Fil d'Ariane
Au lendemain d'élections municipales qui ont scellé le destin local des troupes de la majorité présidentielle : quels enseignements tirer de ce scrutin ? Plus d'élus verts et de femmes dans les grandes villes, un ancrage des partis traditionnels ailleurs, l'échec de la politique d'Emmanuel Macron au plan local... Décryptage pour TV5MONDE de Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de la communication politique.
Les Français étaient appelés aux urnes ce dimanche 28 juin. Un scrutin du second tour des élections municipales organisé dans 4 855 communes. Et surtout un scrutin qui s'est déroulé dans un contexte particulier : la crise du coronavirus et les longues semaines de confinement. Voilà qui a pesé dans la balance, nous explique Philippe Moreau-Chevrolet, président de MCBG Conseil et professeur à Sciences Po Paris.
TV5MONDE : On s'attendait à une forte abstention lors de ce second tour des élections municipales. Le chiffre est de 41,6% seulement de participation, ce qui reste peu pour une élection locale, qui par définition concerne directement chaque citoyen français. Comment l'expliquer ?
Philippe Moreau-Chevrolet : C’est un scrutin très particulier, il y a un effet psychologique non négligeable : ce sont des élections post-traumatiques. On a été en prison entre les deux tours du scrutin, en quelque sorte. Les gens ont peur de l’avenir économique et sanitaire. On le voit d’ailleurs dans les enquêtes qui ont été réalisées récemment. Ils considèrent que les politiques ont été en majorité décevants et qu’ils n’ont pas su gérer la crise. Il y a un rejet qui est très fort. L’abstention s’explique à la fois par la peur du Covid-19, par la déception suscitée par la classe politique dans la gestion de la crise et par le fait que les gens sont encore très traumatisés par la période du confinement et qu’ils n’ont pas la tête à la politique.
On peut penser que le choix des écologistes est un choix de raison : on a un problème environnemental, on choisit un élu qui saura y répondre. Les écologistes ont-ils été élus grâce à l’abstention ? C’est une possibilité mais on peut aussi se dire que les écologistes ont été les seuls à être en capacité de mobiliser leur électorat durant ces élections. Et cela rend le vote écologique plus légitime. Les Français ont renvoyé un message. A contrario, le Rassemblement National (extrême droite, ndlr) même s'il remporte la ville de Perpignan, ne tire pas les fruits de la crise. C’est tout de même très étonnant quand on y pense.
Municipales en France : un scrutin sous haute surveillance sanitaire
Les écologistes ont triomphé dans des villes symboles : Lyon, Bordeaux, peut-être Marseille (on le saura vendredi), Tours, Poitiers, Besançon… Cela dit beaucoup de ce que vivent les citoyens dans les communes moyennes et les grandes villes ?
P.M-C. Il y a deux façons de voir les choses. Soit on a un vote écolo par adhésion : les gens veulent un meilleur cadre de vie, ils veulent mettre la ville à la campagne, ce qui est le souhait de beaucoup de citadins, en particulier après la crise du coronavirus. Soit pour les habitants des grandes villes, la volonté c'est de se barricader, de rester entre soi. Donc le vote écolo n’est pas juste un vote pro-nature, c’est aussi quelque part être conservateur, rester entre soi, dans un environnement agréable et protégé.
L’élite des grandes villes a envie de faire sa propre politique. C’était déjà sensible avec le vote LREM (La République En Marche, ndlr) lors des précédents scrutins mais avec le vote écolo c’est encore plus poussé. C’est comme si il y avait deux votes : écolo dans les grands centres urbains et un autre vote dès qu’on s’éloigne. Ce n’est pas un hasard si Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille votent pour les Verts.
France : importante percée du parti écologiste aux municipales
Nous avons observé l’échec du parti présidentiel, LREM, à s’implanter localement. Est-ce un désaveu pour la politique d'Emmanuel Macron ?
