Élections législatives au Québec : un scrutin joué d'avance ?

Les Québécois se rendront aux urnes le 3 octobre prochain, et devront décider s’ils reconduisent au pouvoir le Premier ministre sortant François Legault et ses troupes de la Coalition Avenir Québec. Au terme d’un premier mandat marqué principalement par la gestion de la pandémie, l’enjeu principal de ce scrutin n’est pas de savoir qui va le gagner. La CAQ semble assurée d’une victoire majoritaire. Mais surtout quel parti de l’opposition tirera le mieux son épingle du jeu ? Premier volet de notre correspondante Catherine François sur les enjeux des ces élections.
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François Legault
Le Premier ministre du Québec, François Legault, à la sortie de l'Elysée le 21 janvier 2019.
Capture AFPTV
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Le fait marquant de ce premier mandat des troupes caquistes, ce sont les taux records de popularité enregistrés par ce gouvernement, d’autant plus surprenant que plus de la moitié des quatre dernières années a été consacrée à la gestion périlleuse de la pandémie de COVID-19.
 

La qualité de François Legault, c’est d’être capable de connecter, parler aux Québécois, un langage simple, facile à comprendre.
Sébastien Bovet, chef du bureau de Québec de Radio-Canada.

Record de popularité pour François Legault et son gouvernement

À la veille du déclenchement des élections, encore 59% des Québécois se disaient satisfaits du gouvernement Legault et 44% estiment que François Legault fait un bon premier ministre.

« En effet, on se surprend du taux de popularité du gouvernement, souligne l’analyste Sébastien Bovet, chef du bureau de Québec à la Société Radio-Canada, parce que pendant la pandémie, les droits et libertés des Québécois ont été largement restreints, les couvre-feu, la vaccination, porter le masque, rester à la maison, le télétravail… Donc n’importe quelle société qui vit ce genre de contraintes-là peut être mécontente. Mais c’était un effort de guerre mené par le général François Legault et la force et la qualité de François Legault, c’est d’être capable de connecter, parler aux Québécois, un langage simple, facile à comprendre, relativement transparent même s’il ne leur a pas toujours dit la vérité, mais il a réussi à connecter avec les gens qui l’ont suivi dans la lutte contre la COVID.» Cette stratégie et cette communication expliquent la popularité de François Legault.

« Et donc cet esprit d’effort de guerre avec le général Legault a fait en sorte que quand on sort de la pandémie, les gens se disent « il a fait tout ce qu’il pouvait faire dans les circonstances avec les outils qu’il avait » et ça explique, je pense, en partie son taux de popularité », ajoute Sébastien Bovet.


André Lamoureux, politologue à l’Université du Québec à Montréal, parle d’un gouvernement « fort et dominant ». « Ce qui est étonnant, constate-t-il, c’est que depuis 2018, ce gouvernement n’a jamais eu de secousse réelle, il a toujours été très fort y compris dans les sondages. Dans la gestion de la pandémie, le gouvernement a fait des erreurs, mais dans l’ensemble il a été très près de sa population. Et quand il faisait des erreurs, François Legault le reconnaissait en public et s’en excusait. Et ça, ça a été apprécié des Québécois », décrit le politologue.
 

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Lorsqu’un parti au Québec tourne autour des 45% d’intentions de vote, c’est presque une garantie de 90-95 sièges sur les 125.André Lamoureux, politologue à l’Université du Québec à Montréal

Autrement dit, si pour de nombreux gouvernements dans le monde, la gestion de l’épidémie du coronavirus a été une catastrophe, le gouvernement de François Legault, lui, l’a fait à son bénéfice. Et il n’a pas fait que ça, fait remarquer Sébastien Bovet. « Il a aussi avancé dans plusieurs de ses promesses électorales, notamment sur le front identitaire, en adoptant les projets de loi sur la laïcité de l’État, sur la protection de la langue française, qui sont un peu devenus sa marque de commerce », estime le journaliste, chef du bureau de Québec à la Société Radio-Canada.

Une victoire assurée et majoritaire pour la CAQ

Avec quelque 44% d’intentions de vote dans les sondages, la Coalition Avenir Québec part dans cette course électorale avec une telle avance qu’elle semble insurmontable pour les partis d’opposition.

« Lorsqu’un parti au Québec tourne autour des 45% d’intentions de vote, c’est presque une garantie de 90-95 sièges sur les 125, surtout si ce parti est fort dans toute la province, ce qui est le cas de la CAQ » précise le politologue André Lamoureux.

