En Géorgie, on vous sert à boire du vin dans une corne, que vous ne pouvez pas poser sans la boire jusqu’à la dernière goutte. Et aussitôt qu’elle est vide, on vous la remplit à nouveau. Cette générosité sans fond ne s’exerce pas que dans les nectars alcoolisés. De tous temps, la Géorgie a donné en abondance à son immense voisin russe, des légumes, du thé, des fruits, comme cette succulente feijoa, au léger goût de fraise des bois et d’ananas mêlé, des artistes, des écrivains, des révolutionnaires et même un dictateur. Jusqu'à sa mort, Joseph (Iossif) Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline, faisait venir des bouteilles de Kindzmarauli, son vin préféré tiré des vignes natales baignées de soleil. Ce petit pays aux marches du Caucase, et riverain de la mer noire, dispose de tout ce qui ressemble aux trésors d’un paradis et ses quelque 4 millions 500 000 habitants devraient y vivre joyeusement à l’image de cette exubérance végétale.
Je t'aime, moi non plus
Et pourtant, l’histoire comme l’actualité, de cette république d’opérette regorgent de complots, de coups d’Etat, de guerres, et de massacres, marqués, fomentés, inspirés par le voisinage avec l’immense Russie. Chrétienne aussi, mais disposant d’une langue et d’un alphabet différents, le vieux royaume de Géorgie fut rythmé par les tentatives, réussies ou non, d’annexion par la Russie. La fin de l’Union soviétique en 1991 lui redonna son indépendance, quoiqu’un peu théorique puisqu’elle était alors menée d’une main ferme par Edouard Chevardnadze, ex ministre soviétique des Affaires étrangères et artisan de la perestroïka aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev. Il fut renversé en 2003 par un jeune loup politique, Mikheil Saakachvili, partisan d’un éloignement accéléré de la Russie et d’un rapprochement tout aussi rapide avec les Etats Unis où il avait fait ses études. La campagne des principales formations candidates aux élections législatives du 1er octobre 2012 est imprégnée de cet amour haine pour la Russie, derrière lequel s’affichent des enjeux stratégiques considérables.
Ombres chinoises
Plus que deux partis, le Mouvement national démocrate du président, et le Rêve géorgien de l’opposition, ce sont deux hommes qui s’affrontent dans ce scrutin, deux potentats dont les travers autoritaires affleurent sous le vernis démocratique. Le milliardaire Bidzina Ivanichvili défie le président Mikheil Saakachvili, qui, malgré son immense impopularité a toujours réussi à se maintenir au pouvoir depuis près de 10 ans. Derrière ces deux personnalités controversées - l’actuel chef de l’Etat étant accusé d’autoritarisme (accusation alimentée par le récent scandale
des tortures dans les prisons), de népotisme et de pro-américanisme, l’opposant d’opportunisme et de proximité avec Moscou, rassemblant un conglomérat hétéroclite allant de l’extrême droite aux nostalgiques de l’Urss -, en ombre chinoise, on pourrait voir l’un des plus grands pipelines au monde, et une guerre de position entre l’Otan et la Russie sur cette zone si précieuse, l’une des seules terres chrétiennes, frontalière d’une Asie centrale en ébullition.
Pétrole et gaz, nerfs de la guerre
En 2008,
une guerre éclair avait permis à la Russie de reprendre pied en Ossétie du Sud, sorte d’enclave russe en Géorgie, malgré les tentatives diplomatiques européennes. Les circonstances de ce conflit restent incertaines : organisé et planifié par Moscou, comme Vladimir Poutine
l’a laissé entendre récemment, avec une certaine forfanterie, ou déclenché par les gonflements de muscle du président Sakachvili. Nul doute que le Kremlin et la Maison blanche surveilleront, tel le lait sur le feu, les résultats des élections législatives d’octobre 2012, tout comme la prochaine présidentielle en 2013.