P.M-C Si LREM avait voulu remporter les élections, il aurait fallu qu’ils présentent Edouard Philippe (le Premier ministre réélu avec 59% des voix au Havre, ndlr) pour être élu dans toutes les villes de France ! Il y a un désaveu de LREM mais surtout il y a une inexistence de LREM au plan politique. C’est ce qu’on aurait appelé à une autre période : la majorité présidentielle. C’est quelque chose qui n’est pas pérenne. LREM paie surtout le fait que personne ne s’est inquiété de ce parti, ni n’a voulu le développer. Personne n’a travaillé son implantation locale et finalement LREM est tellement centré sur la personnalité du président que tout ce qui est autour n’existe plus. On a quelque part une réduction de LREM à Emmanuel Macron.
C’est logique mais le problème que cela pose c’est qu’il n’y a pas de barons, ni de grandes figures - en dehors d’Edouard Philippe - et pas d’alliés. Donc fatalement au moment des élections cela ne fonctionne pas du tout. Et on aura probablement le même schéma lors des régionales (prévues en 2021, ndlr). La logique voudrait que LREM soit dissout et que le président crée une autre organisation avec un autre nom, une autre dynamique et un autre marketing, assez rapidement, si c’est possible, pour essayer de construire autre chose. Mais LREM en tant que parti politique est mort.
Edouard Philippe a été confortablement réélu au Havre. Après la vague verte des municipales et alors qu’il reçoit les 150 délégués de la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a promis des gestes forts en faveur de l’écologie. Mais peut-il aller bien loin ? Ne risque-t-il pas d’aller au rapport de force avec son Premier ministre s’il lui demande de changer la politique du gouvernement ?
P.M-C. C’est une constante d’Emmanuel Macron d’annoncer au lendemain d’un scrutin qui lui a été défavorable, comme lors des européennes en 2019, un infléchissement de sa politique.
Je ne pense pas qu’Emmanuel Macron va changer de politique. Ce sera plus une question de personnalité, qu’une question idéologique. C’est ce qui ressortira d'un éventuel remaniement : les Français verront bien qu’il s’agit d’une querelle de personnes. Et la dernière fois qu’un Premier ministre ultra populaire a été évincé - c’était Michel Rocard remplacé en 1991 par Edith Cresson -, ça a été une erreur politique majeure pour François Mitterrand. La situation est plus dangereuse pour Emmanuel Macron que pour Edouard Philippe, en réalité. La Convention citoyenne est plus un instrument de communication avec des annonces cosmétiques. Politiquement, ils ne changeront pas de cap. C’est surtout une façon pour le président de rebondir après l’échec des municipales. Il faut reprendre la main le plus rapidement possible. Le timing ne doit rien au hasard.
Dernier enseignement de cette élection : plus de femmes et d'élus issus de la société civile mais aussi un ancrage des partis traditionnels, comme Les Républicains (LR). Pour autant est-ce que les temps changent ?
Ils changent dans les grandes villes. Des femmes maires ce sont des symboles que l’on voit dans les centres urbains : Marseille, Besançon, Biarritz, Paris, Strasbourg, Nantes… Après, la part de maires femmes est toujours extrêmement faible en France. Ces villes sont un peu l’arbre qui cache la forêt. Il y a eu aussi un appel en direction de la société civile mais ce qu’on observe aussi c’est un retour des partis traditionnels comme LR ou les socialistes.
On voit tout de même un retour sur le devant de la scène de partis installés, avec de l’expérience, des cadres, des militants, une idéologie… Ce qui quelque part devrait interpeller le pouvoir. Emmanuel Macron a dû gérer une crise historique, son Premier ministre est plus populaire que lui, le président a fait le vide autour de lui en termes de compétences et d’alliés et les partis traditionnels commencent à relever la tête. Tout le défi d’Emmanuel Macron maintenant va être de déterminer s’il peut être réélu sans Edouard Philippe - ce qui n’est pas évident du tout -, s’il doit monter une organisation pour le soutenir et enfin savoir qui va pouvoir l’aider.