du Parti vert, Elizabeth May, et le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier. Le débat organisé par CBC avait une formule beaucoup plus contraignante pour les chefs - 40 secondes ou quelques minutes pour défendre leur point de vue. Et le débat a parfois pris des allures de cacophonie.
Monsieur Trudeau, vous êtes un hypocrite, un imposteur, vous ne méritez pas de diriger ce pays.
Andrew Scheer, chef du parti conservateur
Le chef conservateur avait beaucoup de pression sur les épaules après sa mauvaise performance lors du premier débat, il a donc attaqué tout de go son rival Justin Trudeau : « Mr Trudeau, vous êtes un hypocrite, un imposteur, vous ne méritez pas de diriger ce pays ».
Il est revenu à plusieurs reprises sur le scandale SNC-Lavalin. Le chef libéral s’est défendu en disant qu’un Premier ministre devait protéger les emplois au pays. Cette affaire n’a pas du tout la même portée au Québec qu’au Canada anglophone, où elle a beaucoup plus d’impact.
Le chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet s’est d’ailleurs porté à la défense de Justin Trudeau dans ce dossier en accusant Andrew Scheer de porter le message que le Québec est corrompu : « Les 3400 employés québécois de SNC-Lavalin n’ont pas fait de mal », a-t-il précisé.
Justin Trudeau a porté des coups, lui aussi, à son principal rival, Andrew Scheer, l’accusant de ne pas « défendre le droit d’une femme à disposer de son corps » puisqu’il est opposé à l’avortement. L’ex-Premier ministre est ressorti relativement indemne de ce débat en anglais.
La question de la laïcité est revenue sur le tapis et c’est le chef néo-démocrate qui s’est empêtré dedans, refusant de préciser s’il contesterait la loi québécoise devant les tribunaux. Alors que Justin Trudeau a été plus catégorique en déclarant qu’"un gouvernement fédéral pourrait intervenir devant les tribunaux parce qu’un gouvernement fédéral doit protéger le droit des minorités".
L’enjeu environnemental a aussi tenu le haut du pavé dans ce débat. Justin Trudeau a subi les critiques virulentes de la cheffe du Parti vert, et du chef néo-démocrate pour l’achat par son gouvernement de l’oléoduc Transmountain.
Ils sont en train de se battre pour savoir lequel est le pire pour le Canada, il est temps de parler de celui qui sera le meilleur.
Jagmeet Singh, chef du NPD, le Nouveau Parti Démocratique
Le chef conservateur a été interrogé par le chef du Bloc Québécois sur son intention d’imposer, ou non, aux Québécois son « corridor énergétique », destiné à transporter par oléoduc le pétrole albertain d’un bout à l’autre du pays.
Dans les échanges sur ces questions environnementales, la cheffe du Parti vert a lancé des flèches acérées tant à Justin Trudeau qu’à Andrew Scheer.
Le chef du Parti populaire du Canada, le Québécois Maxime Bernier qui a quitté le parti conservateur pour fonder ce parti très à droite, a, quant à lui, fait sourire en affirmant qu’« au Parti populaire, nous sommes le seul vrai parti environnementaliste ». Maxime Bernier avait traité de « mentalement instable » la jeune militante suédoise Greta Thunberg lors de son passage à New York et Montréal.
Enfin soulignons la bonne performance du chef néo-démocrate, avec quelques phrases choc pour montrer aux électeurs les autres alternatives à Justin Trudeau ou Andrew Scheer : « Ils sont en train de se battre pour savoir lequel est le pire pour le Canada, il est temps de parler de celui qui sera le meilleur ».
Concernant la lutte contre le changement climatique, Jagmeet Singh a assuré que les Canadiens n’avaient pas à choisir entre « Mr Délai et Mr Déni ». Tout comme lors du premier débat en français, Jagmeet Singh a fait preuve de son sens de l’humour.
Bref, pas de gagnant, pas de perdant, pas de grosse surprise ni de KO en tant que tel dans ce débat dans la langue de Shakespeare. Mais après ces deux premiers rounds, plusieurs tendances à noter dans les coups de sonde de l’électorat canadien : la lutte est toujours aussi serrée entre les libéraux et les conservateurs, le NPD de Jagmeet Singh a gagné des points et au Québec, et le Bloc Québécois a fait un bond en avant, au détriment des conservateurs qui ont perdu des appuis importants.
2 octobre : premier round
Le premier débat, en français, organisé par le réseau TVA, a mis en piste les chefs des quatre principales formations politiques en lice, le libéral Justin Trudeau, le conservateur Andrew Scheer, le néo-démocrate Jagmeet Singh et le chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet.
C’est clairement ce dernier qui est sorti vainqueur de ce premier round. L’auditoire étant presque uniquement québécois, le chef du Bloc Québécois a tiré son épingle du jeu en s’affirmant comme celui qui va défendre les intérêts du Québec à la Chambre des Communes et en interpellant les autres chefs sur la laïcité.
Au Québec, le sujet fait partie des enjeux de cette campagne électorale. La question est de savoir si le prochain gouvernement canadien va contester devant les tribunaux la loi sur la laïcité adoptée par le gouvernement du Québec, et qui interdit à tout employé de l’État québécois en position d’autorité – policiers, juges, gardiens de sécurité, enseignants et directeurs dans les écoles publiques – de porter des signes religieux durant l’exercice de leurs fonctions. Une loi soutenue par une vaste majorité de Québécois.
Justin Trudeau, Premier ministre sortant qui aspire à un deuxième mandat, s’est bien sorti de cette première joute. Il n’a pas été autant attaqué sur le bilan de son gouvernement qu’on aurait pu s’y attendre
Jagmeet Singh, le chef néo-démocrate, dont le parti est en troisième dans les sondages et en baisse par rapport aux élections précédentes, a fait bonne figure dans les circonstances, faisant même preuve d’une dose d’humour.
Celui qui a le moins brillé a été le chef conservateur : pressé de questions par ses adversaires dès le début du débat sur sa position sur l’avortement, Andrew Scheer a semblé déstabilisé et a manqué de mordant.
Cet anglophone manque de maîtrise de la langue française, un facteur qui a joué contre lui. Le lendemain du débat, acculé, il a finalement avoué que oui, il était pro-vie. Il a aussi dû expliquer pourquoi il n’avait pas dit aux Canadiens qu’il était également porteur de la nationalité américaine de par son père, alors qu’il a déjà critiqué d’autres politiciens qui avaient, eux aussi, une double citoyenneté. Bref, des jours difficiles pour le chef conservateur après ce premier débat, et il était attendu de pied ferme pour le deuxième round.
Au final, aucun de ces trois débats n’aura fait trébucher l’un des chefs. Pas d’incident qui pourrait inverser une tendance, pas de petite « gaffe » qui peut faire déraper une campagne, et se traduire par une défaite. Difficile de dire si ces trois débats vont faire bouger les aiguilles dans un sens ou l’autre, et quels impacts ils auront le 21 octobre, quand l’électeur se retrouvera seul dans l’isoloir avec son bulletin de vote.