Fil d'Ariane
Contrairement aux élections de 2015, ce scrutin ne sera pas une course à trois. Il va s’agir d’un duel entre les libéraux de Justin Trudeau et les conservateurs d’Andrew Scheer. Car le troisième parti national, le NPD, le Nouveau Parti Démocratique, est loin derrière dans les sondages.
Le Bloc Québécois, le parti souverainiste qui défend les intérêts du Québec, a repris du poil de la bête mais il n’a pas de portée nationale, il ne peut donc pas aspirer à prendre le pouvoir.
Le Parti vert d'Elizabeth May a enregistré des victoires intéressantes dans l’ouest du pays ces derniers mois, mais ne peut pas, lui non plus, aspirer à une victoire à l’échelle nationale. Donc ça va se jouer entre les conservateurs et les libéraux.
Les Canadiens sont appelés à renouveler les 338 sièges de la Cahmbre des communes où les libéraux disposent de 177 sièges contre 95 pour les conservateurs et 39 pour le NPD.
Le Premier ministre veut un deuxième mandat pour finir ce qu’il a commencé dans le premier. C’est le message qu’il va délivrer lors de cette campagne électorale et qu’il a déjà commencé à déclamer, comme lors de cette entrevue à Radio-Canada en juin dernier : « Les promesses qu’on a faites il y a quatre ans, c’était de créer de la croissance qui allait aider la classe moyenne, créer une économie en santé pour tout le monde, or on le voit maintenant, le taux de chômage est au plus bas, et on a réussi à sortir 825 000 personnes de la pauvreté au Canada,. Un effet direct de nos politiques d’allocations pour enfants, d’aide aux aînés, d’investissements dans les logements et pour les sans-abri.(...) D’autre part, on a mis un prix sur la pollution, on est en train de reprendre la place de leader du Canada à l’échelle mondiale sur l’environnement, on est en train d’investir dans les infrastructures, de transformer nos relations avec les autochtones… Alors on a beaucoup fait mais, oui, il nous reste du travail à faire et ce qu’on ne veut pas, c’est un recul vers l’ère Harper, car c’est exactement ce que Mr Scheer promet. On a fait énormément de progrès depuis quatre ans, il faut continuer, il ne faut pas revenir en arrière ».
Pour Yves Malo, chef du bureau de Radio-Canada à la colline parlementaire d’Ottawa, la campagne des libéraux sera axée sur l’économie, cela ne fait aucun doute : « Ils vont y aller à fond sur l’économie et les emplois. Ils vont aussi dire : on a commencé à faire notre virage pour l’environnement, donnez-nous un deuxième mandat pour que l'on continue notre travail. Et ils vont aussi agiter le spectre des conservateurs qui vont revenir au pouvoir et tout couper, décrire le nouveau chef, Andrew Scheer, comme un Stephen Harper avec le sourire ».
On a fait énormément de progrès depuis quatre ans, il faut continuer, il ne faut pas revenir en arrière.
Justin Trudeau, Premier ministre canadien
Un message que Justin Trudeau a déjà commencé à marteler : « Ce que les conservateurs veulent, c’est faire des coupures pour réduire le déficit, mais pour ça ils vont couper dans les services. Nous on sait que les investissements dans les infrastructures, les investissements dans la classe moyenne pour sortir les gens de la pauvreté et créer des emplois, c’est ça qui fait notre croissance et on va continuer cette approche qui fonctionne très bien ».
Dans son discours sur la politique internationale du Canada, donnée le 21 août dernier à Montréal, Justin Trudeau n’a cessé de tirer à boulets rouges sur les conservateurs, affirmant par exemple, qu’ils n’ont pas compris l’importance de l’enjeu environnemental et la réalité de la menace des changements climatiques, ou qu’ils « misent encore une fois sur les politiques de la division » ou qu’ils ont une approche isolationniste sur la scène internationale. Un discours qui avait déjà une forte saveur électorale…
Après la défaite de 2015 et la démission de Stephen Harper, les conservateurs ont dû se choisir un nouveau chef. Ils ont élu Andrew Scheer en 2017 au terme d’une course sans passion ni grand intérêt du côté du public. Âgé de 40 ans, cet Ontarien d’origine, né à Ottawa, est député à la Chambre des Communes depuis 2004, où il représente un comté de la ville de Regina, en Saskatchewan, où il s’est installé avec sa femme et leurs cinq enfants. Il a été le président de la Chambre de 2011 à 2015 et est donc devenu le chef de l’opposition officielle en 2017.
On dit de lui qu’il est un « Harper boy » ou un « Stephen Harper avec le sourire ». Il est effectivement très proche de l’ex-Premier ministre du Canada dont il partage les idées conservatrices. Il promet, s’il est élu, de ne pas rouvrir le débat sur l’avortement, mais ses sympathies pour le mouvement pro-vie se sont traduites, quand il était député, par des votes fréquents en faveur de la limitation du droit à l’avortement. Il est aussi favorable à l’école à domicile et s’est engagé, s’il est élu, à prendre des mesures pour aider les parents qui optent pour ce type d’enseignement pour leurs enfants.
Sur le plan international, Andrew Scheer soutient le Brexit et se dit un partisan inconditionnel d’Israël, évoquant notamment la possibilité de déménager l’ambassade canadienne de Tel-Aviv à Jérusalem comme l’a fait Donald Trump. « On est clairement dans la lignée conservatrice », précise Manon Cornellier, éditorialiste au quotidien montréalais Le Devoir.