« Dans ma boule de cristal, je vois un gouvernement majoritaire fort de la CAQ. Sur la ligne de départ, c’est sûr que François Legault et la CAQ sont avantagés », rajoute Sébastien Bovet.

L’enjeu de l’inflation

Parmi les thèmes qui seront abordés au cours de cette campagne, une question va prédominer : celle de l’inflation. Elle a atteint des records ces derniers mois, autour de 7, 8% par mois, c’est colossal et l’impact sur le portefeuille des ménages québécois est majeur.

« On s’attend à ce que tous les partis politiques fassent des suggestions aux Québécois pour les aider à respirer un peu plus financièrement », explique Sébastien Bovet. André Lamoureux juge de son côté que le gouvernement Legault n’a pas assez été actif dans ce dossier. Pour l’instant, seul un chèque de 500$ a été envoyé au printemps aux Québécois qui gagnent moins de 90 000 $ par année : « Cela va devenir un enjeu fondamental, le gouvernement va être obligé d’agir, de faire des ajustements parce que l’insatisfaction populaire va monter » estime le politologue.

On parlera aussi beaucoup, au cours des prochaines semaines, de santé et de l’état du réseau de santé québécois, qui s’est considérablement détérioré après deux ans et demi de pandémie. Un thème récurrent dans toutes les campagnes électorales québécoises. La lutte contre le réchauffement climatique et la montée de l’insécurité dans les rues de Montréal seront également des thèmes dominants.

« Pour le reste, ça va être beaucoup une bataille de personnalités, croit Sébastien Bovet, François Legault contre les autres chefs de partis, d’ailleurs la publicité pré-électorale de la CAQ met énormément l’accent sur la personnalité de Mr Legault plutôt que sur ces accomplissements lors de ce 1er mandat, donc ça donne un peu le ton de ce à quoi va ressembler cette campagne électorale. Et on espère à la CAQ que la personnalité de François Legault aura le dessus sur celle des autres chefs ».

Un échiquier politique éclaté

Ce qui est sûr, c’est que l’échiquier politique québécois a littéralement explosé au cours des dernières années, comme le constate Sébastien Bovet : « Le paysage politique québécois est devenu une mosaïque. Pendant des décennies, il n’y avait que deux partis qui aspiraient au pouvoir et maintenant, on compte cinq partis, ce qui fait que la CAQ de François Legault pourrait remporter un mandat très majoritaire à cause de l’éclatement du vote pour les partis de l’opposition ».
 

Le premier danger (pour la CAQ) c’est François Legault lui-même, qui a le don parfois de glisser sur des pelures de banane qu’il a lui-même lancées sur son chemin.Sébastien Bovet, chef du bureau de Québec de Radio-Canada.

André Lamoureux parle lui d’une « domination totale » de la CAQ : « Et je pense même que le Québec, peut-être pour une période conjoncturelle, pourrait passer à un régime de parti dominant, ça reste une démocratie, ce n’est pas un régime de parti unique, mais le parti qui est au gouvernement supplante littéralement tous les autres ». C’est même la première fois depuis 1919 que le principal parti d’opposition tombe sous la barre des 20%, précise le politologue, qui ajoute : « Les deux grands partis qui ont monopolisé la vie politique québécoise des 50 dernières années sont vraiment en situation d’échec. Chaque parti doit développer ses propres stratégies pour se sortir de cette marginalisation qui est en train de se construire ».

Le politologue et l’analyste politique croient pour autant que la CAQ ne doit pas prêcher par arrogance au cours de cette campagne électorale et ne rien prendre pour acquis. « Je vois deux dangers pour la CAQ de François Legault, avance Sébastien Bovet, et le premier danger c’est François Legault lui-même, qui a le don parfois de glisser sur des pelures de banane qu’il a lui-même lancées sur son chemin. Il va falloir qu’il fasse attention au message qu’il donne quand il sort de son texte, quand il essaie de faire des blagues qui sont mal reçues et pour lesquelles il doit s’excuser par la suite, donc il est son pire danger. L’autre danger, c’est l’apathie de l’électeur… si les sondages continuent à donner un gouvernement majoritaire à la CAQ, les électeurs pourraient se dire « bah, c’est dans la poche, à quoi ça sert d’aller voter ? » ou se dire « on ne veut pas qu’ils soient si forts que ça donc on va voter pour un autre parti pour ne pas leur donner une carte blanche ».

Et on le sait, la politique est un sport dangereux avec plein d’imprévus qui peuvent faire déraper des campagnes électorales, mais on voit mal comment la Coalition Avenir Québec pourrait laisser échapper cette prévisible victoire…