Depuis qu’il a pris la tête du Parti conservateur, Andrew Scheer a suivi des cours de français intensifs, tout comme son prédécesseur Stephen Harper. Il multiplie les activités et les opérations charme au Québec parce qu’il sait qu’il ne peut pas remporter ces élections sans faire élire des députés au Québec. Et c’est dans la région de la capitale, à Québec, qu’il concentre ses actions, car c’est là que se trouve le bassin d’électeurs conservateurs. Il vient d’ailleurs de lancer son slogan dans un message télévisé réalisé dans les deux langues et qui est : « Plus. Pour vous. Dès maintenant ». Il promet aux Québécois de « baisser le coût de la vie et laisser plus d’argent dans vos poches ».
Les conservateurs ont actuellement onze députés et ils n’ont pas fait de progressions notables au Québec dans les récents sondages. Et le vote québécois pro conservateur pourrait bien être divisé : Maxime Bernier, un député de la Beauce, région au sud de Québec, a quitté le Parti conservateur pour fonder son propre parti et il reste très populaire dans la région. Sans oublier le Bloc Québécois, parti souverainiste, qui, doté d’un nouveau chef, Yves-François Blanchet, a repris du poil de la bête dans les intentions de vote des Québécois.
« Ce qu’on ne sait pas encore, c’est où va aller le vote de protestation, le vote des gens qui ne veulent pas voter ni conservateur ni libéral, souligne Yves Malo. En 2011, ça s’est traduit par la vague orange, en faveur du NPD, mais cette année, ce n’est pas acquis que ce sera pour le NPD. Ou alors le Parti vert ? Est-ce qu’au Québec le Bloc québécois va faire une remontée, avec leur nouveau chef, via ce vote de protestation ? C’est possible aussi. C’est vraiment une inconnue importante dans la prochaine élection ».
En général, les Canadiens donnent deux mandats à un gouvernement. Yves Malo, chef du bureau de Radio-Canada à la colline parlementaire d’Ottawa.
« Je crains vraiment que cette campagne électorale ne soit assez sale, ajoute Manon Cornellier. Les conservateurs vont remettre sous le nez des libéraux le scandale SNC-Lavalin, ils vont les dépeindre comme étant des gens proches des élites qui servent d’abord leurs amis bien nantis et qui ont une éthique élastique. Et ils vont développer un discours très populiste. Mais le thème qui sera dominant dans cette campagne électorale, ce sera celui de l’environnement. Les inquiétudes de la population dans ce domaine sont importantes, les changements climatiques, l’avenir de la planète, les gens veulent des actions. Je pense que ce sera un enjeu fondamental. Là-dessus les conservateurs sont désavantagés ».
« En général, les Canadiens donnent deux mandats à un gouvernement, précise Yves Malo. C’est une sorte de tradition et je pense que ce sera encore le cas, même s’il y a une possibilité que les libéraux sortent minoritaires de ce scrutin. Les deux plus grands alliés de Justin Trudeau, ce sont ses rivaux, Andrew Scheer et Jagmeet Singh : il doit prier pour que ces deux-là restent longtemps dans leurs chaises ».
Andrew Scheer ne se distingue effectivement pas par son charisme et beaucoup de Canadiens ont du mal à l’identifier. « Et Justin Trudeau ne va avoir aucun mal à défaire tous les positions conservatrices, c’est très facile à déconstruire et ça c’est le talon d’Achille de Mr Scheer », estime Manon Cornellier, qui ajoute : « Le nouveau chef du NPD, Jagmeet Singh, manque de rigueur et souvent, il a une mauvaise maîtrise des dossiers fédéraux ». Il n’a donc pas réussi pour l’instant à s'imposer auprès des Canadiens et le fait qu’il porte un turban – il est de religion sikhe – est assez mal perçu auprès des Québécois, plutôt sensibles sur le port de signes religieux en politique – c’est beaucoup plus accepté du côté du Canada anglais.
Et Justin Trudeau a une qualité qui est vraiment son plus grand atout en politique : son contact avec les gens, comme le fait remarquer Yves Malo : « Justin Trudeau, quand il est dans une foule, avec le monde, il l’a. Même dans une foule hostile, il s’en sort bien. Je ne suis pas sûr qu’il soit un animal politique, mais un animal public ça c’est sûr ! » Clairement un atout de taille quand on mène une campagne électorale, un atout qui lui avait fait gagner les élections de 2015, reste à voir si cela suffisant pour remporter de nouveau celles-ci…
Manon Cornellier de son côté estime que les libéraux vont plus jouer la carte de l’équipe que celle du chef pour cette campagne électorale. « Et tout le défi pour les libéraux, ce sera de mobiliser leur électorat, alors que l’électorat conservateur, lui, est très mobilisé. Le danger d’une saignée de l’électorat vers un autre parti est beaucoup moins grand chez les conservateurs que chez les libéraux. Ces derniers sont moins idéologiques donc ils doivent toujours convaincre leur base, ceux qui sont farouchement libéraux quand ils sont mécontents, ils ne votent pas forcément pour un autre parti, ils restent chez eux. Donc pour les libéraux, l’objectif c’est de mobiliser leur base ».